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Agressions contre les femmes : Pas de châteaux en Espagne !

In Being a World Citizen, Current Events, Europe, Human Rights, Latin America, Middle East & North Africa, Solidarity, United Nations, Women's Rights, World Law on September 18, 2023 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

«Bâtir des châteaux en Espagne», que signifie cette expression devenue quelque peu désuète en français ? Elle désigne une personne qui se crée des rêves et des projets chimériques, qu’il ne lui sera jamais possible d’atteindre. L’expression remonterait au seizième siècle, se référant au manque de châteaux dans la péninsule ibérique où, après la Reconquista de 1492, ceux-ci avaient été détruits afin que les Maures, l’ennemi musulman chassé et rêvant de revanche comme le met en scène Corneille dans Le Cid, ne puisse en cas d’invasion les prendre et en faire des places fortes. Depuis lors, «bâtir des châteaux en Espagne» désigne ce qu’il est absurde d’envisager et ne peut exister.

Si l’Espagne est le lieu, au théâtre, des exploits du jeune Don Rodrigue, avant même Corneille et depuis l’Espagne même puisque Guillén de Castro avait écrit avant lui Les Enfances du Cid (Las Mocedades del Cid), elle est aussi celui, en littérature, de l’épopée de deux autres seigneurs, deux «Don», aux ambitions bien opposées.

En ce même dix-septième siècle, Tirso de Molina écrivait El Burlador de Sevilla y convidado de piedra, L’Abuseur de Séville et le convive de pierre, première évocation de Don Juan, séducteur sans scrupule, qui se vit par la suite transposé sur scène par Molière dans Dom Juan ou le festin de pierre puis à l’opéra par Mozart dans Don Giovanni.

C’est aussi l’époque où Miguel de Cervantes rédige son El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, L’Ingénieux Don Quichotte de la Mancha, où un hidalgo de basse noblesse se décrète chevalier du Moyen Age et décide de parcourir l’Espagne pour faire justice – fût-ce au prix de l’absurde et du ridicule, comme lorsqu’il décide de s’attaquer à des moulins à vent qu’il prend pour des géants.

En 1965, les Américains Dale Wasserman, Joe Darion et Mitch Leigh créèrent à partir du même personnage une comédie musicale intitulée Man of La Mancha (L’homme de la Mancha). Cervantes lui-même y est mis en scène et Don Quichotte, voulu par son auteur initial comme la satire d’une société espagnole par trop rigide et passéiste, devient un homme noble de naissance mais aussi d’esprit, porté par une «quête» qui le pousse à rechercher «l’inaccessible étoile». Portée à l’écran en 1972 par Arthur Hiller puis adaptée en français par Jacques Brel, la comédie musicale deviendra surtout connue pour sa chanson-phare La Quête, que reprendront ensuite sur scène plusieurs chanteurs français illustres comme Julien Clerc et Johnny Hallyday. «Tenter, sans force et sans armure, D’atteindre l’inaccessible étoile», je mentirais en disant que je n’y trouve pas une certaine inspiration, voire une inspiration certaine, certains jours de regard courbé – là et, à vrai dire, dans tout le reste de la chanson.

Hélas, depuis plusieurs semaines, les Cid et les Don Quichotte semblent avoir perdu le chemin de Madrid, là où les Don Juan, non pas les losers de la séduction chantés avec dérision par Claude Nougaro mais les vrais, ceux qui jouent des femmes comme d’objets et se voient engloutis par l’enfer – ou, du moins, prennent une sérieuse option sur un aller simple là-bas le jour venu de quitter ce monde, donnent le sentiment amer de retenir désormais toute l’attention de l’Espagne, et avec elle de toute la terre, pour des forfaits autrement plus graves que la séduction impertinente et égoïste d’un grand d’Espagne qui se rêvait aussi pourfendeur de Dieu lui-même.

Luis Rubiales soutenu par Woody Allen : «Il ne l’a pas violée»

Qui dit Coupe du Monde de Football disait jadis compétition, tous les quatre ans, entre des équipes d’hommes. C’était oublier que, depuis 1991, la Fédération internationale de Football Association (FIFA) organise aussi, tous les quatre ans, une Coupe du Monde Féminine de Football, créée en 1970 et donc «officielle» depuis plus de trente ans. Là où les éditions précédentes s’étaient tenues sans susciter grand intérêt chez les médias internationaux, l’édition 2023 a brisé les codes et mis le football féminin pour de bon sur la carte du sport mondial.

Le 20 août, à l’issue du match remporté par l’Espagne, Luis Rubiales, Président de la Royale Fédération espagnole de Football (FREF), vient féliciter l’attaquante Jenni Hermoso mais, sans demander la permission ni y être invité, lui agrippe l’entrejambes et l’embrasse sur les lèvres. La footballeuse confirme n’avoir jamais donné son consentement, ce qui fait du baiser forcé de Luis Rubiales une agression sexuelle.

Après les Américaines victorieuses en 2019, là où leurs homologues masculins ne rencontrent guère de succès lors des rencontres internationales, ce sont les Espagnoles qui ont remporté la Coupe cette année, en vainquant les Anglaises qui jouaient, sinon à domicile, du moins à l’intérieur du Commonwealth puisque l’organisation de la Coupe avait été confiée conjointement à l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Mais tout juste derrière l’exploit sportif des Espagnoles se cachait une fin autrement plus dramatique de cette épopée sportive, une fin inadmissible en elle-même, plus encore en cette année 2023 où le film Barbie, érigé en conte philosophique pour les droits des femmes, a bouleversé le monde.

Aussitôt mis en cause, Luis Rubiales balaie toute accusation, se posant en victime de ce qu’il présente comme «un faux féminisme», alors que le monde entier l’a vu et que Jenni Hermoso confirme qu’elle n’était pas consentante. Le 26 août, la RFEF suspend Rubiales de la présidence, qu’il refuse cependant de quitter. En fin de compte, le 10 septembre, Rubiales annonce bel et bien sa démission, à l’issue d’une carrière de dirigeant de la RFEF déjà émaillée de scandales.

Il part non sans avoir reçu, pour son agression sexuelle contre Jenni Hermoso, le soutien de Woody Allen, le célèbre acteur-réalisateur américain lui-même accusé d’abus sexuels sur sa fille adoptive Dylan et qui vient donc affirmer des gestes de Rubiales sur Jenni Hermoso qu’il «ne l’a pas violée». Comme le dit l’expression américaine, With friends like these, who needs enemies?, Avec des amis pareils, on n’a plus besoin d’ennemis !

Isa Balado : «Tu as vraiment besoin de me toucher le cul ?»

A peine l’Espagne et le monde sortaient-ils du scandale Rubiales qu’un nouveau drame se produisait, une fois encore en public et en direct à la télévision. Et le lieu ne pouvait être plus annonciateur puisque l’agression s’est produite à Madrid, Place … Tirso de Molina.

Le 12 septembre, lors de l’émission En Boca de Todos (Tout le Monde en Parle) de la chaîne espagnole Cuatro, la journaliste Isa Balado s’exprimait en extérieur face caméra. Arrivant par derrière, un homme lui a demandé pour quelle chaîne elle travaillait – mais non sans lui avoir, devant la caméra, touché les fesses.

Le présentateur de l’émission a demandé à Isa Balado de confirmer le geste abject de l’importun, ce qu’Isa Balado n’a pu que faire, embarrassée. Après qu’elle a fait remarquer son forfait au coupable, qui l’a nié, elle a ajouté que même lui demander pour quelle chaîne elle travaille n’autorisait pas un tel abus gestuel. «¿De verdad me tienes que tocar el culo?», «Tu as vraiment besoin de me toucher le cul ?» a lancé Isa Balado à son agresseur. Après avoir tenté cette fois de toucher les cheveux d’Isa Balado, qui a tourné la tête pour esquiver le geste, il a fini par s’en aller.

Le scandale fut immédiat, avec des réactions y compris au niveau du Gouvernement, et après un appel de Cuatro à la Police nationale espagnole, l’auteur des attouchements fut rapidement arrêté. Mais rien n’était pourtant réglé.

Malgré le flagrant délit, filmé en direct, le Tribunal de Première Instance N° 54 de Madrid rejeta les réquisitions du parquet qui exigeait l’interdiction pour l’agresseur de communiquer avec sa victime et de s’approcher à moins de trois cents mètres d’elle. Pour le président du tribunal, l’accusé «ne connaissait pas la victime jusqu’au moment des faits», bien qu’il reste à expliquer en quoi ce serait une excuse, et l’agression contre Isa Balado ne constituait pas «une situation de risque, d’urgence, de violence ou d’intimidation contre la journaliste», toute femme dans la rue devant donc selon lui se sentir en sécurité lorsqu’un inconnu vient toucher son corps sans permission ni demande de sa part.

L’affaire ayant été transmise à une autre juridiction pour compétence, les réquisitions du parquet peuvent toutefois encore être acceptées et mises en application. Il n’en demeure pas moins que, même en ce cas, le premier juge saisi aura bel et bien refusé d’agir contre l’auteur d’une agression sexuelle devant des millions de téléspectateurs …  Avec tout ce que cela dit d’une société, Amnesty International elle-même qualifiant l’acte de «violation des Droits Humains«, là où un juge nommé par l’Etat et payé par le contribuable pense qu’une femme peut être la Barbie d’un homme non parce qu’elle lui fait comprendre qu’elle a des droits égaux aux siens mais parce qu’il pourrait la toucher tant qu’il le veut, où il le veut, quand il le veut, voire la déshabiller et l’abandonner à son dénuement s’il en trouve une autre plus divertissante.

(C) Amnesty International

Agressées en Espagne pour avoir défendu les prisonnières politiques du Nicaragua

Ces deux affaires ayant eu lieu en Espagne, du moins entre des sujets espagnols, doivent-elles amener à conclure que le pays serait spécialement sexiste ? Deux malfaisants ne représenteront jamais tout un peuple, et bien que l’Espagne reste une société patriarcale comme toutes les sociétés du bassin méditerranéen où cohabitent les cultures chrétienne, juive et musulmane, les réactions fortes du Gouvernement espagnol démontrent que l’impunité en la matière y est révolue.

Le malheur, c’est que le Royaume d’Espagne est une nation de la WENA (Western Europe and North America ; Europe occidentale et Amérique du Nord) qui donne des leçons au monde entier sur les droits des femmes, et si ni l’Espagne entière ni, a fortiori, ses gouvernants ne sont ici en faute, leur attitude ayant justement été la bonne, il suffit de trois Espagnols, dont l’un agissant tout de même comme juge, pour donner le pire des exemples en Espagne même et partout ailleurs au monde.

Et le mauvais exemple a frappé au moins une fois déjà, les victimes en étant des ressortissantes du Nicaragua où Daniel Ortega et Rosario Murillo imposent désormais leur règne sans partage. Le pire, c’est que leurs agresseurs n’étaient pas des agents de l’Etat en uniforme, main sur la matraque ou prêts à tirer sur des femmes désarmées et prises pour cible sans les avoir provoqués, quelque part dans une ruelle sombre de Managua ou à l’abri du silence d’un village reculé. Il s’agissait de civils, eux aussi désarmés, et l’agression ne s’est pas produite au Nicaragua mais … En Espagne.

Le 24 août, lors du concert d’un chanteur péruvien dans une txosna, auberge traditionnelle accueillant des spectacles, au Pays Basque espagnol, un groupe de femmes nicaraguayennes avaient déployé le drapeau de leur pays accompagné de l’inscription Libertad a las presas políticas, Liberté pour les prisonnières politiques. Soudainement, un homme s’est approché d’elles, les invectivant sur l’inscription qu’elles brandissaient, et sitôt qu’elles ont répliqué qu’elles avaient le droit d’être là, l’homme s’est mis à pousser l’une d’elles avec violence. Une barrière humaine s’est aussitôt formée pour défendre les féministes nicaraguayennes, et après leur avoir crié qu’elles «ne connaissaient pas le passé du Nicaragua», rien de moins, l’homme a été contraint de s’en aller.

Se croyant délivrées de leur agresseur, les féministes n’étaient pourtant pas pour autant à l’abri. Peu après, un autre homme, qui s’est présenté comme membre d’Askapeña, organisation indépendantiste basque se réclamant de l’internationalisme marxiste, est venu les prendre à partie en exigeant qu’elles s’en aillent immédiatement. S’étant prévalues là encore de leur droit d’être présentes à la txosna en tant qu’espace de liberté, les féministes nicaraguayennes se sont entendu rétorquer par l’homme qu’il insistait pour qu’elles s’en aillent au nom de la «solidarité internationaliste», ajoutant que brandir leur drapeau en revendiquant la libération des prisonnières politiques était «une honte» et qu’elles n’avaient «aucune idée de ce qu’est la politique». Devant leur insistance, l’homme est monté sur la scène, interrompant le concert. Au micro, il a désigné les féministes à toute la salle, leur enjoignant de «s’attendre aux conséquences de leurs actes» puis les filmant avant de déployer sur la scène un drapeau du Frente Sandinista de Liberación Nacional, Front sandiniste de Libération nationale, le parti de facto unique de Daniel Ortega et Rosario Murillo au Nicaragua.

Il a fallu que les membres de deux organisations, basque et péruvienne, apportent leur secours aux féministes afin d’éviter un lynchage au nom de la «solidarité internationaliste», apparemment celle des dictateurs, des oppresseurs et, surtout, des hommes lâches qui s’en prennent aux femmes tels des loups en meute.

C’était le 24 août – donc après le baiser forcé et les attouchements sexuels de Luis Rubiales contre Jenni Hermoso, qui avaient d’ores et déjà fait le tour du monde et, sans que l’on puisse en douter, allaient ensuite inspirer l’agresseur d’Isa Balado. Pas d’abus sexuels cette fois-ci, dira-t-on ? Certes. Mais l’idée que les femmes sont inférieures et doivent se conformer aux volontés des hommes, même lorsqu’il s’agit d’idéaux politiques se réclamant du progressisme et qui devraient donc en toute logique inclure le féminisme, était bien présente dans toute son horreur. Dans cette Espagne de Don Juan piétinant sans remord l’amour des femmes envers lui, c’est plutôt ici à Tomás de Torquemada que l’on pense, le moine dominicain qui fut le maître d’œuvre de l’Inquisition au quinzième siècle. Si les dogmes changent, le dogmatisme reste, le bûcher se muant en imprécation verbale et les victimes, jadis les Juifs et les Musulmans, en devenant les femmes.

En Iran, les femmes en danger si l’Occident ignore le sexisme

Plus que jamais, la pression doit être maintenue sur les gouvernements du monde qui ignoreraient, voire nieraient, les droits des femmes. Bien entendu sur l’Afghanistan des Talibans et leur apartheid de genre, mais aussi sur le voisin et ancien ennemi des Talibans, la République islamique d’Iran, où résonnait voilà un an le slogan kurde Jin, Jiyan, Azadî, Femme, Vie, Liberté, devenu depuis mondial, après le meurtre par la police des mœurs islamique de la jeune entraîneuse de natation et aspirante-médecin Mahsa Jina Amini, par ailleurs membre des minorités kurde et sunnite du pays. Si le régime des mollahs se maintient depuis à Téhéran, le mouvement populaire de septembre 2022 l’a considérablement affaibli et il le sait, tentant de maintenir une apparence de contrôle sur les esprits mais ne trompant plus personne.

Une autre jeune femme issue d’une minorité ethnique, Elaheh Ejbari, âgée de vingt-deux ans, a récemment attiré l’attention en subissant des tortures qui ont manqué de faire d’elle une nouvelle Mahsa Amini. Elaheh Ejbari, qui est baloutche, avait fui son Sistan-Baloutchistan d’origine aux traditions patriarcales archaïques pour Téhéran où elle avait manifesté après le meurtre de Mahsa Amini. Elle y gagnait sa vie en dispensant des cours particuliers de langues.

Le 5 décembre dernier, revenant d’un cours, elle est enlevée par des inconnus qui la jettent dans une camionnette. L’insultant sur sa peau mate et son origine baloutche, ils l’accusent d’être à la solde de groupes d’opposition à l’étranger puis, après l’avoir frappée, ils lui coupent les cheveux de force, lui arrachent ses vêtements et en viennent – eux aussi – aux attouchements sexuels, lui disant tout leur mépris de la lutte des femmes d’Iran depuis un an.

«Tu aimes ça. Tu dis ‘Femme, vie, liberté’, tu veux te retrouver toute nue, c’est ça ton slogan ? Alors c’est que tu aimes ça. Tu devrais nous remercier.»

Après quatre jours de séquestration, où ils lui répétaient qu’ils ne la tueraient pas mais la renverraient au Baloutchistan pour que ses oncles s’en chargent, ils jettent Elaheh Ejbari en pleine rue. Elle retrouve ses amies, bien sûr inquiètes depuis quatre jours, et leur raconte son calvaire. Sa vie désormais détruite, ses élèves de cours de langues se désistant les uns après les autres et le propriétaire de son logement l’expulsant – peut-être, selon elle, par suite de pressions – elle finit par s’exiler en Turquie où elle vit aujourd’hui.

Difficile – ou hypocrite – de ne pas voir un lien entre les ravisseurs d’Elaheh Ejbari et les autorités iraniennes, qui se savent par trop scrutées désormais pour encore tenter par elles-mêmes au grand jour de tels actes de répression. Le seul langage des lâches alors même qu’ils violaient Elaheh Ejbari suffit à s’en convaincre, l’idée que les femmes sont soit soumises aux diktats masculins, en premier lieu vestimentaires, soit «toutes nues» et génératrices de tentations malsaines pour de pauvres petits hommes fragiles incapables de contrôler des pulsions animales en eux naturelles, constituant un moyen de blocage mental traditionnel du discours islamiste, et la République islamique d’Iran, bien que friande de liens avec l’extrême droite occidentale, islamophobe par excellence, n’en étant pas moins le premier régime islamiste du monde depuis la révolution de 1979.

Naturellement, quatre sujets du Royaume d’Espagne qui ne sont jamais allés en Iran ne peuvent être responsables de ce qui est arrivé à Elaheh Ejbari – et qui s’est produit de toute manière avant les faits qui les ont rendus tristement célèbres. Mais demain, si les dirigeants des pays de la WENA venaient à faiblir face au sexisme devant leurs propres peuples, ces quatre individus et ces mêmes dirigeants pourraient porter leur part de responsabilité dans les violences commises contre d’autres Elaheh Ejbari, Téhéran ne rêvant sans doute pas mieux que l’indifférence de l’Occident lorsqu’il retire toute liberté, voire toute vie, à une femme.

«Le trop de confiance attire le danger»

Même des gouvernements de bonne volonté dans la WENA ne sauront imposer l’idée que les droits des femmes ne sont pas et ne seront jamais solubles dans le discours politique, même lorsqu’il entend se parer de l’absolu de la religion, sans une fermeté exemplaire contre qui, dans la WENA même, se comporte en sens contraire, fût-ce avec le soutien malvenu d’un artiste connu – lui-même mis en cause pour des faits semblables – voire d’un juge.

Ces dernières semaines, l’Espagne a été touchée plus que d’habitude par le problème, mais demain, n’importe quelle nation de la WENA peut l’être à son tour et la nocivité du mauvais exemple ne serait pas moindre s’il s’agissait, loin de la Méditerranée aux traditions patriarcales, de Nordiques scandinaves ou canadiens. La même responsabilité se poserait alors au gouvernement du pays touché d’affirmer clairement qu’il n’existe pas, d’un côté, ses propres bonnes intentions et, de l’autre, l’horreur sexiste de ses administrés dont il s’indigne mais sans plus. Tout comme les politiques européens ont dû apprendre que contrer l’extrême droite xénophobe n’était plus depuis longtemps une seule question de morale, les partis populistes devant être contrés et combattus y compris et d’abord sur le plan substantiel, ils doivent aujourd’hui comprendre que la lutte contre le sexisme ne se satisfait pas davantage du seul anathème.

Autrement, comment la WENA pourrait-elle continuer à convaincre le reste du monde de l’importance des droits des femmes, tels que les définit la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) loin d’être encore ratifiée aussi universellement que l’est, à titre d’exemple, la Convention internationale des Droits de l’Enfant ? Comment rappeler encore et toujours les dispositions de la Résolution 1325 (2000) du Conseil de Sécurité des Nations Unies consacrant le rôle crucial des femmes dans la paix et, justement, la sécurité ? Comment soutenir encore les femmes œuvrant à travers le monde à la démocratie, au développement, à la protection de l’environnement, à la santé, à l’éducation ainsi que dans tous les autres domaines de la société ? Sans oublier toutes celles qui s’illustrent dans le journalisme comme Isa Balado, dans le sport comme Jenni Hermoso, et dans tout ce qui fait d’une civilisation et d’un mode de vie ce qu’ils sont, avec le sort qu’ils réservent aux femmes comme ultime indice de leur humanité.

«Le trop de confiance attire le danger», écrivait Corneille dans Le Cid, où ces mots étaient ceux du roi d’Espagne Don Fernand face à ses conseillers minimisant la montée d’une flotte d’invasion maure vers Séville, invasion qui allait être mise en échec par le jeune Don Rodrigue devenant ainsi «Le Cid» d’après sid, «seigneur» en arabe. «Le trop de confiance», c’est bien souvent ce qui mène à bâtir des châteaux en Espagne, et les derniers événements dans le pays ou liés à ses citoyens viennent rappeler, de manière aussi tragique qu’opportune, que le combat contre le sexisme n’a rien d’une charge de Don Quichotte contre un moulin à vent et que, pour les auteurs d’agressions sexuelles, l’enfer où se voit englouti Don Juan en châtiment de ses provocations répétées, c’est sur cette terre qu’il doit se trouver, ou plutôt, qu’il faut le créer. Cet enfer, ce sera le monde qui leur fait si peur, celui où plus jamais aucune femme n’aura peur.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

«Pour toi Arménie» le monde doit faire cesser le blocus du Haut-Karabakh

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Fighting Racism, Human Rights, Humanitarian Law, International Justice, NGOs, Spirituality, The former Soviet Union, The Search for Peace, United Nations, World Law on September 14, 2023 at 7:16 AM

Par Bernard J. Henry

«Même si tu maudis ton sort,

Dans tes yeux, je veux voir,

Arménie, une lueur d’espoir,

Une flamme, une envie

De prendre ton destin entre tes mains,

A bras le corps …»

Ces paroles écrites par Charles Aznavour, né Sharnough Aznavourian, font partie de Pour toi Arménie, la chanson dont il était l’auteur avec son beau-frère et complice musical de toujours Georges Garvarentz en 1988. Cet hommage amoureux à la terre de ses racines familiales, le plus célèbre des artistes franco-arméniens ne l’avait pas écrit seulement par un élan du cœur. Cette chanson était une urgence – l’urgence d’aider son Arménie frappée par un tremblement de terre meurtrier et dont la population déjà démunie s’était trouvée abandonnée à son sort.

Le 7 décembre 1988, la ville de Spitak, au nord de ce qui était alors la République socialiste soviétique d’Arménie au sein de l’URSS vivant la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, à 11H41 très précises, un séisme de 6,9 sur l’échelle de Richter dévaste la ville. Dans cette Union soviétique qui avoue désormais ses faiblesses, les services de secours ne parviennent à sauver que quatre-vingts personnes des ruines des immeubles effondrés, tandis que vingt-cinq à trente mille personnes trouvent la mort, plus de quinze mille en sortent blessées et cinq cent trente mille n’ont désormais plus nulle part où vivre. Moscou et son affidée d’alors Erevan dépassées par l’ampleur du drame, la diaspora arménienne prend le relais et l’aide à la terre d’origine meurtrie s’organise – en dehors de l’Arménie.

Suivant l’exemple américain de Harry Belafonte, Quincy Jones et Lionel Richie en 1985 avec We Are the World pour l’Ethiopie, Aznavour rassemble quatre-vingt-huit autres chanteurs, acteurs et personnalités de la télévision avec lesquels il enregistre Pour toi Arménie en annonçant que tous les profits du 45 tours, en cette époque sans le streaming et où l’on achète encore des disques vinyles, iront à l’aide humanitaire sur place. Et le public répond présent, le 45 tours entrant directement premier au Top 50, le classement national hebdomadaire des ventes, dont il gardera la première place pendant plusieurs semaines. C’est Aznavour lui-même qui conclut la chanson par le nom de l’Arménie dans la langue nationale, «Hayastan !», tant en français qu’en italien et même en anglais, dans une version américaine que sa notoriété internationale lui permet d’enregistrer avec le soutien de nombreuses célébrités des écrans, grand et petit, ainsi que de la chanson comme Dionne Warwick.

Le 1er octobre prochain verra les cinq ans de la disparition de Charles Aznavour, artiste de légende, humanitaire mais aussi ambassadeur d’Arménie à l’UNESCO puis au Palais des Nations, dont l’Association of World Citizens (AWC) a un jour croisé le chemin pour venir en aide à une habitante de Erevan chassée de son domicile par des violences conjugales. S’il était encore des nôtres, comment réagirait-il au drame que vit actuellement l’Arménie, drame qui, contrairement à celui de Spitak en 1988, n’est pas le fait de la nature mais d’un ennemi bien plus dangereux encore pour l’être humain – lui-même ?

La seule absence de combat ne sera jamais la paix

Entre 1988 et 1994, l’Arménie et son voisin de l’est, l’Azerbaïdjan, républiques soviétiques avant de devenir indépendantes à la faveur de la disparition de l’Union soviétique fin 1991, se sont affrontées militairement autour d’un territoire voisin de l’Arménie, peuplé pour l’essentiel d’Arméniens mais appartenant juridiquement à l’Azerbaïdjan – le Haut-Karabakh, ou Nagorno-Karabakh, sur une partie duquel se tient la République d’Artsakh reconnue par Erevan. Soutenu par Gorbatchev du temps de l’URSS, l’Azerbaïdjan avait refusé tout transfert de souveraineté du Haut-Karabakh à l’Arménie, position qu’il a maintenue en tant qu’État souverain et maintient encore aujourd’hui.

(C) Bourrichon

En 1992, après plusieurs années d’un conflit dominé par l’Azerbaïdjan doté d’un large soutien du monde musulman, l’Arménie remporte de premières victoires décisives. Deux ans plus tard, en mai, c’est un Azerbaïdjan désormais épuisé par une nette domination militaire arménienne qui accepte une trêve, qui ne règle pas le conflit du Haut-Karabakh mais le «gèle» sans solution, laissant le territoire indépendant de facto mais non reconnu sur le plan international. Au cours des années, les liens avec l’Arménie vont se resserrer, culminant avec l’élection en 2008 d’un natif du Haut-Karabakh, Serge Sarkissian, à la présidence de l’Arménie qu’il occupera pendant dix ans. Entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, un seul lien terrestre direct : le corridor de Latchine, large de quelques cinq kilomètres et long de soixante-cinq. Au-delà, l’Azerbaïdjan vaincu, rêvant d’une revanche au détour de l’histoire.

Fin septembre 2020, après le traumatisme d’une année marquée par la pandémie de Covid-19 et qui verra le monde quasi mis à l’arrêt, avec un tiers de la population de la planète confinée à son domicile, l’Azerbaïdjan prend de court une communauté internationale encore sous le choc en lançant une violente offensive contre le Haut-Karabakh. Cette fois, Bakou garde l’ascendant du début à la fin des hostilités, qui vient le 10 novembre avec un cessez-le-feu conclu à l’issue d’une médiation de la Fédération de Russie, avec de lourdes pertes de territoire pour l’Arménie qui doit de céder un tiers du Haut-Karabakh et en retirer ses troupes, Moscou déployant les siennes pour maintenir le cessez-le-feu. Pour les civils arméniens, c’est le temps de l’exil, non sans avoir pour beaucoup d’entre eux brûlé leur maison plutôt que de la voir accueillir des Azerbaïdjanais.

A Latchine, ce sont les forces de maintien de la paix russes qui prennent position, l’Arménie conservant le droit d’utiliser le passage terrestre avec le Haut-Karabakh. Seulement, à partir de février 2022, les mêmes forces armées russes qui maintiennent la paix entre Arménie et Azerbaïdjan deviennent aussi les forces d’invasion de l’Ukraine, qui vaut à Moscou une vaste et légitime condamnation internationale. Qui peut prétendre assurer la paix entre deux belligérants qui, dans le même temps, envahit son voisin ? L’Azerbaïdjan ne va pas tarder à le comprendre. Et dans cette paix qui n’en était pas une depuis la trêve de 1994, l’étant encore moins depuis le cessez-le-feu de 2020, Bakou va en tirer parti. De la pire manière qui soit.

En novembre 2020, des Yazidis se portent volontaires pour rejoindre les forces armées arméniennes et combattre au Haut-Karabakh (C) Armenian Army Media

L’arme de la faim et la «guerre sale» de Bakou

En cet automne 2020, entre Arménie et Azerbaïdjan, sur le Haut-Karabakh, match nul. Le bon moment, sans doute, pour entamer des discussions de paix entre les deux pays qui savent désormais chacun ce que c’est que d’être vainqueur et vaincu. Mais personne ne s’y aventure, et tout comme en 1994, la situation semble gelée sans espoir d’un dénouement définitif du conflit après plus de trente ans. Lorsque survient, du côté de l’Azerbaïdjan, l’impensable.

Le 12 décembre 2022, des Azerbaïdjanais se présentant comme des «militants écologistes» prennent position à l’entrée du corridor de Latchine, entendant bloquer une «exploitation illégale» de minerais locaux. Niant tout lien avec ces «militants écologistes» chez lesquels les slogans pour l’environnement cohabitent avec le drapeau azerbaïdjanais, le Président Ilham Aliyev se montre envers eux étonnamment indulgent par rapport à ses habitudes envers la société civile, habitudes dont nombre de militants ont payé le prix en cellule. Et pour cause, la société civile, la vraie, détient les preuves du lien direct entre ces «militants écologistes» et Bakou.

La preuve ultime, c’est justement Bakou qui la fournira lui-même, le 11 juillet dernier. Ce jour-là, ses propres troupes, drapeaux en main, bloquent désormais officiellement Latchine, accusant la Croix-Rouge de «contrebande» à l’occasion de ses livraisons d’aide humanitaire au Haut-Karabakh. L’organisation nie farouchement l’accusation, en effet de mauvaise foi puisque l’Azerbaïdjan prend pour prétexte les méfaits de quatre chauffeurs extérieurs à la Croix-Rouge qui, dans leurs véhicules personnels, ont tenté de faire passer «des marchandises commerciales» au Haut-Karabakh, bien sûr à l’insu de l’institution humanitaire qui a aussitôt mis fin à leurs contrats.

Mais, pour avoir tenté de réaliser un profit dérisoire, ces quatre malfaiteurs se voient toujours moins punis que le sont les Arméniens du Haut-Karabakh. Le territoire arménien en terre d’Azerbaïdjan se trouve désormais soumis à un blocus total, contraint à un rationnement de la nourriture et du gaz, et tout transfert médical d’urgence de patients vers Erevan est devenu impossible. Après avoir vaincu l’Arménie par les armes conventionnelles, l’Azerbaïdjan use désormais sans complexe contre les Arméniens de l’arme ultime, plus impitoyable encore que l’arme nucléaire qui abrégerait en quelques secondes les souffrances de celles et ceux qu’elle frapperait – l’arme de la faim.

Sous peu, le monde entier s’indigne. Fin août, un convoi humanitaire emmené par plusieurs élus politiques français de diverses tendances idéologiques, à l’exception notable et habituelle de l’extrême droite, se présente à Latchine en tentant de faire route vers le Haut-Karabakh. Pas de surprise – refoulé. Depuis l’Arménie, les dirigeants d’un think tank en appellent à la mise en place d’un pont aérien, à l’image de celui créé par les Alliés durant le blocus de Berlin en 1949. Fait exceptionnel, encore plus depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Washington et Moscou se voient unanimes dans leur demande à Bakou en vue d’une levée du blocus du corridor de Latchine.

Au-delà de la politique, c’est le droit qui ne tarde pas à se manifester, le droit international pénal qui sait tout ce que le nom de l’Arménie signifie pour lui et pour son histoire.

D’un litige sur la souveraineté d’un territoire donné, le conflit prend soudain un goût amer de déjà-vu. Entre les Azerbaïdjanais descendants des Ottomans d’avant la Première Guerre Mondiale et les Arméniens victimes du génocide ottoman en 1915, c’est maintenant le souvenir du génocide qui se rallume dans les esprits, en Arménie et au Haut-Karabakh bien sûr mais, plus encore, dans le reste du monde.

Ronald Suny, professeur de science politique à l’Université du Michigan, cité par CNN, déclare : «Maintenant qu’il a gagné la guerre de 2020 contre l’Arménie, l’Azerbaïdjan a pour but ultime de chasser les Arméniens d’Artsakh hors de l’Azerbaïdjan. Mais plutôt que de recourir directement à la violence, qui susciterait les condamnations à l’étranger, Bakou est décidée à rendre la vie impossible aux Arméniens, les affamer et faire pression sur eux pour qu’ils partent». Pour l’International Association of Genocide Scholars (IAGS), aucun doute, le blocus du Haut-Karabakh engendre un risque de génocide.

Quant à Luis Moreno Ocampo, le premier Procureur de la Cour pénale internationale à sa création en 2002, dans une Opinion d’Expert datée du 7 août, il monte encore d’un cran en écrivant d’entrée «Il est en train de se produire un génocide contre 120 000 Arméniens vivant au Nagorno-Karabakh, également connu sous le nom d’Artsakh».

Sur le blog Social Europe, le spécialiste gréco-arménien des relations internationales George Meneshian appelle enfin l’Europe à «se réveiller» à la réalité du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sous peine de devenir «complice de génocide».

Vouloir vaincre son adversaire en affamant sa population civile, c’est déjà en soi inhumain et lâche, surtout lorsqu’une victoire militaire nette vous place en position de force pour négocier un accord de paix. De la part de l’Azerbaïdjan, pourtant, ce n’est même pas le pire. Parler de génocide, c’est parler de la volonté d’exterminer un peuple, et qui parle d’exterminer un peuple parle d’une notion simple et claire – le racisme.

Capture d’écran de Nor Haratch, publication en ligne arménienne basée en France.

Contre le racisme envers les Arméniens d’Azerbaïdjan, l’arme du droit

Dans son argumentaire expert de vingt-huit pages, Luis Moreno Ocampo, montrant qu’il se souvient que la juridiction dont il a été le premier procureur est née de l’expérience aussi douloureuse qu’indispensable des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR), cite une abondance jurisprudence de l’un et de l’autre pour établir que, parce que le génocide ne s’avoue jamais, il peut et doit donc se déduire des actes du génocidaire, actes qu’il écrit reconnaître dans le blocus par l’Azerbaïdjan du corridor de Latchine.

Mais le magistrat sait aussi mettre un nom sur le premier mal qui frappe les Arméniens, sur la première faute de l’Azerbaïdjan, sur les premiers fondements de cette guerre de la faim. Un mal «prenant naissance dans l’esprit des hommes», dans les mots de l’Acte constitutif de l’UNESCO, tout comme le droit prend naissance dans l’esprit de l’être humain et, selon l’adage romain, ubi societas, ibi jus, là où il y a la société, il y a le droit. Et dans une société où sévit, voire règne, le racisme, il faut bien qu’il y ait le droit, celui de la Société Humaine Universelle que définit Olivier de Frouville, contre celui de la Société des Etats Souverains qu’il lui oppose et qui, comme jadis par exemple en Afrique du Sud, peut décider que le racisme est loi.

Bien que l’Arménie revendique le Haut-Karabakh et que la République d’Artsakh se veuille arménienne, techniquement et juridiquement parlant, les Arméniens du Haut-Karabakh demeurent des habitants de l’Azerbaïdjan, derrière le corridor de Latchine qui, sous blocus, ne peut plus jouer son rôle de lien terrestre unique avec l’Arménie. Derrière la rhétorique guerrière de Bakou et l’exemple qu’elle constitue de «création de l’ennemi» au sens que lui donne John Paul Lederach, ce que voient les instances internationales, à commencer par l’ONU, c’est bel et bien du racisme, celui des Azéris majoritaires en Azerbaïdjan contre les Arméniens de ce même pays qui demeurent, aux yeux de la communauté internationale, des Azerbaïdjanais. Et sur le racisme que subissent ces Azerbaïdjanais arméniens de la part de leurs compatriotes azéris, ce ne sont ni les faits ni les réactions qui manquent.

Le 21 avril 2023, le Représentant permanent de l’Arménie auprès du Siège des Nations Unies écrivait au Secrétaire Général, Antonio Guterres, en rappelant l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire des Arméniens d’Azerbaïdjan. Il parlait du massacre de Soumgaït, ville où, alors que l’Arménie soviétique commençait à revendiquer le Haut-Karabakh, un pogrom azéri avait décimé la population arménienne locale, causant des dizaines de morts, encore plus de blessés, des viols, des pillages et des destructions, toujours contre les mêmes – les Arméniens. Il rappelait les multiples condamnations de l’Azerbaïdjan, morales ou judiciaires, de la part des instances internationales, établissant un lien entre Soumgaït et la haine raciale contemporaine contre les Arméniens.

Et de la part de Erevan, il ne s’agissait pas de lawfare, de cette guerre judiciaire que l’on mène lorsque les armes n’ont pu vous apporter la victoire. Le racisme d’Etat azerbaïdjanais contre les Arméniens n’est pas une simple proclamation politique ; il est une réalité de terrain, et pour Bakou, il s’est mué en une excuse commode pour employer une arme sale, l’arme de la faim, contre le Haut-Karabakh.

Le 7 décembre 2021, à peine plus d’un an après la reprise des combats et la défaite arménienne, la Cour internationale de Justice statuait, saisie par l’Arménie, sur une demande de mesures conservatoires pour le respect de la Convention internationale sur l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination raciale (CIEDR), Erevan demandant à la Cour d’ordonner à l’Azerbaïdjan de changer d’attitude

«— en s’abstenant de se livrer à des pratiques de nettoyage ethnique contre les Arméniens ;

— en s’abstenant de commettre, de glorifier, de récompenser ou de cautionner des actes de racisme contre les Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus ;

— en s’abstenant de tenir ou de tolérer des discours haineux visant les Arméniens, y compris dans les ouvrages pédagogiques ;

— en s’abstenant de bannir la langue arménienne, de détruire le patrimoine culturel arménien ou d’éliminer de toute autre manière l’existence de la présence culturelle historique arménienne, ou d’empêcher les Arméniens d’avoir accès à celle‑ci et d’en jouir ;

— en punissant tout acte de discrimination raciale contre les Arméniens, qu’il soit commis dans la sphère publique ou privée, y compris lorsqu’il est le fait d’agents de l’État ;

— en garantissant aux Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus, la jouissance de leurs droits dans des conditions d’égalité ;

— en adoptant la législation nécessaire pour s’acquitter des obligations que lui fait la CIEDR ;

— en garantissant aux Arméniens un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ainsi qu’une protection et une voie de recours effectives contre les actes de discrimination raciale ;

— en s’abstenant d’entraver l’enregistrement et les activités des ONG et d’arrêter, de détenir et de condamner les militants des droits de l’homme ou toute autre personne œuvrant pour la réconciliation avec l’Arménie et les Arméniens; et

— en prenant des mesures efficaces pour combattre les préjugés contre les Arméniens et des mesures spéciales pour assurer comme il convient le développement de ce groupe».

Dans sa décision, la Cour internationale de Justice avait finalement estimé que

«1) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

a) Par quatorze voix contre une,

Protéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi ;

b) A l’unanimité,

Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine et à la discrimination raciales, y compris par ses agents et ses institutions publiques, à l’égard des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne ;

c) Par treize voix contre deux,

Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien, notamment, mais pas seulement, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts ;

2) A l’unanimité,

Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile».

La haute juridiction onusienne reconnaissait ainsi que la question du Haut-Karabakh n’était pas, ou n’était plus, seulement celle de la souveraineté sur ce territoire de l’un ou de l’autre des deux pays qui le réclamait. Il s’agissait bien, au-delà d’une simple dispute territoriale, de racisme.

Et comme le relève Luis Moreno Ocampo dans son Opinion d’Expert, le 22 septembre 2022, dans ses Observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, le Comité CIEDR fustigeait le pays pour «[l’]incitation à la haine raciale et la propagation de stéréotypes racistes à l’encontre de personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne, notamment sur Internet et dans les médias sociaux, ainsi que par des personnalités publiques et des hauts responsables, et le manque d’informations détaillées sur les enquêtes, les poursuites, les déclarations de culpabilité et les sanctions liées à de tels actes». Une constante de racisme par trop voyante pour que Bakou puisse réduire le blocus du Haut-Karabakh à une simple protestation d’écologistes ou, aujourd’hui, à une mesure devant empêcher la contrebande, excuses si faciles qu’elles en deviennent insultantes.

Notre époque a appris, et Luis Moreno Ocampo a bien compris que c’était là qu’il fallait frapper d’entrée, à oublier les génocides, du moins à les minimiser. Là où jadis, l’évocation de la Shoah juive, du Samudaripen rom ou, justement, du génocide arménien amenait une autorité morale au propos tenu, aujourd’hui, sous prétexte de «point Godwin», il devient quasi disqualifiant d’y faire référence. Admettons, entendu, soulever un génocide, c’est un pathos alarmiste. Mais alors, que dire de l’effroyable niveau de racisme contre les Arméniens constaté et condamné plus d’une fois par l’ONU en Azerbaïdjan, sinon qu’il est la meilleure preuve que le blocus du corridor de Latchine représente, si ce n’est un génocide en soi, du moins son ultime prélude ?

Une certaine conception de l’humanité mise à l’épreuve

S’il s’était parfois mis dans la peau des losers, comme dans Je m’voyais déjà, Poker et Je ne peux pas rentrer chez moi, Charles Aznavour chantait aussi pour dénoncer l’injustice, chantant Comme ils disent en 1972 alors que l’homosexualité est en France réprimée comme un délit, Mourir d’aimer sur l’affaire Gabrielle Russier et Les émigrants en pleine ascension du Front National et de ses thèses xénophobes. Légitime à écrire et produire Pour toi Arménie, il ne l’était pas du seul fait d’être arménien d’origine mais parce que son travail d’artiste parlait pour lui. Autrement, qui sait si l’initiative aurait rencontré le même succès ?

De même que Pour toi Arménie n’avait rien d’un phénomène «de fait», ici le fait d’un chanteur français d’origine arménienne, il n’existe aucune paix «de fait» après un conflit, la paix se construisant, sinon avant la fin des hostilités, du moins dès qu’elle intervient puis sans cesse jusqu’à ce que les belligérants comprennent qu’un accord, ou traité, formel doit sceller pour toujours leur bonne volonté et ouvrir la voie à l’avenir. Ce travail réalisé en 1994, l’offensive azerbaïdjanaise de 2020 serait devenue bien moins probable, et avec elle, cette guerre de la faim d’aujourd’hui.

En Ukraine se joue la survie d’une certaine conception du droit international, celle qui veut que l’agresseur ne soit pas récompensé de sa conduite contre l’agressé, sanctions de divers ordres à l’appui contre Moscou. Plus au nord, au Haut-Karabakh, l’enjeu n’a pas besoin pour se définir d’un manuel de droit. Lorsque l’arme choisie contre l’ennemi désigné est la faim, c’est bien une certaine conception de l’humanité qui est mise à l’épreuve, une conception qui transcende les frontières des États, qu’elles soient ou non reconnues par les autres États, une conception qui accorde toute sa valeur au droit, même s’il ne produit pas d’effet immédiat car il n’en incarne pas moins les principes qui guident une conscience. Cette conception, soit le monde agit pour la défendre au Haut-Karabakh, soit il s’expose à ce qu’elle ne soit plus garantie nulle part.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Ukraine and the Cluster Bombs Debate

In Conflict Resolution, Current Events, Europe, Humanitarian Law, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, World Law on July 12, 2023 at 7:16 AM

By René Wadlow

Currently, there is at the highest foreign policy-making level in the USA a debate concerning the United States (U.S.) sending cluster bombs to Ukraine to support the ongoing counteroffensive. The Ukraine military forces have used most of the cluster bombs they had. It would take a good bit of time to manufacture new cluster weapons. Hence the request for cluster munitions from the U.S.A. However, cluster weapons have been outlawed by a Cluster Weapons Convention signed by many states.

In a remarkable combination of civil society pressure and leadership from a small number of progressive states, a strong ban on the use, manufacture and stocking of cluster bombs was agreed by 111 countries in Dublin, Ireland on May 30, 2008. However, bright sunshine casts a dark shadow. In this case, the dark shadow is the fact that the major makers and users of cluster munitions were deliberately absent from the agreement: Brazil, China, India, Israel, Pakistan, Russia, and the U.S.A.

As arms negotiations at the United Nations (UN) go, the cluster bomb ban has been swift. They began in Oslo, Norway in February 2007 and were often called the “Oslo Process.” The negotiations were a justified reaction to their wide use by Israel in Lebanon during the July-August 2006 conflict. The UN Mine Action Coordination Center working in southern Lebanon reported that their density there is higher than in Kosovo and Iraq, especially in built-up areas, posing a constant threat to hundreds of thousands of people as well as to UN peacemakers. It is estimated that one million cluster bombs were fired in south Lebanon during the 34 days of war, many during the last two days of war when a ceasefire was a real possibility. The Hezbollah militia also shot rockets with cluster bombs into northern Israel.

Cluster munitions are warheads that scatter scores of smaller bombs. Many of these sub-munitions fail to detonate on impact, leaving them scattered on the ground, ready to kill and maim when disturbed or handled. Reports from humanitarian organizations have shown that civilians make up the vast majority of the victims of cluster bombs, especially children attracted by their small size and often bright colors.

The failure rate of cluster munitions is high, ranging from 30 to 80 per cent. But “failure” may be the wrong word. They may, in fact, be designed to kill later. The large number of unexploded cluster bombs means that farmlands and forests cannot be used or used with great danger. Most people killed and wounded by cluster bombs in the 21 conflicts where they have been used are civilians, often young. Such persons often suffer severe injuries such as loss of limbs and loss of sight. It is difficult to resume work or schooling.

Discussions on a ban on cluster weapons had begun in 1979 during the negotiations in Geneva which led to the 1980 “Convention on Prohibition on the Use of Certain Conventional Weapons which May be Deemed to be Excessively Injurious or to Have Indiscriminate Effects.” The indiscriminate impact of cluster bombs was raised by the representative of the Quaker United Nations Office in Geneva and by myself for the Association of World Citizens. My Nongovernmental Organization text of August 1979 “Anti-Personnel Fragmentation Weapons” called for a ban based on the 1868 St. Petersbourg Declaration and recommended the creation of “permanent verification and dispute-settlement procedures which may investigate all charges of the use of prohibited weapons whether in inter-State or internal conflicts and that such a permanent body include a consultative committee of experts who could begin their work without a prior resolution of the UN Security Council.”

At the start of the review conference of the “Convention on Prohibition on the Use of Certain Conventional Weapons” then UN Secretary-General Kofi Annan called for a freeze on the transfer of cluster munitions – the heart of the current debate on U.S. transfers of cluster weapons to Ukraine.

There was little public outcry at the use by Ukrainian forces of cluster weapons since they were fighting against a stronger enemy. However, the debate in the U.S.A. may raise the awareness of the use of cluster weapons and lead to respect for the aim of the cluster weapon ban.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

June 4: Memories of Tiananmen Square

In Asia, Being a World Citizen, Democracy, Europe, Human Rights, NGOs, Nonviolence, Solidarity, The former Soviet Union, Track II on June 4, 2023 at 4:55 PM

By René Wadlow

June 4 makes the security forces in China somewhat uneasy, especially in Hong Kong where, in the past, there were large memorial meetings to remind people of June 4, 1989, when the military and police moved against those who had been protesting publicly for over a month. Students from colleges and universities in China’s capital initiated protests after the death of the former General Secretary of the Communist Party, Hu Yaobang, on April 15, 1989 who was considered a liberal reformer. The movement then spread over a number of weeks to most of the major cities. Students made numerous demands, among them were calls for an end to government corruption, increased funding for education, and freedom of the press. As the movement went on, students were increasingly joined by industrial workers.

There were differences of opinion within the ruling government circle as to how to deal with the protests. As the protests continued, there was more and more international media attention, especially as there were an increasing number of journalists in Beijing in advance of the visit of the Soviet leader, Mikhail Gorbachev, with a large delegation of Soviet officials.

(C) Jeff Widener/Associated Press

Students and intellectuals started writing petitions setting out demands that were signed by more and more people. The decentralized structure of power and decision-making among groups in Tienanmen Square allowed for tactical innovation as each group was free to act as it desired and stress the symbols it wanted. Thus, art school students created the Goddess of Democracy, largely based on the Statue of Liberty in New York harbor. The growth in support for the student-led protests led the more anti-reformist faction in the government to order a crackdown by the military and the police. The tanks started to move into Tiananmen Square.

Since June 1989 there have been reforms within China – what we might call “democratization from below” but without large scale, highly visible public protests. ‘Stability’ and ‘harmony’ have been the stated government policy aims, colored by the breakup of the Soviet Union and fundamental changes in Eastern Europe. So, democratization needs to proceed quietly and gradually. Such democratization requires long-term vision and skillful leadership. Democratization is basically linked to individualization, to an ever-larger number of people thinking for themselves, creating their own lifestyles and ‘thinking outside the box’. It can be a slow process and repressive forces within the government watch events closely. However, it is likely that the direction of individualism is set and cannot be reversed.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Protecting Cultural Heritage in Time of War

In Arts, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Cultural Bridges, Current Events, Europe, Humanitarian Law, NGOs, Solidarity, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, United Nations, War Crimes, World Law on May 18, 2023 at 7:56 AM

By René Wadlow

War and armed violence are highly destructive of the lives of persons, but also of works of art and elements of cultural heritage. The war in Ukraine has highlighted the destructive power of war in a dramatic way. Thus, this May 18, “International Museum Day”, we outline some of the ways in which UNESCO is working to protect the cultural heritage in Ukraine in time of war.

May 18 has been designated by UNESCO as the International Day of Museums to highlight the role that museums play in preserving beauty, culture, and history. Museums come in all sizes and are often related to institutions of learning and libraries. Increasingly, churches and centers of worship have taken on the character of museums as people visit them for their artistic value, even they do not share the faith of those who built them.

Knowledge and understanding of a people’s past can help current inhabitants to develop and sustain identity and to appreciate the value of their own culture and heritage. This knowledge and understanding enriches their lives. It enables them to manage contemporary problems more successfully.

It is widely believed in Ukraine that one of the chief aims of the Russian armed intervention is to eliminate all traces of a separate Ukrainian culture, to highlight a common Russian motherland. In order to do this, there is a deliberate destruction of cultural heritage and a looting of museums, churches, and libraries in areas when under Russian military control. Museums, libraries, and churches elsewhere in Ukraine have been targeted by Russian artillery attacks.

After the Second World War, UNESCO had developed international conventions on the protection of cultural and educational bodies in times of conflict. The most important of these is the 1954 Hague Convention for the Protection of Cultural Property in the Event of Armed Conflict. The Hague Convention has been signed by a large number of States including the USSR to which both the Russian Federation and Ukraine are bound.

A Blue Shield in Vienna, Austria (C) Mosbatho, CC BY 4.0

UNESCO has designed a Blue Shield as a symbol of a protected site. Audrey Azoulay, Director-General of UNESCO, has brought a number of these Blue Shields herself to Ukraine to highlight UNESCO’s vital efforts.

The 1954 Hague Convention builds on the efforts of the Roerich Peace Pact signed on April 15, 1935 by 21 States in a Pan-American Union ceremony at the White House in Washington, D.C. In addition to the Latin American States of the Pan American Union, the following States also signed: Kingdom of Albania, Kingdom of Belgium, Republic of China, Republic of Czechoslovakia, Republic of Greece, Irish Free State, Empire of Japan, Republic of Lithuania, Kingdom of Persia, Republic of Poland, Republic of Portugal, Republic of Spain, Confederation of Switzerland, Kingdom of Yugoslavia.

At the signing, Henry A. Wallace, then U.S. Secretary of Agriculture and later Vice-President, said, “At no time has such an ideal been more needed. It is high time for the idealists who make the reality of tomorrow, to rally around such a symbol of international cultural unity. It is time that we appeal to that appreciation of beauty, science, education which runs across all national boundaries to strengthen all that we hold dear in our particular governments and customs. Its acceptance signifies the approach of a time when those who truly love their own nation will appreciate in addition the unique contributions of other nations and also do reverence to that common spiritual enterprise which draws together in one fellowship all artists, scientists, educators and truly religious of whatever faith. Thus we build a world civilization which places that which is fine in humanity above that which is low, sordid and mean, that which is hateful and grabbing.”

We still have efforts to make so that what is fine in humanity is above what is hateful and grabbing. However, the road signs set out the direction clearly.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Caresse Crosby: A World Citizen’s Passionate Years

In Being a World Citizen, Cultural Bridges, Europe, Literature, Poetry, The Search for Peace, United States on April 22, 2023 at 8:22 AM

By René Wadlow

Caresse Crosby (April 20, 1891 – January 24, 1970) was one of the more colorful figures of the early world citizens movement, heading the World Citizen Information Center in Washington, D. C. Her autobiography The Passionate Years was first published in 1953 and more recently republished by the Southern Illinois University Press in 1968. The Southern Illinois University Library holds her papers.

Most of The Passionate Years concerns Caresse Crosby’s life in Paris as the publisher of the Black Sun Press, at the center of the United States (U. S.) writers living in Paris in the 1920s – what has been called the Lost Generation – Ernest Hemingway, Ezra Pound, F. Scott Fitzgerald, Archibald MacLeish. She had moved to Paris in 1922 from Boston with her then husband, Harry Crosby. Harry Crosby was a nephew of J. P. Morgan, the banker. Harry had a short-term job at the Paris branch of the Morgan Bank, but he was not interested in banking and had a reasonable income from a trust fund. Thus, he started a small publishing house to publish in fine but limited editions books of his own poems and those of his friends. Harry Crosby was always preoccupied with the idea of death, having seen it closely as a medical worker in France during the last part of the First World War. Hence the name of Black Sun, a symbol of death overcoming the light of the Sun for the publishing house. On a trip back to New York in 1929 in what may have been a suicide pact, Harry Crosby first shot a woman friend and then himself with her in his arms. (1)

Caresse stayed on in Paris to continue the Black Sun publishing house, opening it also to French writers she liked such as Antoine de Saint-Exupéry. In 1936, seeing the clouds of tensions growing in Europe, she moved back to the USA, living in New York City and Washington, D. C. It was at this time that she began promoting the idea of world citizenship to counter the narrow nationalism she had seen firsthand in visits to Italy and Germany.

Right at the end of the Second World War, she wanted to create a Center for World Peace at Delphi, Greece – a place of inspiration from the Greek gods. However, the Greek Government still weak from the German occupation and the anti-Communist civil war did not want such a center with an ideology that it did not understand. The Greek Government refused the visas. Caresse then moved the idea to Cyprus and created the World Man Center with a geodesic dome designed by Buckminster Fuller, who had become her lover at the time. Cyprus, then under British control, was somewhat out of the way for the sort of visiting writers, painters, and intellectuals that Caresse usually attracted. Thus, she bought a castle north of Rome, the Castello di Rocca Sinibalda, and established an artists’ colony for young artists. She divided her time between this Rome area and her New York and Washington quarters.

For Caresse Crosby, World Citizenship was an aesthetic rather than a political concept, but she did plant seeds in the minds of people largely untouched by geopolitical considerations.

Caresse Crosby and her whippet, Clytoris (1922, author unknown)

1) See Geoffrey Wolff, Black Sun: The Brief Transit and Violent Eclipse of Harry Crosby (New York: New York Review of Books, 2003).

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Benjamin Ferencz, Champion of World Law, Leaves a Strong Heritage on Which to Build

In Africa, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Human Rights, International Justice, NGOs, The Balkan Wars, The Search for Peace, Track II, United Nations, United States, War Crimes, World Law on April 18, 2023 at 7:11 AM

By René Wadlow

Benjamin Ferencz, champion of World Law and World Citizenship, died on April 7, 2023 at the age of 103, leaving a strong heritage of action for world law. He was particularly active in the creation of the International Criminal Court (ICC) located in the Hague.

He was born in March 1920 in what is now Romania, close to the frontiers of Hungary and Ukraine. In the troubled period after the end of the First World War, the parents of Ferencz, who were Jews, decided to emigrate to New York with the help of the Hebrew Immigrant Aid Society. They settled in New York City, and Ferencz changed his Yiddish name Berrel to Benjamin and studied in the New York school system. He did his undergraduate work at City College and then received a scholarship to Harvard Law School, a leading United States (U. S.) law school.

(C) United States Holocaust Memorial Museum

At the end of his law studies at Harvard, he was taken into the U. S. Army and in 1944, he was in Europe with the Army legal section, the Judge-Advocate General Corps. By conviction and interest, he began to collect information on the Nazi concentration camps. He was able to find photos, letters, and other material that he later was able to use as one of the prosecution team in the Nuremberg trials of Germans accused of war crimes. He was also a staff member of the Joint Restitution Successor Organization concerned with the restoration or compensation of goods having belonged to Jewish families. Thus, he developed close cooperation with the then recently created state of Israel.

(C) Leit

From his experiences with the German trials and the many difficulties that the trials posed to be more than the justice of the victors and also the need not to antagonize the recently created Federal Republic of Germany, Ferencz became a strong advocate of an international legal system such as the Tribunals on ex-Yugoslavia of 1993 and on Rwanda (1994). Much of his effort was directed to the creation of the ICC, a creation that owes much to efforts of nongovernmental organizations, such as the Association of World Citizens. It was during this effort for the creation of the ICC that we came into contact.

Benjamin Ferencz leaves a heritage on which we can build. The development of world law is often slow and meets opposition. However, the need is great, and strong efforts at both national and international levels continue.

(C) Adam Jones

(1) See Benjamin B. Ferencz, A Common Sense Guide to World Peace (Dobbs Ferry, NY: Oceana Publications, 1985).

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

UN Highlights Rape as a War Weapon in Ukraine

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Human Rights, Humanitarian Law, International Justice, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, UKRAINE, United Nations, War Crimes, Women's Rights, World Law on November 16, 2022 at 8:41 AM

By René Wadlow

Pramila Patten, the United Nations (UN) Human Rights Council Special Rapporteur on sexual violence in times of conflict reported mid-October 2022 that rape is increasingly used in the armed conflict in Ukraine as a weapon to humiliate and discourage the populations. There had been an earlier September 27 report to the High Commissioner for Human Rights setting out many of the same facts and calling for international action.

In the past, sexual violence had often been dismissed as acts of individual soldiers, rape being one of the spoils of war for whom rape of women was an entitlement. However, with the 2001 trials of war crimes in former Yugoslavia by the International Criminal Tribunal for ex-Yugoslavia, the first convictions of rape as a crime against humanity and violations of the laws or customs of war were handed down against Bosnian Serb soldiers. Bosnian Serb fighters were charged with mass rape and forced prostitution involving dozens of Muslim women and girls, some only 12 years old. The case had taken five years of investigations and more than 30 witnesses for the prosecution. The three soldiers being tried were given a sentence of 12 years imprisonment.

Since then, we have seen patterns of systematic rape become part of International Humanitarian Law, and since 2002 one of the crimes that can be prosecuted within the International Criminal Court. (1)

There have been reports of systematic rape in Ukraine since 2014 with the creation of the People’s Republics of Donetsk and Luhansk by both Ukrainian and separatist soldiers. However, little international attention was given to these reports. It is only with the invasion of Ukraine by Russian troops on February 24, 2022 that international attention has focused on reports of rape especially in areas that were for a time under the control of the Russian military or the militias of the two People’s Republics. (2)

Unfortunately, it would seem that the armed conflict in Ukraine will drag on. There are few signs of a willingness for a negotiated settlement. International Humanitarian Law moves slowly. Rape as a war weapon is used in other armed conflicts such as those in the Democratic Republic of Congo, Darfur, Sudan, and Syria. Strong nongovernmental pressure is needed to keep governmental and UN efforts going on.

Notes

1) For a good overview of both specific armed conflicts and the slow but steady international response, see Carol Rittner and John K. Roth (Eds), Rape: Weapon of War and Genocide (St. Paul, MN: Paragon House, 2012)

2) See Amnesty International “Ukraine 2021”: http://www.amnesty.org, Secretary-General’s Report, Organization for Security and Cooperation in Europe, http://www.osce.org

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Saber Rattling With Nuclear Weapons

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, United Nations, World Law on September 27, 2022 at 7:21 AM

By René Wadlow

On September 21, the United Nations (UN)-designated Day of Peace, Vladimir Putin, President of the Russian Federation, said in an address to the nation,

“I am addressing you – all citizens of our country, people of different generations, ages and ethnicities, the people of our great Motherland, all who are united by the great historical Russia, soldiers, officers and volunteers who are fighting on the frontline and doing their combat duty, our brothers and sisters in the Donetsk and Lugansk People’s Republics, Kherson and Zaporazhye regions and other areas that have been liberated from the neo-Nazi regime.”

He set out the dangers facing the Federation,

“The goal of that part of the West is to weaken, divide and ultimately destroy our country. They are saying openly now that in 1991 they managed to split up the Soviet Union and now is the time to do the same to Russia, which must be divided into numerous regions that would be at deadly feud with each other … Washington, London and Brussels are openly encouraging Kiev to move hostilities to our territory. They openly say that Russia must be defeated on the battlefield by any means, and subsequently deprived of political, economic, cultural and any other sovereignty and ransacked.”

To meet these challenges, he ordered a “partial mobilization in the Russian Federation to defend our Motherland and its sovereignty and territorial integrity, and to ensure the safety of our people and people in the liberated territories.” Sergey Shoigu, the Russian Defense Minister, set out the details in a public statement just after Putin’s address. The mobilization will call up men below the age of 65 who have had military service. There are some 300,000 people in this category.

The nuclear saber rattling followed. Putin went on,

“I am referring to the statements made by some high-ranking representatives of the leading NATO countries on the possibility and admissibility of using weapons of mass destruction – nuclear weapons against Russia … In the event of a threat to the territorial integrity of our country and to defend Russia and our people, we will certainly use all weapon systems available to us. This is not a bluff.”

He ended by saying, “The citizens of Russia can rest assured that the territorial integrity of our Motherland, our independence and freedom will be defended – I repeat – by all the systems available to us.”

What makes the current situation more ambiguous and dangerous is that Vladimir Putin announced and confirmed by Sergey Shoigu that from September 23 to 27, 2022, there would be referendums in the Donetsk and Lugansk People’s Republics and in the areas under Russian control in the Kherson and Zaporazhye regions on joining the Russian Federation. People who are refugees in Russia from these areas will also be able to vote. A vote favorable to joining Russia is not in doubt. Thus, any future military operations by Ukraine forces in these areas could be considered by Russia as an attack on Russian territory.

It is impossible to know to what extent the nuclear weapon saber rattling is serious and goes beyond a justification for the mobilization of former military – not a popular policy. The situation calls for active efforts to decrease tensions on the part of the UN, national governments, and Nongovernmental Organizations. The next weeks may be crucial.

Prof. René Wadlow of the President of the Association of World Citizens.

1989, l’affaire Salman Rushdie : Quand la France célébrait sa Révolution sous les feux croisés de l’obscurantisme

In Africa, Being a World Citizen, Cultural Bridges, Current Events, Democracy, Europe, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, NGOs, Solidarity, Spirituality, The Search for Peace, United Nations on August 15, 2022 at 1:02 PM

Par Bernard J. Henry

Après les Etats-Unis en 1976, les Français ont célébré en 1989 le Bicentenaire de la Révolution qui a créé leur république, avec pour traits d’union entre les deux pays le Marquis de la Fayette, «héros des deux mondes» en France comme le deviendrait plus tard Giuseppe Garibaldi en Italie, et le fameux «Ça ira» de Benjamin Franklin, Ministre des Etats-Unis d’Amérique à Paris mais francophone malhabile qui, lorsqu’on lui demandait des nouvelles de son pays, répondait par ces deux seuls mots que les sans-culottes avaient fini par reprendre à leur profit. Mais en France, l’année 1989 fut loin d’être placée sous le seul signe des idéaux de la Révolution française tels que résumés en sa devise officielle – Liberté, Égalité, Fraternité.

Depuis le début des années 1980, la France était régulièrement frappée par le terrorisme lié au conflit israélo-palestinien, comme lorsque fut frappé voici quarante ans ce mois-ci, le 9 août 1982, le restaurant Jo Goldenberg dans le quartier juif de Paris. Depuis les élections municipales de 1983 et dans des proportions sans précédent depuis la Libération, l’extrême droite reprenait pied dans la politique française avec les succès électoraux du Front National, dénoncés ainsi que la complaisance du reste de la classe politique par Louis Chedid dans Anne, ma sœur Anne.

C’était déjà beaucoup, évidemment trop. Mais ce n’était pourtant qu’un début, et bientôt une France déjà en proie à ses propres démons allait se trouver prise au cœur de luttes d’envergure mondiale, luttes qui, bien que jamais vraiment disparues, viennent aujourd’hui se rappeler tragiquement au souvenir non seulement de la France mais du monde entier, avec l’agression de Salman Rushdie le 12 août dans l’État de New York.

La Dernière Tentation du Christ : la Contre-Révolution contre-attaque

Le réalisateur américain Martin Scorsese (C) David Shankbone

En août 1988, le cinéaste américain Martin Scorsese sort son nouveau film, La Dernière Tentation du Christ, d’après un roman de Níkos Kazantzákis. En rupture directe avec les récits bibliques, Scorsese y dépeint un Jésus vivant comme tout mortel, peu soucieux du péché ou de la foi, et qui prend soudainement conscience de sa mission divine puis entame un parcours messianique en s’opposant aux dirigeants mêmes du peuple juif dont il est issu. Devant les caméras de Scorsese, c’est Jésus lui-même qui demande à Judas, son premier adepte, de le dénoncer aux Romains afin d’être arrêté et mourir en martyr. Mais, alors qu’il attend la mort sur sa croix, Jésus se voit offrir le salut par un ange qui vient lui dire qu’il est Fils de Dieu, mais non pas le Messie, et doit vivre en homme normal. Sauvé par l’ange de la crucifixion, Jésus épouse Marie-Madeleine et fonde avec elle une famille heureuse.

A la fin de sa vie, Jésus appelle auprès de lui ses anciens disciples et Judas lui avoue que l’ange qui l’a sauvé était en réalité Satan, dont lui est venue cette «dernière tentation» de vivre en homme ordinaire et non en Messie. Mourant, Jésus rampe jusqu’à la croix dont Satan l’avait jadis extrait, dans une Jérusalem en flammes puisque n’ayant jamais été pacifiée par son enseignement. Il implore Dieu de le replacer sur la croix, afin de pouvoir enfin accomplir sa destinée. Crucifié une nouvelle fois, il sait sa mission menée à bien et meurt.

Cette uchronie religieuse soulève la fureur chez les Chrétiens à travers le monde entier, d’abord chez les Protestants aux Etats-Unis même puis, en France, chez les Catholiques, l’Archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger parvenant même à faire plier le Gouvernement socialiste de François Mitterrand qui, d’abord partenaire du film, finit par jeter l’éponge.

A sa sortie en France en septembre, le film réveille un mouvement catholique intégriste que l’on croyait décapité depuis l’excommunication au printemps de Monseigneur Marcel Lefebvre et la mise au ban par le Vatican de sa Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X traditionaliste et hostile à Vatican II. En octobre, un cinéma projetant La Dernière Tentation du Christ est incendié dans l’est de la France et, à Metz, la visite du Pape Jean-Paul II donne lieu au retrait du film des salles locales. Bientôt, le film est déprogrammé partout ailleurs ou projeté sous protection policière. Le 23 octobre, un commando catholique intégriste attaque l’Espace Saint-Michel à Paris, dernière salle projetant encore le film, blessant quatorze personnes dont deux grièvement.

En pleine célébration de sa Révolution et de l’Être suprême, divinité laïque sous les auspices de laquelle était adoptée le 26 août 1789 la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la France découvre que l’esprit vengeur des Chouans de Bretagne et des royalistes de Vendée qui refusaient la fin de la monarchie de droit divin était toujours là, et que, comme leurs ancêtres révolutionnaires, les Français républicains de 1989 allaient devoir y faire face. Et à l’intégrisme catholique menaçant le Bicentenaire allait bientôt s’ajouter l’intégrisme issu des rangs d’une autre religion majeure de France – l’Islam.

Allah et Les Versets sataniques : les «intégristes musulmans» à l’assaut de l’Être suprême

En 1989, la France ne parle pas encore d’islamisme. Ce terme n’apparaît que l’année suivante, lorsque les premières élections libres et multipartites en Algérie voient non pas la victoire courue d’avance du Front de Libération Nationale (FLN), jusqu’alors parti unique, mais du Front islamique du Salut (FIS), parti prônant une application stricte de la loi coranique dans tous les domaines de l’administration et de la vie publique. Pour l’instant, en cette année 1989, la France parle d’intégrisme musulman. Jusqu’à présent, cet intégrisme s’est surtout manifesté à travers le terrorisme, non dans une moindre mesure en lien avec l’Iran comme en témoigne l’affaire Wahid Gordji. Mais la France est sur le point de découvrir que cet intégrisme peut aussi frapper là où elle l’attend le moins, sur un terrain où, ceinte de ses idéaux révolutionnaires, elle se croit inexpugnable. Le terrain de la culture.

Dès 1987, la chanteuse Véronique Sanson envisageait une chanson contre l’intégrisme religieux, racontant l’histoire d’un couple maghrébin se muant en auteurs d’un attentat-suicide par l’explosion d’un camion. Alors qu’elle entend intituler sa chanson Dieu, le chanteur Michel Berger, son ancien compagnon qui produit pour elle l’album devant contenir la chanson, lui suggère de l’intituler Allah en référence à l’extrémisme musulman qui, à travers le monde, s’affirme alors de plus en plus comme une «troisième force» entre les Etats-Unis de Ronald Reagan et l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev. C’est ainsi que la chanteuse enregistre Allah, où elle s’en prend directement au Dieu de l’Islam pour les attentats commis en son nom par des fanatiques.

Véronique Sanson

Alors qu’elle s’apprête à donner un concert à l’Olympia, Véronique Sanson reçoit des menaces de mort lui enjoignant de ne pas chanter Allah. Le 14 février 1989, une fatwa est lancée contre elle avec ordre de la tuer. La carrière de la chanson s’arrête là. Mais pas celle de l’extrémisme se réclamant de l’Islam, car bien sûr, Rushdie est le prochain sur la liste.

C’est en septembre 1988 que l’écrivain britannique d’origine indienne, naturalisé américain, publie son quatrième roman, Les Versets sataniques (The Satanic Verses). Les protagonistes, deux artistes indiens vivant en Angleterre contemporaine, se trouvent pris dans un détournement d’avion et, alors que l’appareil explose en plein vol, se voient miraculeusement y survivre puis prendre pour l’un, la personnalité de l’Ange Gabriel et, pour l’autre, celle d’un démon. Ce dernier réussit à ruiner la vie, notamment sentimentale, de son comparse qui le lui pardonne toutefois en bon ange que, selon lui, il est devenu. Tous deux rentrés en Inde, le premier tue sa compagne avant de se suicider, et le second, jusqu’alors brouillé avec son identité indienne ainsi que son propre père, se réconcilie avec les deux et reste vivre dans son Inde natale.

Salman Rushdie

Mais derrière cette histoire de deux Indiens frappés d’une maladie mentale, servant de trame au roman de Rushdie, d’autres parties du roman s’avèrent plus problématiques, du moins pour les Musulmans les plus dogmatiques.

A l’instar de Scorsese mettant en scène un Christ détourné de sa mission salvatrice par un Satan habilement déguisé, Rushdie dépeint Mahomet, le Prophète de l’Islam, adoptant trois divinités païennes de La Mecque en violation du principe islamique du dieu unique, les trois divinités ayant dicté à Mahomet de faux versets du Coran en ayant pris l’apparence d’Allah. Le récit romancé de Rushdie amène ensuite des prostituées de La Mecque à se faire passer pour les épouses du Prophète, puis l’un des compagnons de Mahomet à douter de lui en tant que messager de Dieu et l’accuser d’avoir volontairement réécrit certaines parties du Coran en occultant le verbe divin.

Rushdie poursuit avec le récit, toujours fictif, d’une jeune paysanne indienne affirmant recevoir des révélations de l’Archange Jibreel («Gabriel» en arabe). Elle convainc son village entier d’entreprendre un pèlerinage en marchant jusqu’à La Mecque, affirmant qu’ils pourront tous traverser la mer à pied. Mais les pèlerins disparaissent tous, les témoignages discordant sur leur noyade pure et simple ou leur traversée miraculeuse de la mer comme l’aurait promis l’Archange Jibreel.

Puis Rushdie présente un chef religieux fanatique expatrié, «l’Imam», chef religieux en lequel est aisément reconnaissable l’Imam Ruhollah Khomeini, Guide suprême de la République islamique d’Iran, exilé en France jusqu’à la révolution islamique de 1979.

Après le tollé chez les Chrétiens contre Scorsese, c’est au tour de Rushdie d’enflammer le monde musulman. Au Pakistan, Les Versets sataniques sont interdits et, le 12 février 1989, dix mille personnes manifestent contre lui à Islamabad où le Centre culturel américain et un bureau d’American Express sont mis à sac. L’Inde interdit l’importation de l’ouvrage et des autodafés se font jour en Grande-Bretagne.

En février 1989, c’est au tour de Khomeini d’ajouter à la polémique en édictant une fatwa, littéralement une «opinion juridique», facultative en Islam sunnite mais ayant valeur contraignante chez les Chiites, appelant au meurtre de Rushdie et de ses éditeurs ainsi qu’à faciliter ce meurtre à défaut de le commettre soi-même. En Grande-Bretagne, le Gouvernement conservateur de Margaret Thatcher prend fait et cause pour Rushdie, qu’il place sous protection policière, mais un jeune député travailliste nouvellement élu organise dans sa circonscription une marche pour l’interdiction des Versets sataniques et un ancien leader du Parti conservateur, Norman Tebbit, sans aucun lien personnel avec l’Inde ou l’Islam par ailleurs, condamne et injurie publiquement Rushdie.

Là où Martin Scorsese continue d’aller et venir librement, Véronique Sanson ayant tôt fait de sortir de nouveaux titres et faire oublier Allah, Rushdie se trouve désormais prisonnier d’une alternative qui résume tout son sort – la clandestinité ou la mort.

Héritage humaniste contre héritage de haine

Devenu invisible et introuvable, Rushdie publie en 1995 un nouveau roman, Le dernier soupir du Maure (The Moor’s Last Sigh). Mais, pour avoir perdu en intensité, la menace de Téhéran n’en a pas pour autant disparu. Loin des regards, c’est désormais par procuration que Rushdie continue d’être attaqué.

En 1991, les traducteurs italien et japonais de Rushdie sont assassinés. Deux ans plus tard, un traducteur norvégien des Versets sataniques échappe de peu à une tentative de meurtre par balles puis un traducteur turc manque de succomber à un incendie volontaire qui le visait.

En 1998, l’Iran de Mohammed Khatami, Président se voulant réformiste, annonce la fin de la fatwa contre Rushdie qui, à son tour, abandonne sa vie en clandestinité. Mais en 2006, le conservateur nationaliste Mahmoud Ahmadinejad qui a succédé à Khatami fait marche arrière ; pour lui, une fatwa ne peut être annulée que par la personne qui l’a édictée, et puisque Khomeini est décédé, la fatwa est irréversible. Dix ans plus tard, la prime promise par l’Iran pour le meurtre de Rushdie dépasse les trois millions de dollars, notamment sous l’impulsion des médias iraniens.

Et le 12 août dernier, alors qu’il s’apprête à donner une conférence à la Chautauqua Institution dans l’Etat de New York, Rushdie est poignardé au cou par Hadi Matar, Chiite d’origine libanaise dont les réseaux sociaux grouillent de messages de soutien au régime iranien et d’admiration pour Khomeini. Hospitalisé en urgence, placé sous assistance respiratoire, il est menacé de perdre un œil ; le 14, son agent annonce qu’il se rétablit et respire normalement. En Iran, la presse conservatrice couvre de louanges Hadi Matar qui, ensuite amené devant la justice, plaide non coupable.

En France, d’aucuns convoquent aussitôt le souvenir de l’attentat terroriste du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, régulièrement accusé de s’en prendre systématiquement à l’Islam et aux Musulmans, en particulier depuis la publication dans ses colonnes, en 2006, de caricatures de Mahomet parues dans un journal d’extrême droite au Danemark. C’est toutefois après avoir critiqué non l’Islam mais l’islamisme, incarné par le parti tunisien Ennahda et une partie du Conseil national de Transition en Libye, que Charlie Hebdo avait connu en 2011 l’incendie de ses locaux à Paris. Quant à l’attentat ayant décimé sa rédaction, Charlie Hebdo le devait bien à deux terroristes résolus, deux frères membres d’Al-Qaïda en Péninsule Arabique, Cherif et Saïd Kouachi. L’Islam ne tue pas, l’islamisme oui.

Pour les Français, immanquablement, le souvenir de l’attentat contre Charlie Hebdo en appelle un autre, celui de l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie victime d’un autre attentat terroriste à Conflans-Sainte-Honorine, en région parisienne, le 16 octobre 2020 alors que se tenait justement à Paris le procès des auteurs présumés des attentats de janvier 2015 dont celui contre Charlie Hebdo, en dehors des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly qui avait attaqué l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Samuel Paty avait été dénoncé par certains élèves musulmans comme ayant utilisé des dessins parodiques de Mahomet parus dans Charlie Hebdo, ce qui avait fait de lui une cible du seul fait de son enseignement, non contre l’Islam mais en faveur de l’esprit critique.

Étrangère à l’univers anglo-saxon de l’Amérique de Scorsese ou de l’Angleterre de Rushdie, la France qui célébrait sa Révolution s’était retrouvée victime collatérale des deux épisodes mais n’en avait pas connu de semblable pour ses propres artistes, notamment pas pour Véronique Sanson contre laquelle la fatwa aura fait long feu. Inspirée par le Bicentenaire de la Révolution, Isabelle Adjani, l’une des actrices françaises les plus en vogue à l’époque, n’en avait pas moins lu à haute voix un extrait des Versets sataniques lors de la cérémonie des Césars en 1988. Malgré tout, la France républicaine avait bien dû se faire une raison, constatant que les idéaux qu’elle célébrait et voulait universels ne l’étaient pas tant qu’elle le croyait et que, dans cet Occident qui regardait de haut un «Tiers Monde» auquel il imputait l’intégrisme religieux comme une conséquence de son sous-développement, ce même intégrisme existait aussi, non du seul fait de migrants musulmans mais aussi de citoyens de lignée locale depuis des siècles, non du seul fait d’un Islam qui, ailleurs, avait pris les armes mais aussi du même catholicisme qui, le dimanche matin, rassemblait les fidèles devant Le Jour du Seigneur sur la télévision d’État.

Triste préfiguration d’un monde qui, en quittant les années 1980 et par miracle la Guerre Froide, (r)entrait successivement dans la guerre «chaude» avec la campagne militaire internationale pour la libération du Koweït envahi en août 1990 par l’Irak, les guerres balkaniques avec camps d’internement et purification ethnique rappelant sombrement la Shoah, le terrorisme généralisé, ici islamique du fait d’Al-Qaïda et ailleurs d’extrême droite comme à Oklahoma City, et l’extrême droite au pouvoir, fût-ce en coalition gouvernementale, comme en Italie.

D’aucuns en France voudraient penser que tous les chemins mènent non à Rome, mais à Paris, et donc que tous les chemins en partent aussi. En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait bel et bien résonné, pour sa part, loin par-delà les frontières du Royaume de France. Là où les textes constitutionnels américains avaient été scrutés principalement par les ennemis britannique et espagnol de la jeune Amérique indépendante, la proclamation française «en présence de l’Être suprême» avait permis au monde entier de comprendre qu’une nouvelle ère commençait. Deux cents ans plus tard, la fête de ce légitime moment de fierté pour le peuple français lui offrait tout le contraire, l’obscurantisme et la violence venues d’ailleurs convergeant vers Paris pour ternir ce moment de joie et ouvrir la voie à une fin du vingtième siècle qui ne pouvait que laisser craindre le pire.

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée le 26 août 1789 (C) Musée Carnavalet – Paris

Aucun respect du droit sans respect de l’écrit

Et le vingt-et-unième siècle n’a pas manqué de tenir les terribles promesses de son prédécesseur. Pire attentat terroriste de l’histoire en 2001, extrême droite au pouvoir dans deux pays d’Europe et ayant manqué de l’être aussi en France en 2002, invasion de l’Irak cette fois sans mandat international en 2003, tortures de civils dans ce même Irak l’année suivante …  La liste serait bien trop longue. Mais une chose est sûre, ce qui était au vingtième siècle le futur ressemble horriblement à ce qui était vu, à l’époque, comme un passé révolu.

Des écrivains comme Rushdie, tous les pouvoirs tyranniques en ont toujours emprisonné, interdit, torturé voire tué. Dans le contexte individuel de 1989, plus encore en France, Rushdie était devenu le symbole vivant d’un mal nouveau, menaçant un monde où le Mur de Berlin était toujours debout même si l’URSS vaincue en Afghanistan semblait à genoux. Mais avec le nouveau siècle est venue l’expansion de la nouvelle technologie, et avec elle, la possibilité d’être auteur sans plus devoir passer par un journal ou une maison d’édition, avec l’apparition des blogs et, pas toujours pour le meilleur, des réseaux sociaux. Et qui dit nouveaux moyens d’expression dit nouvelle peur pour les régimes répressifs, et avec cette nouvelle peur, de nouveaux motifs de répression. Publié sur papier ou autopublié sur Internet, qu’importe aujourd’hui, vous risquez tout autant de payer cher le moindre de vos mots contre qui veut régner en imposant le silence.

Active au sein du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, l’Association of World Citizens ne s’est jamais limitée pour autant à cette seule enceinte genevoise, ayant toujours porté la défense des Droits Humains partout où elle le peut.

En Tunisie où, depuis un an, les initiatives du Président Kaïs Saied mettent à mal l’héritage de la Révolution de janvier 2011, le journaliste Salah Attia en a fait les frais pour avoir dénoncé ces dérives autoritaires en direct sur la chaîne Al Jazeera. Jugé sur ce seul fondement par des militaires en uniforme, il s’est retrouvé détenu à la prison de Mornaguia près de Tunis. Dans la Libye voisine qui n’a jamais su trouver sa voie nouvelle depuis la révolte populaire contre Mu’ammar Kadhafi, hélas devenue intervention militaire franco-britannique aux motifs plus qu’incertains, c’est Mansour Atti, journaliste lui aussi, mais également blogueur et dirigeant local du Croissant-Rouge, qui fut enlevé en juin 2021 par un groupe armé réputé proche des Forces armées libyennes.

Toujours en Afrique mais plus au sud, dans la Corne du continent, en Somalie où l’État central ne s’est jamais vraiment reconstitué depuis 1990 et la désagrégation du pays après la fin de la dictature de Mohamed Siad Barré, un journaliste indépendant nommé Kilwe Adan Farah fut arrêté en décembre 2020 dans la région autonome de facto du Puntland où il venait de couvrir une manifestation contre les autorités locales. Jugé lui aussi par un tribunal militaire, il fut condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir «répandu des fausses nouvelles et incité au mépris envers l’État». A ce jour, il purge encore sa peine.

Kilwe Adan Farah

Le terrorisme jihadiste en France et ailleurs l’a prouvé : ce qui menaçait Salman Rushdie n’a jamais disparu, tout au plus changé de forme. Mais aujourd’hui, là où un interdit fanatique peut toujours frapper quelqu’un qui s’exprime par l’écrit, l’interdit peut venir également des forces armées dans un pays cherchant sa voie constitutionnelle et, dans le meilleur des cas, démocratique. Quitte à oser vouloir faire croire qu’un écrit public dénué de toute intention malveillante peut menacer un pays tout entier de ne jamais (re)trouver une vie libre et paisible.

En France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, mais bien sûr pas seulement, la loi permet de saisir la justice contre un écrit public et obtenir soit réparation si l’on est visé à titre personnel, soit condamnation pénale dans le cas d’un abus de la liberté d’expression internationalement reconnaissable comme tel, par exemple à travers la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Et ce sera toujours, dans ces trois pays et partout ailleurs dans le monde, une infaillible indication du respect de l’État de droit par opposition à la loi de la jungle ou à celle du talion. Quiconque se reconnaît Citoyen du Monde doit défendre sans faille ces principes, sachant que là où un écrit peut valoir la mort, il n’est aucune responsabilité envers sa communauté locale, a fortiori envers la communauté humaine mondiale, que l’on puisse entendre assumer à moins que ce ne soit, au bout du compte, en vain.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.