VIOLENCES CONTRE LES FEMMES : DES MURS QUI EMPRISONNENT
Par René Wadlow
Lorsque, dans son discours de lauréat du Prix Nobel de la Paix (1974), Sean McBride (1904-1988) a cité, aux côtés du développement et de l’acceptation des armes nucléaires sans discernement, l’utilisation d’armes chimiques et d’assassinats politiques comme les signes d’un « écroulement presque total de la moralité publique et privée dans pratiquement tous les secteurs des relations entre les êtres humains », il a mis l’accent sur le thème qui lui était le plus cher : la nécessité d’actions non-gouvernementales visant à assurer la survie.
Même si McBride avait servi en qualité de Ministre irlandais des Affaires Etrangères entre 1948 et 1951 et joué en cela un rôle important dans la création du Conseil de l’Europe, c’est bien en tant que dirigeant d’une organisation non-gouvernementale (ONG) qu’il a apposé sa marque dans l’histoire – en tant que premier président du Comité Exécutif d’Amnesty International (1961-1974), Secrétaire Général de la Commission international des Juristes (1963-1970) et Président du Bureau international de la Paix. C’est dans le cadre de ses efforts pour mettre en lumière l’usage répandu de la torture que nous avions commencé à travailler ensemble à Genève. Il dénonçait des techniques de torture « qui faisaient passer la poucette et le rack du Moyen Age pour des jouets d’enfants ».
Il critiquait particulièrement la torture et la violence à l’encontre des femmes. Il avait été élevé en grande partie par sa mère, l’actrice et militante nationaliste irlandaise Maud Gonne. Son père, John McBride, avait été pendu par les Britanniques pour sa participation à l’insurrection de Pâques en 1916, quand Sean avait douze ans. La violence contre les femmes était donc doublement injuste – parce qu’il s’agissait de violence et parce que les femmes devaient être respectées.
Quand Sean McBride, au travers d’Amnesty International, a soulevé pour la première fois la question de la torture à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, les représentants des divers gouvernements ont répondu que la torture pouvait arriver occasionnellement – il y a toujours bien des policiers ou des gardiens de prison à la main lourde – mais que la torture était rare et jamais employée en tout cas au titre de politique gouvernementale officielle. Cependant, une fois que la question a été soulevée et reprise par les représentants d’autres ONG, il est devenu clair que la torture était généralisée, à travers les différentes cultures et les différents systèmes politiques eux-mêmes. En fin de compte, la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a nommé un Rapporteur spécial pour la Torture et mis en place un moyen systématique d’examiner les plaintes de torture.
Pareillement, c’est pour beaucoup cette façon de faire qui a été utilisée pour faire naître une prise une conscience au sujet des violences contre les femmes. Quand la question a été soulevée pour la première fois par les représentants d’ONG, les gouvernements ont répondu là encore que la violence contre les femmes existait en effet, mais qu’elle était rare ou n’était en tout et pour tout qu’une « violence conjugale », ce qui faisait que les gouvernements ne pouvaient intervenir si la police n’agissait pas la première.
Toutefois, des preuves émanant du monde entier furent présentées par les ONG qui établissaient que la violence contre les femmes atteignait un niveau alarmant. La violence contre les femmes est une agression contre leur intégrité physique, et aussi contre leur dignité. Comme l’ont souligné les représentants des ONG, nous devons mettre l’accent sur l’universalité de la violence contre les femmes, sur la multiplicité des formes qu’elle prend et sur les façons dont la violence, ainsi que la discrimination, que subissent les femmes, et de manière plus large le système de domination basé sur l’asservissement et l’inégalité, fonctionnent en lien direct les uns avec les autres.
En réponse à cette abondance de preuves, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 25 novembre Journée internationale pour l’Elimination de la Violence contre les Femmes. La valeur d’une telle « Journée » spéciale est qu’elle offre un moment pour analyser une question donnée puis de remobilisation pour prendre des mesures tout à la fois à court terme et sur une durée plus longue.
Tout à la fois au niveau international de l’ONU et au niveau national, des programmes ont été créés en vue d’assurer l’égalité pour les femmes et la promotion des femmes dans tous les domaines. La violence physique envers les femmes a fait l’objet d’une attention de plus en plus importante, des centres pour les femmes battues ont été créés et l’on s’est aussi penché sur la question de trafic de femmes. Il a été souvent redit qu’il était nécessaire d’assurer l’éducation, la formation, la santé, la promotion de l’emploi, et l’insertion des femmes afin que celles-ci puissent participer de manière pleine et effective au processus du développement dans la société.
Mais l’inégalité perdure, et les murs qui emprisonnent les femmes sont toujours debout. En ce 25 novembre, cette journée pour l’élimination de la violence contre les femmes, il nous faut regarder de près les différentes formes de violences qui font que de telles murailles, à travers le temps, demeurent en place.
Le Professeur René Wadlow est Président et Représentant en Chef auprès de l’Office des Nations Unies à Genève de l’Association of World Citizens.