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Missak Manouchian : A un grand homme, le Monde reconnaissant ?

In Armenia, Being a World Citizen, Current Events, Democracy, Europe, Fighting Racism, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, Poetry, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, United Nations, World Law on February 21, 2024 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

Aussi étonnant que cela puisse paraître à qui connaît mal le mouvement Citoyen du Monde, lorsqu’il s’est manifesté pour la première fois sous sa forme contemporaine pendant l’Assemblée générale de l’ONU au Palais de Chaillot, à Paris, en novembre 1948, ce fut sous la conduite de deux hommes qui avaient porté les armes de leurs pays respectifs, les Etats-Unis et la France, pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour les Etats-Unis, c’était bien sûr Garry Davis, acteur et danseur à Broadway qui rêvait d’une carrière à Hollywood. Après la mort au combat de son frère Bud à Salerno, en Italie, dévasté par le chagrin puis embrasé par le désir de vengeance, le jeune artiste était devenu pilote de bombardier dans l’U. S. Air Force et, désormais sous-lieutenant, il avait participé à un raid sur la base allemande de Peenemünde où officiait Wernher von Braun qui, après la capitulation de l’Allemagne nazie, a joué un rôle majeur dans le programme spatial américain. En 1948, pris de remords d’avoir contribué à détruire des villes et bombarder des civils, Davis choisira de se rendre à Paris pour renoncer à son passeport américain et se proclamer Premier Citoyen du Monde.

Pour la France, c’était Robert Soulage, dit Sarrazac, instituteur de formation. A l’occasion de son service militaire comme élève-officier de réserve, le jeune Soulage avait fait la connaissance du lieutenant Henri Frenay qui, après le départ de l’armée de Soulage en 1942, l’avait entraîné avec lui dans la Résistance où il était devenu Sarrazac. Arrêté en janvier 1944, il était parvenu à s’évader et, ayant réintégré la Résistance, il avait organisé les maquis puis participé à la Libération. En 1947, il sera parmi les fondateurs du Front humain des Citoyens du Monde.

C’est ensemble que les deux anciens soldats, à présent unis dans une cause sans nation ni drapeau et, surtout, sans arme ni victime, interrompront l’Assemblée générale de l’ONU pour y lire à haute voix la Déclaration d’Oran écrite par Albert Camus.

Traditionnellement synonyme de pacifisme inconditionnel et de refus des frontières nationales, même si c’est là un résumé bien sommaire et réducteur de ce qu’elle représente – et, si on l’applique à l’AWC, une description si simpliste de son action qu’elle en serait tout simplement inexacte –, la Citoyenneté Mondiale contemporaine est donc bien issue de la Seconde Guerre Mondiale, plus spécifiquement de la lutte contre le nazisme. C’est aussi le cas des Nations Unies, organisation intergouvernementale par excellence depuis 1945 mais, auparavant, alliance militaire contre l’Axe, née du suprême paradoxe historique qui faisait du patriotisme armé de l’instant présent la condition sine qua non de l’universalisme pacifiste de l’avenir.

Qui, à l’époque, pouvait prétendre avoir le choix ? Pour ne parler que de l’Allemagne hitlérienne, le danger du fascisme tel qu’il se manifestait à travers l’Europe depuis les années 1930 et, dans un monde en guerre, l’horreur qu’inspirait l’idée d’un Axe vainqueur et dominant le monde pour un millier d’années, comme en rêvait Adolf Hitler, imposait de prendre les armes et, au besoin, de se joindre à un rival dont l’on se méfiait, comme s’y étaient résignés Churchill et de Gaulle, voire à son pire adversaire idéologique, comme l’avaient fait Roosevelt et Staline, pour vaincre un ennemi commun et empêcher à tout prix sa victoire. Les frontières ne comptaient plus, qu’elles soient nationales, idéologiques ou autres, face au péril fasciste.

Ce 21 février 2024, en France, un pays où l’extrême droite n’a jamais été politiquement aussi forte depuis la Libération d’août 1944 invite au Panthéon, lieu symbolique où reposent les plus grandes gloires du pays, un homme et son épouse qui sont deux symboles des plus vibrants de la lutte antifasciste de cette époque – Missak et Mélinée Manouchian, membres actifs de la Résistance, le premier ayant été pour cela fusillé voilà très précisément quatre-vingts-ans aujourd’hui. Un hommage aussi mérité et bienvenu qu’il est tardif, et qui ne peut que nous rappeler qu’aucun hommage au passé ne vaut s’il n’en sort un acte de vigilance pour le présent et l’avenir, tant éloigné que plus proche.

Manouchian, mort pour la France – qui ne voulait pas de lui

Né en 1906 dans l’actuelle Turquie, alors le siège de l’Empire ottoman, le jeune Missak a neuf ans lorsque son père tombe les armes à la main dans la résistance arménienne au génocide qui vient de débuter. Poussé vers l’exil avec sa mère et ses frères, devenu vite orphelin, Missak se retrouve en orphelinat d’abord en Turquie puis au Liban, confié avec son frère Garabed à des enseignants arméniens.

C’est en 1924 qu’il débarque en France, y rejoignant Garabed à Marseille où ils travaillent comme ouvriers. L’année suivante, les deux frères s’installent à Paris, économisant jusqu’à pouvoir faire venir à leurs côtés leur frère Haïg depuis la Syrie. Après avoir été brièvement interné en psychiatrie après le décès de Garabed en mars 1927 qu’il ne parvient pas à surmonter, Missak Manouchian, admirateur des Encyclopédistes inspirateurs de la Révolution française, athlète et poète tout à la fois, rencontre la Confédération générale du Travail (CGT), syndicat historiquement lié au Parti Communiste Français (PCF) auquel il adhère en 1934, encore sous le choc de la tentative de coup d’Etat des ligues fascistes du 6 février à Paris.

Missak Manouchian

Dans le même temps, Missak Manouchian devient membre de la section française du Comité de secours pour l’Arménie (Hay(astani) Oknoutian Gomidé ; HOG) et y fait la connaissance d’une jeune femme, Mélinée Assadourian. En 1935, les deux jeunes gens sont élus à la direction du HOG et, l’année suivante, ils se marient – plus exactement, ils obtiennent un «certificat de coutume en vue de mariage» car ils sont, l’un et l’autre, apatrides. Après la dissolution du HOG en 1937 et jusqu’en 1939, le rôle militant de Missak Manouchian s’accroît au sein du PCF, et pour la première fois en France, le jeune survivant du génocide arménien rencontre la répression.

Début septembre 1939, depuis le pacte germano-soviétique signé le mois précédent, les députés du PCF sont interdits de siéger, le parti et ses organisations connexes sont interdits et ses cadres sont en prison. Arrêté le 2, veille de la déclaration de la guerre, Missak Manouchian, qui a tenté en 1933 de devenir français mais sans succès, est libéré le mois suivant et, toujours apatride, il rejoint comme engagé volontaire une unité militaire en Bretagne, demandant une nouvelle fois sa naturalisation en janvier 1940 et essuyant un nouveau refus.

Après l’armistice de juin 1940, Missak Manouchian est maintenu de force en usine dans la Sarthe. C’est en 1941 qu’il s’en enfuit pour revenir à Paris, où le militant communiste jadis arrêté sous la République à cause du pacte germano-soviétique l’est de nouveau, cette fois par les autorités d’occupation, peu après la rupture du même pacte par l’Allemagne nazie et son invasion de l’URSS le 22 juin. Emprisonné à Compiègne, il est libéré sans charge et retrouve Mélinée à Paris.

Mélinée Assadourian Manouchian

En 1943, Missak Manouchian, désormais Michel, devient membre des Francs-tireurs et Partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de Paris, groupe de Résistance issu du PCF, où ses camarades sont pour l’essentiel des Juifs de Roumanie et de Hongrie ainsi que des Arméniens comme lui, quoique moins nombreux. En août, Michel Manouchian est promu Commissaire militaire de la Région parisienne des FTP-MOI, multipliant les actions contre l’occupant dans son secteur de juridiction en novembre. Mais le 16 au matin, la Police française, de longue date sur ses traces, l’arrête à la gare d’Évry Petit-Bourg avec son supérieur politique Joseph Epstein.

Torturé d’entrée, Michel Manouchian est traduit devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris le 19 février 1944, lors d’un simulacre de procès mis en scène pour la presse collaborationniste qui se régale du lynchage de ceux de l’Affiche rouge, placardée à l’envi par les services de Vichy, reprenant les visages de Manouchian et des membres de son groupe, chacun y étant fustigé sur son origine étrangère et/ou sa judéité auxquelles sont accolés ses faits d’armes qualifiés d’«attentats», la question en haut de l’affiche «Des libérateurs ?» trouvant sa réponse en bas : «La Libération par l’armée du crime !».

L’Affiche rouge, recto-verso

Sans surprise, le tribunal condamne à mort vingt-trois des accusés. Et le 21 février 1944, à Suresnes, dans l’actuel Département des Hauts-de-Seine, au sein de la Forteresse du Mont Valérien, jadis symbole de la résistance du peuple français à l’armée allemande pendant la guerre de 1870 et, inéluctablement, sous contrôle ennemi depuis 1940, Michel Manouchian, qui a refusé d’avoir les yeux bandés devant le peloton d’exécution, tombe sous les balles du fascisme. Deux fois refusé à la naturalisation, Missak Manouchian, apatride né dans la communauté arménienne de l’Empire ottoman, mourait ainsi pour la France alors qu’elle n’avait jamais voulu de lui parmi les siens.

Le 11 avril, Joseph Epstein subira le même sort au même endroit.

En tout, ce sont plus d’un millier de combattants de la France Libre qui seront fusillés à la Forteresse du Mont Valérien. Le 18 juin 1960, Charles de Gaulle, général et chef de la France Libre devenu Président de la République en 1958, y inaugurera le Mémorial de la France Combattante. Chaque année à la même date, le chef de l’Etat français y retrouve les autorités locales pour un hommage au pied du sanctuaire orné d’une croix de Lorraine, symbole de la Résistance gaulliste, et d’une flamme entretenue jour et nuit dont il est écrit sur place que «la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas».

Le Mémorial de la France Combattante du Mont Valérien (C) Bernard J. Henry/AWC

En 1959, Léo Ferré, chanteur franco-monégasque aux idées anarchistes assumées, donc hostile tant au gaullisme qu’au communisme, met en musique les Strophes pour se souvenir de Louis Aragon parues quatre ans plus tôt, sous le titre L’Affiche rouge que reprendra en 1976 le cinéaste Frank Cassenti pour raconter sur grand écran l’histoire de Michel Manouchian et ses frères d’armes dans la Résistance. Malgré ces vibrants hommages artistiques, ce n’est qu’en novembre 1978 que la ville d’Ivry-sur-Seine, dans l’actuel Département du Val-de-Marne, érigera un monument à ceux de l’Affiche rouge et les y fera inhumer. Selon l’idéologie qui animait les Résistants français, toutes leurs mémoires ne se valaient pas.

Mélinée, veuve, biographe et gardienne de la mémoire

Quant à Mélinée, ayant d’abord pris la fuite avec l’aide d’une famille arménienne résistante de Paris, les Aznavourian, dont le fils Shahnourh deviendra plus tard le chanteur Charles Aznavour, elle poursuit la lutte au sein du milieu arménien de la Résistance. Après la Libération, elle publie un recueil des poèmes de feu son époux qu’elle a traduits de l’arménien.

En 1947, répondant à l’appel de l’URSS à ses anciens ressortissants pour venir œuvrer au repeuplement, elle part pour Erevan, capitale de l’Arménie soviétique, où elle enseigne le français. Mais son dégoût du stalinisme et un cancer mal soigné la poussent à vouloir revenir en France, ce qu’elle n’est autorisée à faire qu’en 1960 avec l’avènement de Nikita Khrouchtchev.

Première biographe de Missak Manouchian, elle consacrera sa vie à promouvoir sa mémoire et celle des Arméniens de la Résistance. Après une vive polémique dans les années 1980 avec la direction du PCF sur le rôle du parti dans la mise en danger de Missak Manouchian qu’elle avait alors cherché à protéger, Mélinée s’éteint en 1989. Inhumée à Ivry-sur-Seine près de son époux mais non avec lui, elle le rejoint finalement en 1994, cinquante ans après l’exécution au Mont Valérien.

Aujourd’hui, sur la décision du Président de la République française, Emmanuel Macron, c’est ensemble qu’ils entrent au Panthéon.

Une histoire personnelle

J’habite Suresnes depuis plus de quinze ans. Je suis né à Saint-Cloud, ville voisine, et suis originaire de Rueil-Malmaison, autre ville voisine, toutes deux situées en partie comme Suresnes et Nanterre sur le Plateau du Mont Valérien. L’histoire des fusillés de la forteresse occupée est dans ma vie depuis toujours. Si je ne suis pas arménien et n’ai pas une goutte de sang en commun avec Missak Manouchian, son histoire est aussi mon histoire, l’histoire de la France et, pour moi, une histoire personnelle.

Pendant l’Occupation, une partie de ma famille maternelle habitait Nanterre, et en cette époque de bruit urbain autrement moins important qu’aujourd’hui – amoindri plus encore par les restrictions de circulation des autorités allemandes – lorsqu’une exécution avait lieu au Mont Valérien, les coups de feu s’entendaient jusque chez eux, sur le Plateau. Pour ces immigrés du nord de l’Italie, eux aussi membres de la Résistance alors que certains n’avaient jamais pu obtenir la nationalité française du temps de la Troisième République, c’était aussitôt la pensée qu’un jour, peut-être, ce serait leur tour de se retrouver devant les fusils.

Même ceux d’entre eux qui étaient toujours italiens avaient porté les armes pour la France. Non mobilisés en 1939 puisque n’étant pas citoyens français, mais sujets du Royaume d’Italie qui vivait depuis octobre 1922 sous la terreur fasciste de Benito Mussolini, c’est pourtant vers l’armée qu’ils se sont tournés en octobre 1940, lorsque Rome a rejoint son allié allemand dans la guerre contre la France. Désormais ressortissants d’un État ennemi, ils se voyaient déjà soit internés dans un camp, l’un de ces camps d’étrangers créés par le gouvernement issu du Front populaire à partir de 1938, soit déportés vers cette Italie qu’ils avaient fuie. Unanimement, ils se sont engagés dans l’armée française où leur origine italienne leur a valu d’être versés dans les Chasseurs alpins pour aller, à la frontière sud-est du pays, tirer sur leurs compatriotes. Prisonniers de guerre, certains n’obtinrent finalement la nationalité française qu’en 1953, huit ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et aucune décoration que je sache.

Durant son «procès» devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris, Missak Manouchian a jeté à la face de ses juges «La nationalité française, vous l’avez héritée, et nous, nous l’avons méritée». Mes proches ancêtres à moi l’ont eue, au risque même de leurs vies, et pourtant, les Français qui l’ont «héritée» ne se sont jamais privés de leur faire remarquer qu’ils étaient au départ des étrangers. Entre qui voulait seulement défendre sa terre ancestrale passée sous la botte de l’ennemi héréditaire s’étant montré plus fort au combat et qui voulait défendre le pays incarnant à ses yeux une idée, une liberté et presque un droit, tout le monde en France n’avait pas rejoint la même Résistance.

L’histoire de Missak Manouchian et de ceux de l’Affiche Rouge, c’est aussi mon histoire à moi, celle de la migration ouvrière et de la résistance au fascisme par-delà les nationalités et les idéologies. L’histoire du pays qui envoie aujourd’hui même le couple Manouchian reposer parmi ses plus grands mais qui, ne serait-ce qu’à travers ses dirigeants, à coups de lois sur la migration à forte teneur xénophobe et de discours «de patience malvenue», comme le chante Louis Chedid dans Anne ma sœur Anne, affirme de plus en plus fort que les héritiers politiques des Français qui ont collaboré avec l’occupant allemand ne sont pas plus dangereux que ceux des Résistants, au risque de leur offrir bientôt le pouvoir et leur permettre y compris d’anéantir, ne serait-ce que de décharner, l’histoire de la Résistance au-delà de celle de Français n’ayant cherché qu’à chasser de chez eux un ennemi étranger, sans forcément dire non à une forme de fascisme «maison» à la place.

Tout le monde en France n’a pas, comme moi, la Résistance en héritage familial. Dans d’autres familles, c’est au contraire la collaboration avec l’Allemagne nazie qui forme le passif, ou bien encore l’absence de choix d’un camp, peut-être au profit du seul impératif de survie. Une chose est sûre toutefois : le pays où nous vivons, cette France libre et démocratique, c’est bel et bien l’œuvre des Manouchian, de Robert Sarrazac et de leurs camarades de la Résistance, ce n’est pas l’État français du Maréchal Pétain auquel auraient succédé les Quatrième puis Cinquième République, comme en Espagne où la monarchie a succédé au franquisme même sans en poursuivre les politiques fascistes, à l’inverse du Portugal voisin où la Révolution des Œillets avait marqué une rupture claire et nette avec le salazarisme. Renier ou minimiser l’héritage de la Résistance, le reléguer en quelque façon au rang de passé révolu tout juste digne de la cave ou du grenier, pour chaque Française ou Français, c’est scier la branche où l’on est assis.

Comment dès lors, et surtout pourquoi, chercher à honorer dans le passé ce que l’on démonétise dans le présent ? Les honneurs rendus aux Manouchian sont-ils le premier pas vers un changement plus qu’attendu, celui du retour aux «leçons de l’histoire» chères à Elie Wiesel et George Santayana, ou bien un solde de tout compte avant de dire pour de bon que la France d’aujourd’hui ne doit plus rien à la Résistance ?

Le monde reconnaissant ?

Bien sûr, la politique de l’oubli ne touche pas que la France. Avec Donald Trump, les Etats-Unis avaient eux aussi cédé à la tentation d’oublier les grands combats de leur histoire, qu’il s’agisse de la Guerre de Sécession ou de l’héroïsme des G.I. en Normandie voilà quatre-vingts ans, et le risque existe toujours de voir, en novembre prochain, un retour à ce choix de l’oubli après quatre ans d’administration démocrate. En Italie, les héritiers politiques de Mussolini ont conquis le pouvoir. En Argentine, un candidat d’inspiration semblable, Javier Milei, a pris la présidence, et aux Pays-Bas, le parti populiste de Geert Wilders a lui aussi remporté une majorité parlementaire mais sans pouvoir quant à lui former un gouvernement. Dans l’ancien monde communiste, la Hongrie, le Belarus et bien sûr la Russie se distinguent comme les plus tragiques exemples de l’abandon d’un extrême pour verser dans son opposé. La liste n’étant hélas pas exhaustive.

Les derniers témoins de la Seconde Guerre Mondiale, en ce compris de la Shoah en Europe, disparaissent. Ce temps était voué à arriver un jour ou l’autre. Mais leurs souvenirs, leurs récits, leurs mises en garde pour le présent, leurs avertissements pour l’avenir sont aussi nombreux qu’ils sont éternels. Que les témoins de l’horreur rejoignent le monde qui attend chacune et chacun au bout de l’existence, rien que de très normal. Mais qu’ils le fassent en un temps où leur héritage se voit si méprisé, voire dans certains cas contesté, cela ne peut que résonner comme un assourdissant signal d’alarme.

A Paris, le Panthéon porte en son fronton l’inscription «Aux grands hommes la Patrie reconnaissante», reliquat d’un temps où les femmes n’étaient pas jugées dignes de cette reconnaissance. Ce n’est qu’en 1995, avec Marie Curie, qu’une femme fut enfin admise au Panthéon, du moins pour ses mérites, la toute première ayant été, en 1907, Sophie Berthelot, l’épouse du chimiste Marcellin Berthelot qui n’avait fait que suivre le sort de son mari.

Le Panthéon à Paris (C) Guilhem Vellut

Parmi ces «grands hommes» et donc aussi désormais «grandes femmes» reposent déjà d’autres figures de la Résistance. En 1964, André Malraux y accueillait un autre ancien Résistant, légendaire préfet cadre puis martyr de la France libre, par ces mots devenus eux aussi légendaires, «Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège», André Malraux qui rejoignit à son tour le Panthéon en 1996, où il prenait place aux côtés de deux autres figures de la Résistance, Félix Éboué et René Cassin, père de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. En 2015, quatre autres Résistants intégraient la crypte sacrée de la République – Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.

Ce n’est pas que «la Patrie», comme l’appellent les Français du haut du Panthéon, qui peut et doit leur être reconnaissante ainsi qu’aux Manouchian. C’est un monde qui, tout entier, jusqu’aux confins de la Cordillère des Andes dans une Amérique latine qui n’a jamais vu la Seconde Guerre Mondiale sur son sol, a été façonné par la lutte contre le fascisme et tout ce qu’elle a produit après la victoire.

Tout d’abord, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, promue par Cassin aux côtés d’Eleanor Roosevelt et que Garry Davis qualifiait, bien optimiste, de «reconnaissance politique de l’être humain». Ensuite, l’idée qu’il n’existait aucune raison pour qu’une partie du monde continue à s’approprier comme dans les temps anciens la terre, la population, les ressources et le travail de peuples en habitant d’autres, ce qui amena la fin du colonialisme occidental.

Enfin, le principe fondamental, mais si violemment bousculé depuis le début de la décennie, que la guerre de conquête et l’extermination de masse ne se justifient pas même par la guerre, ni dans les Sudètes, en Tchécoslovaquie ou en Pologne à l’époque, ni en Syrie, en Ukraine ou en Israël et dans les Territoires palestiniens aujourd’hui.

Le soldat français tué en tentant de défendre un village en mai 1940, le soldat anglais tué sur son sol natal lors du Blitz allemand, le soldat soviétique tué par la Wehrmacht dans l’ouest de la Russie après la rupture par Hitler de son pacte avec Staline, le soldat américain tué le 6 juin 1944 sur une plage de Normandie, le Résistant ou partisan tué au combat en France, en Italie ou ailleurs, tous ces héros inconnus et qui le resteront, tous méritent la reconnaissance. Mais aujourd’hui, Missak Manouchian est mis à l’honneur par celui des cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité qui fut à la fois le plus meurtri en son territoire et le plus actif au combat contre l’Axe durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est là un acte qui est tout autant à saluer qu’à interroger.

Quel exemple, quelle leçon, entend en tirer la France aux Nations Unies et dans sa politique étrangère – mais aussi, car le besoin en est réel, intérieure ? Quel engagement solennel, quel acte de vigilance pour l’avenir proche et lointain, viendra valider cet hommage au passé ? Quelle reconnaissance de la France, mais aussi du monde, à Missak Manouchian, «grand homme» à partir d’aujourd’hui, et à Mélinée Manouchian qui rejoint ainsi Simone Veil et Joséphine Baker, sortira de cette canonisation laïque si elle n’est un pur vœu pieux ?

La réponse se trouvera dans notre aptitude à, et/ou notre volonté de, savoir délaisser les congratulations officielles pour embrasser l’esprit et, c’est là que le mot convient le mieux, la lettre de ce qu’écrivait Missak, ou Michel, Manouchian dans son poème «Privation» :

«Quand j’erre dans les rues d’une métropole,

Toutes les misères, tous les dénuements,

Lamentation et révolte l’une à l’autre,

Mes yeux les rassemblent, mon âme les loge».

A Paris, au Quartier Latin, nous verrons passer Manouchian depuis son éternité, errant dans les rues de la métropole, et ses combats, nous les ferons nôtres. Ou bien, à Paris et partout dans le monde, enchaînés de plein gré dans notre ingratitude envers ces combats qui écrivirent toute son histoire, toute la nôtre, toute celle du monde, nous perdrons tout.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

How an Unused But Not Forgotten Standard of World Law May Help the Armenians of Nagorno-Karabakh

In Armenia, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Fighting Racism, Human Rights, International Justice, Nagorno-Karabakh, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, United Nations, War Crimes, World Law on October 1, 2023 at 6:34 PM

By René Wadlow

Adapted from “An Unused but not Forgotten Standard of World Law“, December 10, 2021

Recent events in Nagorno-Karabakh in the conflict between Azerbaijan and Armenia have raised the issue of possible genocide and the role that the 1948 Convention on Genocide may play.

Genocide is the most extreme consequence of racial discrimination and ethnic hatred. Genocide has as its aim the destruction, wholly or in part, of a national, ethnic, racial, or religious group as such. The term was proposed by the legal scholar Raphael Lemkin, drawing on the Greek genos (people or tribe) and the Latin –cide (to kill) (1). The policies and war crimes of the Nazi German government were foremost on the minds of those who drafted the Genocide Convention, but the policy was not limited to the Nazis (2).

The Genocide Convention is a landmark in the efforts to develop a system of universally accepted standards which promote an equitable world order for all members of the human family to live in dignity. Four articles are at the heart of this Convention and are here quoted in full to understand the process of implementation proposed by the Association of World Citizens (AWC), especially of the need for an improved early warning system.

Article I

In the present Convention, genocide means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such:

(a) Killing members of the group;
(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part;
(d) Imposing measures intended to prevent births within the group;
(e) Forcibly transferring children of the group to another group.

Unlike most humanitarian international law which sets out standards but does not establish punishment, Article III sets out that the following acts shall be punishable:

(a) Genocide;
(b) Conspiracy to commit genocide;
(c) Direct and public incitement to commit genocide;
(d) Attempt to commit genocide;
(e) Complicity in genocide

Article IV

Persons committing genocide or any of the other acts enumerated in article III shall be punished, whether they are constitutionally responsible rulers, public officials or private individuals.

Article VIII

Any Contracting Party may call upon the competent organs of the United Nations to take such action under the Charter of the United Nations as they consider appropriate for the prevention and suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated in article III.

Numerous reports have reached the Secretariat of the United Nations (UN) of actual, or potential, situations of genocide: mass killings; cases of slavery and slavery-like practices, in many instances with a strong racial, ethnic, and religious connotation — with children as the main victims, in the sense of article II (b) and (c). Despite factual evidence of these genocides and mass killings as in Sudan, the former Yugoslavia, Rwanda, Burundi, the Democratic Republic of Congo, Sierra Leone and in other places, no Contracting Party to the Genocide Convention has called for any action under article VIII of the Convention.

As Mr. Nicodème Ruhashyankiko of the Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities wrote in his study of proposed mechanisms for the study of information on genocide and genocidal practices “A number of allegations of genocide have been made since the adoption of the 1948 Convention. In the absence of a prompt investigation of these allegations by an impartial body, it has not been possible to determine whether they were well-founded. Either they have given rise to sterile controversy or, because of the political circumstances, nothing further has been heard about them.”

Raphael Lemkin

Yet the need for speedy preventive measures has been repeatedly underlined by UN Officials. On December 8, 1998, in his address at UNESCO, UN Secretary-General Kofi Annan said “Many thought, no doubt, that the horrors of the Second World War — the camps, the cruelty, the exterminations, the Holocaust — could not happen again. And yet they have, in Cambodia, in Bosnia and Herzegovina, In Rwanda. Our time — this decade even — has shown us that man’s capacity for evil knows no limits. Genocide — the destruction of an entire people on the basis of ethnic or national origins — is now a word of our time, too, a stark and haunting reminder of why our vigilance must be eternal.”

In her address Translating words into action to the UN General Assembly on December 10, 1998, the then High Commissioner for Human Rights, Ms. Mary Robinson, declared “The international community’s record in responding to, let alone preventing, gross human rights abuses does not give grounds for encouragement. Genocide is the most flagrant abuse of human rights imaginable. Genocide was vivid in the minds of those who framed the Universal Declaration, working as they did in the aftermath of the Second World War. The slogan then was ‘never again’. Yet genocide and mass killing have happened again — and have happened before the eyes of us all — in Rwanda, Cambodia, the former Yugoslavia and other parts of the globe.”

We need to heed the early warning signs of genocide. Officially directed massacres of civilians of whatever numbers cannot be tolerated, for the organizers of genocide must not believe that more widespread killing will be ignored. Yet killing is not the only warning sign. The Convention drafters, recalling the radio addresses of Hitler and the constant flow of words and images, set out as punishable acts “direct and public incitement to commit genocide”. The Genocide Convention, in its provisions concerning public incitement, sets the limits of political discourse. It is well documented that public incitement — whether by Governments or certain non-governmental actors, including political movements — to discriminate against, to separate forcibly, to deport or physically eliminate large categories of the population of a given State, or the population of a State in its entirety, just because they belong to certain racial, ethnic, or religious groups, sooner or later leads to war. It is also evident that, at the present time, in a globalized world, even local conflicts have a direct impact on international peace and security in general. Therefore, the Genocide Convention is also a constant reminder of the need to moderate political discourse, especially constant and repeated accusations against a religious, ethnic, and social category of persons. Had this been done in Rwanda, with regard to the Radio Mille Collines, perhaps that premeditated and announced genocide could have been avoided or mitigated.

For the UN to be effective in the prevention of genocide, there needs to be an authoritative body which can investigate and monitor a situation well in advance of the outbreak of violence. As has been noted, any Party to the Genocide Convention (and most States are Parties) can bring evidence to the UN Security Council, but none has. In the light of repeated failures and due to pressure from nongovernmental organizations, the Secretary-General has named an individual advisor on genocide to the UN Secretariat. However, he is one advisor among many, and there is no public access to the information that he may receive.

Therefore, a relevant existing body must be strengthened to be able to deal with the first signs of tensions, especially ‘direct and public incitement to commit genocide.” The Committee for the Elimination of Racial Discrimination (CERD) created to monitor the 1965 International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination would be the appropriate body to strengthen, especially by increasing its resources and the number of UN Secretariat members which service the CERD. Through its urgent procedure mechanisms, CERD has the possibility of taking early-warning measures aimed at preventing existing strife from escalating into conflicts, and to respond to problems requiring immediate attention. A stronger CERD more able to investigate fully situations should mark the world’s commitment to the high standards of world law set out in the Genocide Convention.


Notes

1) Raphael Lemkin. Axis Rule in Occupied Europe (Washington: Carnegie Endowment for World Peace, 1944).

2) For a good overview, see: Samantha Power. A Problem from Hell: America and the Age of Genocide (New York: Basic Books, 2002)

3) William Schabas, Genocide in International Law (Cambridge: Cambridge University Press, 2000)

4) E/CN.4/Sub.2/1778/416, Para 614


Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

UN General Assembly Starts: “You don’t have to be a weatherman to know the way the wind is blowing”

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Middle East & North Africa, NGOs, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, United Nations on September 18, 2023 at 6:38 PM

By René Wadlow

With the United Nations (UN) General Assembly starting on September 19, there is a good deal of reflection among governments and Nongovernmental Organizations (NGOs) as to the effectiveness of the UN to meet the challenges facing the world community.

In 1992, the then Secretary-General, Boutros Boutros-Ghali, outlined a post-Cold War Agenda for Peace. He built his Agenda on four key pillars for UN action: Preventive Diplomacy, Peacemaking, Peacekeeping, and Post-conflict Peacebuilding. Today, these four pillars remain the heart of UN action. What is new from 1992 is the increased role of NGOs and potentially of the international business community, both in preventive diplomacy and post-conflict peacebuilding.

Preventive diplomacy is the more important and requires creative action when there are signs of tensions which can develop into armed conflict unless preventive measures are taken on a variety of fronts. There were at least four months of protests and nonviolent efforts in Syria before the armed violence and counterviolence exploded. This period might have been used to see if needed reforms could be put into place.

(C) Basil D. Soufi/GPA Photo Archive

Likewise, signs of growing tensions between the Russian Federation and Ukraine were visible to many prior to the Russian attack. There had been the “Normandy Effort” – Russia, Ukraine, France, and Germany. There was no visible UN leadership and few NGO efforts to build on this mediation effort to create new constitutional structures within Ukraine.

Today, there are other tension situations that require preventive action: India-China frontier disputes, South China Sea delimitation issues, China-Taiwan tensions, increasing tensions within Myanmar which are already violent but can easily spread if things continue as they are going, the struggle for power in Sudan, and increased Israeli-Palestinian tensions.

For NGOs concerned with peacemaking, there is a need to create mediation teams which can act quickly and have already developed avenues of communication with the authorities, media, and significant actors in those countries where tensions are growing. The winds of violence usually give signs before they are full blown. Creative preventive diplomacy is urgently needed.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Agressions contre les femmes : Pas de châteaux en Espagne !

In Being a World Citizen, Current Events, Europe, Human Rights, Latin America, Middle East & North Africa, Solidarity, United Nations, Women's Rights, World Law on September 18, 2023 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

«Bâtir des châteaux en Espagne», que signifie cette expression devenue quelque peu désuète en français ? Elle désigne une personne qui se crée des rêves et des projets chimériques, qu’il ne lui sera jamais possible d’atteindre. L’expression remonterait au seizième siècle, se référant au manque de châteaux dans la péninsule ibérique où, après la Reconquista de 1492, ceux-ci avaient été détruits afin que les Maures, l’ennemi musulman chassé et rêvant de revanche comme le met en scène Corneille dans Le Cid, ne puisse en cas d’invasion les prendre et en faire des places fortes. Depuis lors, «bâtir des châteaux en Espagne» désigne ce qu’il est absurde d’envisager et ne peut exister.

Si l’Espagne est le lieu, au théâtre, des exploits du jeune Don Rodrigue, avant même Corneille et depuis l’Espagne même puisque Guillén de Castro avait écrit avant lui Les Enfances du Cid (Las Mocedades del Cid), elle est aussi celui, en littérature, de l’épopée de deux autres seigneurs, deux «Don», aux ambitions bien opposées.

En ce même dix-septième siècle, Tirso de Molina écrivait El Burlador de Sevilla y convidado de piedra, L’Abuseur de Séville et le convive de pierre, première évocation de Don Juan, séducteur sans scrupule, qui se vit par la suite transposé sur scène par Molière dans Dom Juan ou le festin de pierre puis à l’opéra par Mozart dans Don Giovanni.

C’est aussi l’époque où Miguel de Cervantes rédige son El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, L’Ingénieux Don Quichotte de la Mancha, où un hidalgo de basse noblesse se décrète chevalier du Moyen Age et décide de parcourir l’Espagne pour faire justice – fût-ce au prix de l’absurde et du ridicule, comme lorsqu’il décide de s’attaquer à des moulins à vent qu’il prend pour des géants.

En 1965, les Américains Dale Wasserman, Joe Darion et Mitch Leigh créèrent à partir du même personnage une comédie musicale intitulée Man of La Mancha (L’homme de la Mancha). Cervantes lui-même y est mis en scène et Don Quichotte, voulu par son auteur initial comme la satire d’une société espagnole par trop rigide et passéiste, devient un homme noble de naissance mais aussi d’esprit, porté par une «quête» qui le pousse à rechercher «l’inaccessible étoile». Portée à l’écran en 1972 par Arthur Hiller puis adaptée en français par Jacques Brel, la comédie musicale deviendra surtout connue pour sa chanson-phare La Quête, que reprendront ensuite sur scène plusieurs chanteurs français illustres comme Julien Clerc et Johnny Hallyday. «Tenter, sans force et sans armure, D’atteindre l’inaccessible étoile», je mentirais en disant que je n’y trouve pas une certaine inspiration, voire une inspiration certaine, certains jours de regard courbé – là et, à vrai dire, dans tout le reste de la chanson.

Hélas, depuis plusieurs semaines, les Cid et les Don Quichotte semblent avoir perdu le chemin de Madrid, là où les Don Juan, non pas les losers de la séduction chantés avec dérision par Claude Nougaro mais les vrais, ceux qui jouent des femmes comme d’objets et se voient engloutis par l’enfer – ou, du moins, prennent une sérieuse option sur un aller simple là-bas le jour venu de quitter ce monde, donnent le sentiment amer de retenir désormais toute l’attention de l’Espagne, et avec elle de toute la terre, pour des forfaits autrement plus graves que la séduction impertinente et égoïste d’un grand d’Espagne qui se rêvait aussi pourfendeur de Dieu lui-même.

Luis Rubiales soutenu par Woody Allen : «Il ne l’a pas violée»

Qui dit Coupe du Monde de Football disait jadis compétition, tous les quatre ans, entre des équipes d’hommes. C’était oublier que, depuis 1991, la Fédération internationale de Football Association (FIFA) organise aussi, tous les quatre ans, une Coupe du Monde Féminine de Football, créée en 1970 et donc «officielle» depuis plus de trente ans. Là où les éditions précédentes s’étaient tenues sans susciter grand intérêt chez les médias internationaux, l’édition 2023 a brisé les codes et mis le football féminin pour de bon sur la carte du sport mondial.

Le 20 août, à l’issue du match remporté par l’Espagne, Luis Rubiales, Président de la Royale Fédération espagnole de Football (FREF), vient féliciter l’attaquante Jenni Hermoso mais, sans demander la permission ni y être invité, lui agrippe l’entrejambes et l’embrasse sur les lèvres. La footballeuse confirme n’avoir jamais donné son consentement, ce qui fait du baiser forcé de Luis Rubiales une agression sexuelle.

Après les Américaines victorieuses en 2019, là où leurs homologues masculins ne rencontrent guère de succès lors des rencontres internationales, ce sont les Espagnoles qui ont remporté la Coupe cette année, en vainquant les Anglaises qui jouaient, sinon à domicile, du moins à l’intérieur du Commonwealth puisque l’organisation de la Coupe avait été confiée conjointement à l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Mais tout juste derrière l’exploit sportif des Espagnoles se cachait une fin autrement plus dramatique de cette épopée sportive, une fin inadmissible en elle-même, plus encore en cette année 2023 où le film Barbie, érigé en conte philosophique pour les droits des femmes, a bouleversé le monde.

Aussitôt mis en cause, Luis Rubiales balaie toute accusation, se posant en victime de ce qu’il présente comme «un faux féminisme», alors que le monde entier l’a vu et que Jenni Hermoso confirme qu’elle n’était pas consentante. Le 26 août, la RFEF suspend Rubiales de la présidence, qu’il refuse cependant de quitter. En fin de compte, le 10 septembre, Rubiales annonce bel et bien sa démission, à l’issue d’une carrière de dirigeant de la RFEF déjà émaillée de scandales.

Il part non sans avoir reçu, pour son agression sexuelle contre Jenni Hermoso, le soutien de Woody Allen, le célèbre acteur-réalisateur américain lui-même accusé d’abus sexuels sur sa fille adoptive Dylan et qui vient donc affirmer des gestes de Rubiales sur Jenni Hermoso qu’il «ne l’a pas violée». Comme le dit l’expression américaine, With friends like these, who needs enemies?, Avec des amis pareils, on n’a plus besoin d’ennemis !

Isa Balado : «Tu as vraiment besoin de me toucher le cul ?»

A peine l’Espagne et le monde sortaient-ils du scandale Rubiales qu’un nouveau drame se produisait, une fois encore en public et en direct à la télévision. Et le lieu ne pouvait être plus annonciateur puisque l’agression s’est produite à Madrid, Place … Tirso de Molina.

Le 12 septembre, lors de l’émission En Boca de Todos (Tout le Monde en Parle) de la chaîne espagnole Cuatro, la journaliste Isa Balado s’exprimait en extérieur face caméra. Arrivant par derrière, un homme lui a demandé pour quelle chaîne elle travaillait – mais non sans lui avoir, devant la caméra, touché les fesses.

Le présentateur de l’émission a demandé à Isa Balado de confirmer le geste abject de l’importun, ce qu’Isa Balado n’a pu que faire, embarrassée. Après qu’elle a fait remarquer son forfait au coupable, qui l’a nié, elle a ajouté que même lui demander pour quelle chaîne elle travaille n’autorisait pas un tel abus gestuel. «¿De verdad me tienes que tocar el culo?», «Tu as vraiment besoin de me toucher le cul ?» a lancé Isa Balado à son agresseur. Après avoir tenté cette fois de toucher les cheveux d’Isa Balado, qui a tourné la tête pour esquiver le geste, il a fini par s’en aller.

Le scandale fut immédiat, avec des réactions y compris au niveau du Gouvernement, et après un appel de Cuatro à la Police nationale espagnole, l’auteur des attouchements fut rapidement arrêté. Mais rien n’était pourtant réglé.

Malgré le flagrant délit, filmé en direct, le Tribunal de Première Instance N° 54 de Madrid rejeta les réquisitions du parquet qui exigeait l’interdiction pour l’agresseur de communiquer avec sa victime et de s’approcher à moins de trois cents mètres d’elle. Pour le président du tribunal, l’accusé «ne connaissait pas la victime jusqu’au moment des faits», bien qu’il reste à expliquer en quoi ce serait une excuse, et l’agression contre Isa Balado ne constituait pas «une situation de risque, d’urgence, de violence ou d’intimidation contre la journaliste», toute femme dans la rue devant donc selon lui se sentir en sécurité lorsqu’un inconnu vient toucher son corps sans permission ni demande de sa part.

L’affaire ayant été transmise à une autre juridiction pour compétence, les réquisitions du parquet peuvent toutefois encore être acceptées et mises en application. Il n’en demeure pas moins que, même en ce cas, le premier juge saisi aura bel et bien refusé d’agir contre l’auteur d’une agression sexuelle devant des millions de téléspectateurs …  Avec tout ce que cela dit d’une société, Amnesty International elle-même qualifiant l’acte de «violation des Droits Humains«, là où un juge nommé par l’Etat et payé par le contribuable pense qu’une femme peut être la Barbie d’un homme non parce qu’elle lui fait comprendre qu’elle a des droits égaux aux siens mais parce qu’il pourrait la toucher tant qu’il le veut, où il le veut, quand il le veut, voire la déshabiller et l’abandonner à son dénuement s’il en trouve une autre plus divertissante.

(C) Amnesty International

Agressées en Espagne pour avoir défendu les prisonnières politiques du Nicaragua

Ces deux affaires ayant eu lieu en Espagne, du moins entre des sujets espagnols, doivent-elles amener à conclure que le pays serait spécialement sexiste ? Deux malfaisants ne représenteront jamais tout un peuple, et bien que l’Espagne reste une société patriarcale comme toutes les sociétés du bassin méditerranéen où cohabitent les cultures chrétienne, juive et musulmane, les réactions fortes du Gouvernement espagnol démontrent que l’impunité en la matière y est révolue.

Le malheur, c’est que le Royaume d’Espagne est une nation de la WENA (Western Europe and North America ; Europe occidentale et Amérique du Nord) qui donne des leçons au monde entier sur les droits des femmes, et si ni l’Espagne entière ni, a fortiori, ses gouvernants ne sont ici en faute, leur attitude ayant justement été la bonne, il suffit de trois Espagnols, dont l’un agissant tout de même comme juge, pour donner le pire des exemples en Espagne même et partout ailleurs au monde.

Et le mauvais exemple a frappé au moins une fois déjà, les victimes en étant des ressortissantes du Nicaragua où Daniel Ortega et Rosario Murillo imposent désormais leur règne sans partage. Le pire, c’est que leurs agresseurs n’étaient pas des agents de l’Etat en uniforme, main sur la matraque ou prêts à tirer sur des femmes désarmées et prises pour cible sans les avoir provoqués, quelque part dans une ruelle sombre de Managua ou à l’abri du silence d’un village reculé. Il s’agissait de civils, eux aussi désarmés, et l’agression ne s’est pas produite au Nicaragua mais … En Espagne.

Le 24 août, lors du concert d’un chanteur péruvien dans une txosna, auberge traditionnelle accueillant des spectacles, au Pays Basque espagnol, un groupe de femmes nicaraguayennes avaient déployé le drapeau de leur pays accompagné de l’inscription Libertad a las presas políticas, Liberté pour les prisonnières politiques. Soudainement, un homme s’est approché d’elles, les invectivant sur l’inscription qu’elles brandissaient, et sitôt qu’elles ont répliqué qu’elles avaient le droit d’être là, l’homme s’est mis à pousser l’une d’elles avec violence. Une barrière humaine s’est aussitôt formée pour défendre les féministes nicaraguayennes, et après leur avoir crié qu’elles «ne connaissaient pas le passé du Nicaragua», rien de moins, l’homme a été contraint de s’en aller.

Se croyant délivrées de leur agresseur, les féministes n’étaient pourtant pas pour autant à l’abri. Peu après, un autre homme, qui s’est présenté comme membre d’Askapeña, organisation indépendantiste basque se réclamant de l’internationalisme marxiste, est venu les prendre à partie en exigeant qu’elles s’en aillent immédiatement. S’étant prévalues là encore de leur droit d’être présentes à la txosna en tant qu’espace de liberté, les féministes nicaraguayennes se sont entendu rétorquer par l’homme qu’il insistait pour qu’elles s’en aillent au nom de la «solidarité internationaliste», ajoutant que brandir leur drapeau en revendiquant la libération des prisonnières politiques était «une honte» et qu’elles n’avaient «aucune idée de ce qu’est la politique». Devant leur insistance, l’homme est monté sur la scène, interrompant le concert. Au micro, il a désigné les féministes à toute la salle, leur enjoignant de «s’attendre aux conséquences de leurs actes» puis les filmant avant de déployer sur la scène un drapeau du Frente Sandinista de Liberación Nacional, Front sandiniste de Libération nationale, le parti de facto unique de Daniel Ortega et Rosario Murillo au Nicaragua.

Il a fallu que les membres de deux organisations, basque et péruvienne, apportent leur secours aux féministes afin d’éviter un lynchage au nom de la «solidarité internationaliste», apparemment celle des dictateurs, des oppresseurs et, surtout, des hommes lâches qui s’en prennent aux femmes tels des loups en meute.

C’était le 24 août – donc après le baiser forcé et les attouchements sexuels de Luis Rubiales contre Jenni Hermoso, qui avaient d’ores et déjà fait le tour du monde et, sans que l’on puisse en douter, allaient ensuite inspirer l’agresseur d’Isa Balado. Pas d’abus sexuels cette fois-ci, dira-t-on ? Certes. Mais l’idée que les femmes sont inférieures et doivent se conformer aux volontés des hommes, même lorsqu’il s’agit d’idéaux politiques se réclamant du progressisme et qui devraient donc en toute logique inclure le féminisme, était bien présente dans toute son horreur. Dans cette Espagne de Don Juan piétinant sans remord l’amour des femmes envers lui, c’est plutôt ici à Tomás de Torquemada que l’on pense, le moine dominicain qui fut le maître d’œuvre de l’Inquisition au quinzième siècle. Si les dogmes changent, le dogmatisme reste, le bûcher se muant en imprécation verbale et les victimes, jadis les Juifs et les Musulmans, en devenant les femmes.

En Iran, les femmes en danger si l’Occident ignore le sexisme

Plus que jamais, la pression doit être maintenue sur les gouvernements du monde qui ignoreraient, voire nieraient, les droits des femmes. Bien entendu sur l’Afghanistan des Talibans et leur apartheid de genre, mais aussi sur le voisin et ancien ennemi des Talibans, la République islamique d’Iran, où résonnait voilà un an le slogan kurde Jin, Jiyan, Azadî, Femme, Vie, Liberté, devenu depuis mondial, après le meurtre par la police des mœurs islamique de la jeune entraîneuse de natation et aspirante-médecin Mahsa Jina Amini, par ailleurs membre des minorités kurde et sunnite du pays. Si le régime des mollahs se maintient depuis à Téhéran, le mouvement populaire de septembre 2022 l’a considérablement affaibli et il le sait, tentant de maintenir une apparence de contrôle sur les esprits mais ne trompant plus personne.

Une autre jeune femme issue d’une minorité ethnique, Elaheh Ejbari, âgée de vingt-deux ans, a récemment attiré l’attention en subissant des tortures qui ont manqué de faire d’elle une nouvelle Mahsa Amini. Elaheh Ejbari, qui est baloutche, avait fui son Sistan-Baloutchistan d’origine aux traditions patriarcales archaïques pour Téhéran où elle avait manifesté après le meurtre de Mahsa Amini. Elle y gagnait sa vie en dispensant des cours particuliers de langues.

Le 5 décembre dernier, revenant d’un cours, elle est enlevée par des inconnus qui la jettent dans une camionnette. L’insultant sur sa peau mate et son origine baloutche, ils l’accusent d’être à la solde de groupes d’opposition à l’étranger puis, après l’avoir frappée, ils lui coupent les cheveux de force, lui arrachent ses vêtements et en viennent – eux aussi – aux attouchements sexuels, lui disant tout leur mépris de la lutte des femmes d’Iran depuis un an.

«Tu aimes ça. Tu dis ‘Femme, vie, liberté’, tu veux te retrouver toute nue, c’est ça ton slogan ? Alors c’est que tu aimes ça. Tu devrais nous remercier.»

Après quatre jours de séquestration, où ils lui répétaient qu’ils ne la tueraient pas mais la renverraient au Baloutchistan pour que ses oncles s’en chargent, ils jettent Elaheh Ejbari en pleine rue. Elle retrouve ses amies, bien sûr inquiètes depuis quatre jours, et leur raconte son calvaire. Sa vie désormais détruite, ses élèves de cours de langues se désistant les uns après les autres et le propriétaire de son logement l’expulsant – peut-être, selon elle, par suite de pressions – elle finit par s’exiler en Turquie où elle vit aujourd’hui.

Difficile – ou hypocrite – de ne pas voir un lien entre les ravisseurs d’Elaheh Ejbari et les autorités iraniennes, qui se savent par trop scrutées désormais pour encore tenter par elles-mêmes au grand jour de tels actes de répression. Le seul langage des lâches alors même qu’ils violaient Elaheh Ejbari suffit à s’en convaincre, l’idée que les femmes sont soit soumises aux diktats masculins, en premier lieu vestimentaires, soit «toutes nues» et génératrices de tentations malsaines pour de pauvres petits hommes fragiles incapables de contrôler des pulsions animales en eux naturelles, constituant un moyen de blocage mental traditionnel du discours islamiste, et la République islamique d’Iran, bien que friande de liens avec l’extrême droite occidentale, islamophobe par excellence, n’en étant pas moins le premier régime islamiste du monde depuis la révolution de 1979.

Naturellement, quatre sujets du Royaume d’Espagne qui ne sont jamais allés en Iran ne peuvent être responsables de ce qui est arrivé à Elaheh Ejbari – et qui s’est produit de toute manière avant les faits qui les ont rendus tristement célèbres. Mais demain, si les dirigeants des pays de la WENA venaient à faiblir face au sexisme devant leurs propres peuples, ces quatre individus et ces mêmes dirigeants pourraient porter leur part de responsabilité dans les violences commises contre d’autres Elaheh Ejbari, Téhéran ne rêvant sans doute pas mieux que l’indifférence de l’Occident lorsqu’il retire toute liberté, voire toute vie, à une femme.

«Le trop de confiance attire le danger»

Même des gouvernements de bonne volonté dans la WENA ne sauront imposer l’idée que les droits des femmes ne sont pas et ne seront jamais solubles dans le discours politique, même lorsqu’il entend se parer de l’absolu de la religion, sans une fermeté exemplaire contre qui, dans la WENA même, se comporte en sens contraire, fût-ce avec le soutien malvenu d’un artiste connu – lui-même mis en cause pour des faits semblables – voire d’un juge.

Ces dernières semaines, l’Espagne a été touchée plus que d’habitude par le problème, mais demain, n’importe quelle nation de la WENA peut l’être à son tour et la nocivité du mauvais exemple ne serait pas moindre s’il s’agissait, loin de la Méditerranée aux traditions patriarcales, de Nordiques scandinaves ou canadiens. La même responsabilité se poserait alors au gouvernement du pays touché d’affirmer clairement qu’il n’existe pas, d’un côté, ses propres bonnes intentions et, de l’autre, l’horreur sexiste de ses administrés dont il s’indigne mais sans plus. Tout comme les politiques européens ont dû apprendre que contrer l’extrême droite xénophobe n’était plus depuis longtemps une seule question de morale, les partis populistes devant être contrés et combattus y compris et d’abord sur le plan substantiel, ils doivent aujourd’hui comprendre que la lutte contre le sexisme ne se satisfait pas davantage du seul anathème.

Autrement, comment la WENA pourrait-elle continuer à convaincre le reste du monde de l’importance des droits des femmes, tels que les définit la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) loin d’être encore ratifiée aussi universellement que l’est, à titre d’exemple, la Convention internationale des Droits de l’Enfant ? Comment rappeler encore et toujours les dispositions de la Résolution 1325 (2000) du Conseil de Sécurité des Nations Unies consacrant le rôle crucial des femmes dans la paix et, justement, la sécurité ? Comment soutenir encore les femmes œuvrant à travers le monde à la démocratie, au développement, à la protection de l’environnement, à la santé, à l’éducation ainsi que dans tous les autres domaines de la société ? Sans oublier toutes celles qui s’illustrent dans le journalisme comme Isa Balado, dans le sport comme Jenni Hermoso, et dans tout ce qui fait d’une civilisation et d’un mode de vie ce qu’ils sont, avec le sort qu’ils réservent aux femmes comme ultime indice de leur humanité.

«Le trop de confiance attire le danger», écrivait Corneille dans Le Cid, où ces mots étaient ceux du roi d’Espagne Don Fernand face à ses conseillers minimisant la montée d’une flotte d’invasion maure vers Séville, invasion qui allait être mise en échec par le jeune Don Rodrigue devenant ainsi «Le Cid» d’après sid, «seigneur» en arabe. «Le trop de confiance», c’est bien souvent ce qui mène à bâtir des châteaux en Espagne, et les derniers événements dans le pays ou liés à ses citoyens viennent rappeler, de manière aussi tragique qu’opportune, que le combat contre le sexisme n’a rien d’une charge de Don Quichotte contre un moulin à vent et que, pour les auteurs d’agressions sexuelles, l’enfer où se voit englouti Don Juan en châtiment de ses provocations répétées, c’est sur cette terre qu’il doit se trouver, ou plutôt, qu’il faut le créer. Cet enfer, ce sera le monde qui leur fait si peur, celui où plus jamais aucune femme n’aura peur.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

«Pour toi Arménie» le monde doit faire cesser le blocus du Haut-Karabakh

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Fighting Racism, Human Rights, Humanitarian Law, International Justice, NGOs, Spirituality, The former Soviet Union, The Search for Peace, United Nations, World Law on September 14, 2023 at 7:16 AM

Par Bernard J. Henry

«Même si tu maudis ton sort,

Dans tes yeux, je veux voir,

Arménie, une lueur d’espoir,

Une flamme, une envie

De prendre ton destin entre tes mains,

A bras le corps …»

Ces paroles écrites par Charles Aznavour, né Sharnough Aznavourian, font partie de Pour toi Arménie, la chanson dont il était l’auteur avec son beau-frère et complice musical de toujours Georges Garvarentz en 1988. Cet hommage amoureux à la terre de ses racines familiales, le plus célèbre des artistes franco-arméniens ne l’avait pas écrit seulement par un élan du cœur. Cette chanson était une urgence – l’urgence d’aider son Arménie frappée par un tremblement de terre meurtrier et dont la population déjà démunie s’était trouvée abandonnée à son sort.

Le 7 décembre 1988, la ville de Spitak, au nord de ce qui était alors la République socialiste soviétique d’Arménie au sein de l’URSS vivant la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, à 11H41 très précises, un séisme de 6,9 sur l’échelle de Richter dévaste la ville. Dans cette Union soviétique qui avoue désormais ses faiblesses, les services de secours ne parviennent à sauver que quatre-vingts personnes des ruines des immeubles effondrés, tandis que vingt-cinq à trente mille personnes trouvent la mort, plus de quinze mille en sortent blessées et cinq cent trente mille n’ont désormais plus nulle part où vivre. Moscou et son affidée d’alors Erevan dépassées par l’ampleur du drame, la diaspora arménienne prend le relais et l’aide à la terre d’origine meurtrie s’organise – en dehors de l’Arménie.

Suivant l’exemple américain de Harry Belafonte, Quincy Jones et Lionel Richie en 1985 avec We Are the World pour l’Ethiopie, Aznavour rassemble quatre-vingt-huit autres chanteurs, acteurs et personnalités de la télévision avec lesquels il enregistre Pour toi Arménie en annonçant que tous les profits du 45 tours, en cette époque sans le streaming et où l’on achète encore des disques vinyles, iront à l’aide humanitaire sur place. Et le public répond présent, le 45 tours entrant directement premier au Top 50, le classement national hebdomadaire des ventes, dont il gardera la première place pendant plusieurs semaines. C’est Aznavour lui-même qui conclut la chanson par le nom de l’Arménie dans la langue nationale, «Hayastan !», tant en français qu’en italien et même en anglais, dans une version américaine que sa notoriété internationale lui permet d’enregistrer avec le soutien de nombreuses célébrités des écrans, grand et petit, ainsi que de la chanson comme Dionne Warwick.

Le 1er octobre prochain verra les cinq ans de la disparition de Charles Aznavour, artiste de légende, humanitaire mais aussi ambassadeur d’Arménie à l’UNESCO puis au Palais des Nations, dont l’Association of World Citizens (AWC) a un jour croisé le chemin pour venir en aide à une habitante de Erevan chassée de son domicile par des violences conjugales. S’il était encore des nôtres, comment réagirait-il au drame que vit actuellement l’Arménie, drame qui, contrairement à celui de Spitak en 1988, n’est pas le fait de la nature mais d’un ennemi bien plus dangereux encore pour l’être humain – lui-même ?

La seule absence de combat ne sera jamais la paix

Entre 1988 et 1994, l’Arménie et son voisin de l’est, l’Azerbaïdjan, républiques soviétiques avant de devenir indépendantes à la faveur de la disparition de l’Union soviétique fin 1991, se sont affrontées militairement autour d’un territoire voisin de l’Arménie, peuplé pour l’essentiel d’Arméniens mais appartenant juridiquement à l’Azerbaïdjan – le Haut-Karabakh, ou Nagorno-Karabakh, sur une partie duquel se tient la République d’Artsakh reconnue par Erevan. Soutenu par Gorbatchev du temps de l’URSS, l’Azerbaïdjan avait refusé tout transfert de souveraineté du Haut-Karabakh à l’Arménie, position qu’il a maintenue en tant qu’État souverain et maintient encore aujourd’hui.

(C) Bourrichon

En 1992, après plusieurs années d’un conflit dominé par l’Azerbaïdjan doté d’un large soutien du monde musulman, l’Arménie remporte de premières victoires décisives. Deux ans plus tard, en mai, c’est un Azerbaïdjan désormais épuisé par une nette domination militaire arménienne qui accepte une trêve, qui ne règle pas le conflit du Haut-Karabakh mais le «gèle» sans solution, laissant le territoire indépendant de facto mais non reconnu sur le plan international. Au cours des années, les liens avec l’Arménie vont se resserrer, culminant avec l’élection en 2008 d’un natif du Haut-Karabakh, Serge Sarkissian, à la présidence de l’Arménie qu’il occupera pendant dix ans. Entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, un seul lien terrestre direct : le corridor de Latchine, large de quelques cinq kilomètres et long de soixante-cinq. Au-delà, l’Azerbaïdjan vaincu, rêvant d’une revanche au détour de l’histoire.

Fin septembre 2020, après le traumatisme d’une année marquée par la pandémie de Covid-19 et qui verra le monde quasi mis à l’arrêt, avec un tiers de la population de la planète confinée à son domicile, l’Azerbaïdjan prend de court une communauté internationale encore sous le choc en lançant une violente offensive contre le Haut-Karabakh. Cette fois, Bakou garde l’ascendant du début à la fin des hostilités, qui vient le 10 novembre avec un cessez-le-feu conclu à l’issue d’une médiation de la Fédération de Russie, avec de lourdes pertes de territoire pour l’Arménie qui doit de céder un tiers du Haut-Karabakh et en retirer ses troupes, Moscou déployant les siennes pour maintenir le cessez-le-feu. Pour les civils arméniens, c’est le temps de l’exil, non sans avoir pour beaucoup d’entre eux brûlé leur maison plutôt que de la voir accueillir des Azerbaïdjanais.

A Latchine, ce sont les forces de maintien de la paix russes qui prennent position, l’Arménie conservant le droit d’utiliser le passage terrestre avec le Haut-Karabakh. Seulement, à partir de février 2022, les mêmes forces armées russes qui maintiennent la paix entre Arménie et Azerbaïdjan deviennent aussi les forces d’invasion de l’Ukraine, qui vaut à Moscou une vaste et légitime condamnation internationale. Qui peut prétendre assurer la paix entre deux belligérants qui, dans le même temps, envahit son voisin ? L’Azerbaïdjan ne va pas tarder à le comprendre. Et dans cette paix qui n’en était pas une depuis la trêve de 1994, l’étant encore moins depuis le cessez-le-feu de 2020, Bakou va en tirer parti. De la pire manière qui soit.

En novembre 2020, des Yazidis se portent volontaires pour rejoindre les forces armées arméniennes et combattre au Haut-Karabakh (C) Armenian Army Media

L’arme de la faim et la «guerre sale» de Bakou

En cet automne 2020, entre Arménie et Azerbaïdjan, sur le Haut-Karabakh, match nul. Le bon moment, sans doute, pour entamer des discussions de paix entre les deux pays qui savent désormais chacun ce que c’est que d’être vainqueur et vaincu. Mais personne ne s’y aventure, et tout comme en 1994, la situation semble gelée sans espoir d’un dénouement définitif du conflit après plus de trente ans. Lorsque survient, du côté de l’Azerbaïdjan, l’impensable.

Le 12 décembre 2022, des Azerbaïdjanais se présentant comme des «militants écologistes» prennent position à l’entrée du corridor de Latchine, entendant bloquer une «exploitation illégale» de minerais locaux. Niant tout lien avec ces «militants écologistes» chez lesquels les slogans pour l’environnement cohabitent avec le drapeau azerbaïdjanais, le Président Ilham Aliyev se montre envers eux étonnamment indulgent par rapport à ses habitudes envers la société civile, habitudes dont nombre de militants ont payé le prix en cellule. Et pour cause, la société civile, la vraie, détient les preuves du lien direct entre ces «militants écologistes» et Bakou.

La preuve ultime, c’est justement Bakou qui la fournira lui-même, le 11 juillet dernier. Ce jour-là, ses propres troupes, drapeaux en main, bloquent désormais officiellement Latchine, accusant la Croix-Rouge de «contrebande» à l’occasion de ses livraisons d’aide humanitaire au Haut-Karabakh. L’organisation nie farouchement l’accusation, en effet de mauvaise foi puisque l’Azerbaïdjan prend pour prétexte les méfaits de quatre chauffeurs extérieurs à la Croix-Rouge qui, dans leurs véhicules personnels, ont tenté de faire passer «des marchandises commerciales» au Haut-Karabakh, bien sûr à l’insu de l’institution humanitaire qui a aussitôt mis fin à leurs contrats.

Mais, pour avoir tenté de réaliser un profit dérisoire, ces quatre malfaiteurs se voient toujours moins punis que le sont les Arméniens du Haut-Karabakh. Le territoire arménien en terre d’Azerbaïdjan se trouve désormais soumis à un blocus total, contraint à un rationnement de la nourriture et du gaz, et tout transfert médical d’urgence de patients vers Erevan est devenu impossible. Après avoir vaincu l’Arménie par les armes conventionnelles, l’Azerbaïdjan use désormais sans complexe contre les Arméniens de l’arme ultime, plus impitoyable encore que l’arme nucléaire qui abrégerait en quelques secondes les souffrances de celles et ceux qu’elle frapperait – l’arme de la faim.

Sous peu, le monde entier s’indigne. Fin août, un convoi humanitaire emmené par plusieurs élus politiques français de diverses tendances idéologiques, à l’exception notable et habituelle de l’extrême droite, se présente à Latchine en tentant de faire route vers le Haut-Karabakh. Pas de surprise – refoulé. Depuis l’Arménie, les dirigeants d’un think tank en appellent à la mise en place d’un pont aérien, à l’image de celui créé par les Alliés durant le blocus de Berlin en 1949. Fait exceptionnel, encore plus depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Washington et Moscou se voient unanimes dans leur demande à Bakou en vue d’une levée du blocus du corridor de Latchine.

Au-delà de la politique, c’est le droit qui ne tarde pas à se manifester, le droit international pénal qui sait tout ce que le nom de l’Arménie signifie pour lui et pour son histoire.

D’un litige sur la souveraineté d’un territoire donné, le conflit prend soudain un goût amer de déjà-vu. Entre les Azerbaïdjanais descendants des Ottomans d’avant la Première Guerre Mondiale et les Arméniens victimes du génocide ottoman en 1915, c’est maintenant le souvenir du génocide qui se rallume dans les esprits, en Arménie et au Haut-Karabakh bien sûr mais, plus encore, dans le reste du monde.

Ronald Suny, professeur de science politique à l’Université du Michigan, cité par CNN, déclare : «Maintenant qu’il a gagné la guerre de 2020 contre l’Arménie, l’Azerbaïdjan a pour but ultime de chasser les Arméniens d’Artsakh hors de l’Azerbaïdjan. Mais plutôt que de recourir directement à la violence, qui susciterait les condamnations à l’étranger, Bakou est décidée à rendre la vie impossible aux Arméniens, les affamer et faire pression sur eux pour qu’ils partent». Pour l’International Association of Genocide Scholars (IAGS), aucun doute, le blocus du Haut-Karabakh engendre un risque de génocide.

Quant à Luis Moreno Ocampo, le premier Procureur de la Cour pénale internationale à sa création en 2002, dans une Opinion d’Expert datée du 7 août, il monte encore d’un cran en écrivant d’entrée «Il est en train de se produire un génocide contre 120 000 Arméniens vivant au Nagorno-Karabakh, également connu sous le nom d’Artsakh».

Sur le blog Social Europe, le spécialiste gréco-arménien des relations internationales George Meneshian appelle enfin l’Europe à «se réveiller» à la réalité du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sous peine de devenir «complice de génocide».

Vouloir vaincre son adversaire en affamant sa population civile, c’est déjà en soi inhumain et lâche, surtout lorsqu’une victoire militaire nette vous place en position de force pour négocier un accord de paix. De la part de l’Azerbaïdjan, pourtant, ce n’est même pas le pire. Parler de génocide, c’est parler de la volonté d’exterminer un peuple, et qui parle d’exterminer un peuple parle d’une notion simple et claire – le racisme.

Capture d’écran de Nor Haratch, publication en ligne arménienne basée en France.

Contre le racisme envers les Arméniens d’Azerbaïdjan, l’arme du droit

Dans son argumentaire expert de vingt-huit pages, Luis Moreno Ocampo, montrant qu’il se souvient que la juridiction dont il a été le premier procureur est née de l’expérience aussi douloureuse qu’indispensable des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR), cite une abondance jurisprudence de l’un et de l’autre pour établir que, parce que le génocide ne s’avoue jamais, il peut et doit donc se déduire des actes du génocidaire, actes qu’il écrit reconnaître dans le blocus par l’Azerbaïdjan du corridor de Latchine.

Mais le magistrat sait aussi mettre un nom sur le premier mal qui frappe les Arméniens, sur la première faute de l’Azerbaïdjan, sur les premiers fondements de cette guerre de la faim. Un mal «prenant naissance dans l’esprit des hommes», dans les mots de l’Acte constitutif de l’UNESCO, tout comme le droit prend naissance dans l’esprit de l’être humain et, selon l’adage romain, ubi societas, ibi jus, là où il y a la société, il y a le droit. Et dans une société où sévit, voire règne, le racisme, il faut bien qu’il y ait le droit, celui de la Société Humaine Universelle que définit Olivier de Frouville, contre celui de la Société des Etats Souverains qu’il lui oppose et qui, comme jadis par exemple en Afrique du Sud, peut décider que le racisme est loi.

Bien que l’Arménie revendique le Haut-Karabakh et que la République d’Artsakh se veuille arménienne, techniquement et juridiquement parlant, les Arméniens du Haut-Karabakh demeurent des habitants de l’Azerbaïdjan, derrière le corridor de Latchine qui, sous blocus, ne peut plus jouer son rôle de lien terrestre unique avec l’Arménie. Derrière la rhétorique guerrière de Bakou et l’exemple qu’elle constitue de «création de l’ennemi» au sens que lui donne John Paul Lederach, ce que voient les instances internationales, à commencer par l’ONU, c’est bel et bien du racisme, celui des Azéris majoritaires en Azerbaïdjan contre les Arméniens de ce même pays qui demeurent, aux yeux de la communauté internationale, des Azerbaïdjanais. Et sur le racisme que subissent ces Azerbaïdjanais arméniens de la part de leurs compatriotes azéris, ce ne sont ni les faits ni les réactions qui manquent.

Le 21 avril 2023, le Représentant permanent de l’Arménie auprès du Siège des Nations Unies écrivait au Secrétaire Général, Antonio Guterres, en rappelant l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire des Arméniens d’Azerbaïdjan. Il parlait du massacre de Soumgaït, ville où, alors que l’Arménie soviétique commençait à revendiquer le Haut-Karabakh, un pogrom azéri avait décimé la population arménienne locale, causant des dizaines de morts, encore plus de blessés, des viols, des pillages et des destructions, toujours contre les mêmes – les Arméniens. Il rappelait les multiples condamnations de l’Azerbaïdjan, morales ou judiciaires, de la part des instances internationales, établissant un lien entre Soumgaït et la haine raciale contemporaine contre les Arméniens.

Et de la part de Erevan, il ne s’agissait pas de lawfare, de cette guerre judiciaire que l’on mène lorsque les armes n’ont pu vous apporter la victoire. Le racisme d’Etat azerbaïdjanais contre les Arméniens n’est pas une simple proclamation politique ; il est une réalité de terrain, et pour Bakou, il s’est mué en une excuse commode pour employer une arme sale, l’arme de la faim, contre le Haut-Karabakh.

Le 7 décembre 2021, à peine plus d’un an après la reprise des combats et la défaite arménienne, la Cour internationale de Justice statuait, saisie par l’Arménie, sur une demande de mesures conservatoires pour le respect de la Convention internationale sur l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination raciale (CIEDR), Erevan demandant à la Cour d’ordonner à l’Azerbaïdjan de changer d’attitude

«— en s’abstenant de se livrer à des pratiques de nettoyage ethnique contre les Arméniens ;

— en s’abstenant de commettre, de glorifier, de récompenser ou de cautionner des actes de racisme contre les Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus ;

— en s’abstenant de tenir ou de tolérer des discours haineux visant les Arméniens, y compris dans les ouvrages pédagogiques ;

— en s’abstenant de bannir la langue arménienne, de détruire le patrimoine culturel arménien ou d’éliminer de toute autre manière l’existence de la présence culturelle historique arménienne, ou d’empêcher les Arméniens d’avoir accès à celle‑ci et d’en jouir ;

— en punissant tout acte de discrimination raciale contre les Arméniens, qu’il soit commis dans la sphère publique ou privée, y compris lorsqu’il est le fait d’agents de l’État ;

— en garantissant aux Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus, la jouissance de leurs droits dans des conditions d’égalité ;

— en adoptant la législation nécessaire pour s’acquitter des obligations que lui fait la CIEDR ;

— en garantissant aux Arméniens un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ainsi qu’une protection et une voie de recours effectives contre les actes de discrimination raciale ;

— en s’abstenant d’entraver l’enregistrement et les activités des ONG et d’arrêter, de détenir et de condamner les militants des droits de l’homme ou toute autre personne œuvrant pour la réconciliation avec l’Arménie et les Arméniens; et

— en prenant des mesures efficaces pour combattre les préjugés contre les Arméniens et des mesures spéciales pour assurer comme il convient le développement de ce groupe».

Dans sa décision, la Cour internationale de Justice avait finalement estimé que

«1) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

a) Par quatorze voix contre une,

Protéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi ;

b) A l’unanimité,

Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine et à la discrimination raciales, y compris par ses agents et ses institutions publiques, à l’égard des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne ;

c) Par treize voix contre deux,

Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien, notamment, mais pas seulement, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts ;

2) A l’unanimité,

Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile».

La haute juridiction onusienne reconnaissait ainsi que la question du Haut-Karabakh n’était pas, ou n’était plus, seulement celle de la souveraineté sur ce territoire de l’un ou de l’autre des deux pays qui le réclamait. Il s’agissait bien, au-delà d’une simple dispute territoriale, de racisme.

Et comme le relève Luis Moreno Ocampo dans son Opinion d’Expert, le 22 septembre 2022, dans ses Observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, le Comité CIEDR fustigeait le pays pour «[l’]incitation à la haine raciale et la propagation de stéréotypes racistes à l’encontre de personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne, notamment sur Internet et dans les médias sociaux, ainsi que par des personnalités publiques et des hauts responsables, et le manque d’informations détaillées sur les enquêtes, les poursuites, les déclarations de culpabilité et les sanctions liées à de tels actes». Une constante de racisme par trop voyante pour que Bakou puisse réduire le blocus du Haut-Karabakh à une simple protestation d’écologistes ou, aujourd’hui, à une mesure devant empêcher la contrebande, excuses si faciles qu’elles en deviennent insultantes.

Notre époque a appris, et Luis Moreno Ocampo a bien compris que c’était là qu’il fallait frapper d’entrée, à oublier les génocides, du moins à les minimiser. Là où jadis, l’évocation de la Shoah juive, du Samudaripen rom ou, justement, du génocide arménien amenait une autorité morale au propos tenu, aujourd’hui, sous prétexte de «point Godwin», il devient quasi disqualifiant d’y faire référence. Admettons, entendu, soulever un génocide, c’est un pathos alarmiste. Mais alors, que dire de l’effroyable niveau de racisme contre les Arméniens constaté et condamné plus d’une fois par l’ONU en Azerbaïdjan, sinon qu’il est la meilleure preuve que le blocus du corridor de Latchine représente, si ce n’est un génocide en soi, du moins son ultime prélude ?

Une certaine conception de l’humanité mise à l’épreuve

S’il s’était parfois mis dans la peau des losers, comme dans Je m’voyais déjà, Poker et Je ne peux pas rentrer chez moi, Charles Aznavour chantait aussi pour dénoncer l’injustice, chantant Comme ils disent en 1972 alors que l’homosexualité est en France réprimée comme un délit, Mourir d’aimer sur l’affaire Gabrielle Russier et Les émigrants en pleine ascension du Front National et de ses thèses xénophobes. Légitime à écrire et produire Pour toi Arménie, il ne l’était pas du seul fait d’être arménien d’origine mais parce que son travail d’artiste parlait pour lui. Autrement, qui sait si l’initiative aurait rencontré le même succès ?

De même que Pour toi Arménie n’avait rien d’un phénomène «de fait», ici le fait d’un chanteur français d’origine arménienne, il n’existe aucune paix «de fait» après un conflit, la paix se construisant, sinon avant la fin des hostilités, du moins dès qu’elle intervient puis sans cesse jusqu’à ce que les belligérants comprennent qu’un accord, ou traité, formel doit sceller pour toujours leur bonne volonté et ouvrir la voie à l’avenir. Ce travail réalisé en 1994, l’offensive azerbaïdjanaise de 2020 serait devenue bien moins probable, et avec elle, cette guerre de la faim d’aujourd’hui.

En Ukraine se joue la survie d’une certaine conception du droit international, celle qui veut que l’agresseur ne soit pas récompensé de sa conduite contre l’agressé, sanctions de divers ordres à l’appui contre Moscou. Plus au nord, au Haut-Karabakh, l’enjeu n’a pas besoin pour se définir d’un manuel de droit. Lorsque l’arme choisie contre l’ennemi désigné est la faim, c’est bien une certaine conception de l’humanité qui est mise à l’épreuve, une conception qui transcende les frontières des États, qu’elles soient ou non reconnues par les autres États, une conception qui accorde toute sa valeur au droit, même s’il ne produit pas d’effet immédiat car il n’en incarne pas moins les principes qui guident une conscience. Cette conception, soit le monde agit pour la défendre au Haut-Karabakh, soit il s’expose à ce qu’elle ne soit plus garantie nulle part.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Ukraine and the Cluster Bombs Debate

In Conflict Resolution, Current Events, Europe, Humanitarian Law, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, World Law on July 12, 2023 at 7:16 AM

By René Wadlow

Currently, there is at the highest foreign policy-making level in the USA a debate concerning the United States (U.S.) sending cluster bombs to Ukraine to support the ongoing counteroffensive. The Ukraine military forces have used most of the cluster bombs they had. It would take a good bit of time to manufacture new cluster weapons. Hence the request for cluster munitions from the U.S.A. However, cluster weapons have been outlawed by a Cluster Weapons Convention signed by many states.

In a remarkable combination of civil society pressure and leadership from a small number of progressive states, a strong ban on the use, manufacture and stocking of cluster bombs was agreed by 111 countries in Dublin, Ireland on May 30, 2008. However, bright sunshine casts a dark shadow. In this case, the dark shadow is the fact that the major makers and users of cluster munitions were deliberately absent from the agreement: Brazil, China, India, Israel, Pakistan, Russia, and the U.S.A.

As arms negotiations at the United Nations (UN) go, the cluster bomb ban has been swift. They began in Oslo, Norway in February 2007 and were often called the “Oslo Process.” The negotiations were a justified reaction to their wide use by Israel in Lebanon during the July-August 2006 conflict. The UN Mine Action Coordination Center working in southern Lebanon reported that their density there is higher than in Kosovo and Iraq, especially in built-up areas, posing a constant threat to hundreds of thousands of people as well as to UN peacemakers. It is estimated that one million cluster bombs were fired in south Lebanon during the 34 days of war, many during the last two days of war when a ceasefire was a real possibility. The Hezbollah militia also shot rockets with cluster bombs into northern Israel.

Cluster munitions are warheads that scatter scores of smaller bombs. Many of these sub-munitions fail to detonate on impact, leaving them scattered on the ground, ready to kill and maim when disturbed or handled. Reports from humanitarian organizations have shown that civilians make up the vast majority of the victims of cluster bombs, especially children attracted by their small size and often bright colors.

The failure rate of cluster munitions is high, ranging from 30 to 80 per cent. But “failure” may be the wrong word. They may, in fact, be designed to kill later. The large number of unexploded cluster bombs means that farmlands and forests cannot be used or used with great danger. Most people killed and wounded by cluster bombs in the 21 conflicts where they have been used are civilians, often young. Such persons often suffer severe injuries such as loss of limbs and loss of sight. It is difficult to resume work or schooling.

Discussions on a ban on cluster weapons had begun in 1979 during the negotiations in Geneva which led to the 1980 “Convention on Prohibition on the Use of Certain Conventional Weapons which May be Deemed to be Excessively Injurious or to Have Indiscriminate Effects.” The indiscriminate impact of cluster bombs was raised by the representative of the Quaker United Nations Office in Geneva and by myself for the Association of World Citizens. My Nongovernmental Organization text of August 1979 “Anti-Personnel Fragmentation Weapons” called for a ban based on the 1868 St. Petersbourg Declaration and recommended the creation of “permanent verification and dispute-settlement procedures which may investigate all charges of the use of prohibited weapons whether in inter-State or internal conflicts and that such a permanent body include a consultative committee of experts who could begin their work without a prior resolution of the UN Security Council.”

At the start of the review conference of the “Convention on Prohibition on the Use of Certain Conventional Weapons” then UN Secretary-General Kofi Annan called for a freeze on the transfer of cluster munitions – the heart of the current debate on U.S. transfers of cluster weapons to Ukraine.

There was little public outcry at the use by Ukrainian forces of cluster weapons since they were fighting against a stronger enemy. However, the debate in the U.S.A. may raise the awareness of the use of cluster weapons and lead to respect for the aim of the cluster weapon ban.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

June 4: Memories of Tiananmen Square

In Asia, Being a World Citizen, Democracy, Europe, Human Rights, NGOs, Nonviolence, Solidarity, The former Soviet Union, Track II on June 4, 2023 at 4:55 PM

By René Wadlow

June 4 makes the security forces in China somewhat uneasy, especially in Hong Kong where, in the past, there were large memorial meetings to remind people of June 4, 1989, when the military and police moved against those who had been protesting publicly for over a month. Students from colleges and universities in China’s capital initiated protests after the death of the former General Secretary of the Communist Party, Hu Yaobang, on April 15, 1989 who was considered a liberal reformer. The movement then spread over a number of weeks to most of the major cities. Students made numerous demands, among them were calls for an end to government corruption, increased funding for education, and freedom of the press. As the movement went on, students were increasingly joined by industrial workers.

There were differences of opinion within the ruling government circle as to how to deal with the protests. As the protests continued, there was more and more international media attention, especially as there were an increasing number of journalists in Beijing in advance of the visit of the Soviet leader, Mikhail Gorbachev, with a large delegation of Soviet officials.

(C) Jeff Widener/Associated Press

Students and intellectuals started writing petitions setting out demands that were signed by more and more people. The decentralized structure of power and decision-making among groups in Tienanmen Square allowed for tactical innovation as each group was free to act as it desired and stress the symbols it wanted. Thus, art school students created the Goddess of Democracy, largely based on the Statue of Liberty in New York harbor. The growth in support for the student-led protests led the more anti-reformist faction in the government to order a crackdown by the military and the police. The tanks started to move into Tiananmen Square.

Since June 1989 there have been reforms within China – what we might call “democratization from below” but without large scale, highly visible public protests. ‘Stability’ and ‘harmony’ have been the stated government policy aims, colored by the breakup of the Soviet Union and fundamental changes in Eastern Europe. So, democratization needs to proceed quietly and gradually. Such democratization requires long-term vision and skillful leadership. Democratization is basically linked to individualization, to an ever-larger number of people thinking for themselves, creating their own lifestyles and ‘thinking outside the box’. It can be a slow process and repressive forces within the government watch events closely. However, it is likely that the direction of individualism is set and cannot be reversed.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Protecting Cultural Heritage in Time of War

In Arts, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Cultural Bridges, Current Events, Europe, Humanitarian Law, NGOs, Solidarity, The Search for Peace, Track II, UKRAINE, United Nations, War Crimes, World Law on May 18, 2023 at 7:56 AM

By René Wadlow

War and armed violence are highly destructive of the lives of persons, but also of works of art and elements of cultural heritage. The war in Ukraine has highlighted the destructive power of war in a dramatic way. Thus, this May 18, “International Museum Day”, we outline some of the ways in which UNESCO is working to protect the cultural heritage in Ukraine in time of war.

May 18 has been designated by UNESCO as the International Day of Museums to highlight the role that museums play in preserving beauty, culture, and history. Museums come in all sizes and are often related to institutions of learning and libraries. Increasingly, churches and centers of worship have taken on the character of museums as people visit them for their artistic value, even they do not share the faith of those who built them.

Knowledge and understanding of a people’s past can help current inhabitants to develop and sustain identity and to appreciate the value of their own culture and heritage. This knowledge and understanding enriches their lives. It enables them to manage contemporary problems more successfully.

It is widely believed in Ukraine that one of the chief aims of the Russian armed intervention is to eliminate all traces of a separate Ukrainian culture, to highlight a common Russian motherland. In order to do this, there is a deliberate destruction of cultural heritage and a looting of museums, churches, and libraries in areas when under Russian military control. Museums, libraries, and churches elsewhere in Ukraine have been targeted by Russian artillery attacks.

After the Second World War, UNESCO had developed international conventions on the protection of cultural and educational bodies in times of conflict. The most important of these is the 1954 Hague Convention for the Protection of Cultural Property in the Event of Armed Conflict. The Hague Convention has been signed by a large number of States including the USSR to which both the Russian Federation and Ukraine are bound.

A Blue Shield in Vienna, Austria (C) Mosbatho, CC BY 4.0

UNESCO has designed a Blue Shield as a symbol of a protected site. Audrey Azoulay, Director-General of UNESCO, has brought a number of these Blue Shields herself to Ukraine to highlight UNESCO’s vital efforts.

The 1954 Hague Convention builds on the efforts of the Roerich Peace Pact signed on April 15, 1935 by 21 States in a Pan-American Union ceremony at the White House in Washington, D.C. In addition to the Latin American States of the Pan American Union, the following States also signed: Kingdom of Albania, Kingdom of Belgium, Republic of China, Republic of Czechoslovakia, Republic of Greece, Irish Free State, Empire of Japan, Republic of Lithuania, Kingdom of Persia, Republic of Poland, Republic of Portugal, Republic of Spain, Confederation of Switzerland, Kingdom of Yugoslavia.

At the signing, Henry A. Wallace, then U.S. Secretary of Agriculture and later Vice-President, said, “At no time has such an ideal been more needed. It is high time for the idealists who make the reality of tomorrow, to rally around such a symbol of international cultural unity. It is time that we appeal to that appreciation of beauty, science, education which runs across all national boundaries to strengthen all that we hold dear in our particular governments and customs. Its acceptance signifies the approach of a time when those who truly love their own nation will appreciate in addition the unique contributions of other nations and also do reverence to that common spiritual enterprise which draws together in one fellowship all artists, scientists, educators and truly religious of whatever faith. Thus we build a world civilization which places that which is fine in humanity above that which is low, sordid and mean, that which is hateful and grabbing.”

We still have efforts to make so that what is fine in humanity is above what is hateful and grabbing. However, the road signs set out the direction clearly.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Caresse Crosby: A World Citizen’s Passionate Years

In Being a World Citizen, Cultural Bridges, Europe, Literature, Poetry, The Search for Peace, United States on April 22, 2023 at 8:22 AM

By René Wadlow

Caresse Crosby (April 20, 1891 – January 24, 1970) was one of the more colorful figures of the early world citizens movement, heading the World Citizen Information Center in Washington, D. C. Her autobiography The Passionate Years was first published in 1953 and more recently republished by the Southern Illinois University Press in 1968. The Southern Illinois University Library holds her papers.

Most of The Passionate Years concerns Caresse Crosby’s life in Paris as the publisher of the Black Sun Press, at the center of the United States (U. S.) writers living in Paris in the 1920s – what has been called the Lost Generation – Ernest Hemingway, Ezra Pound, F. Scott Fitzgerald, Archibald MacLeish. She had moved to Paris in 1922 from Boston with her then husband, Harry Crosby. Harry Crosby was a nephew of J. P. Morgan, the banker. Harry had a short-term job at the Paris branch of the Morgan Bank, but he was not interested in banking and had a reasonable income from a trust fund. Thus, he started a small publishing house to publish in fine but limited editions books of his own poems and those of his friends. Harry Crosby was always preoccupied with the idea of death, having seen it closely as a medical worker in France during the last part of the First World War. Hence the name of Black Sun, a symbol of death overcoming the light of the Sun for the publishing house. On a trip back to New York in 1929 in what may have been a suicide pact, Harry Crosby first shot a woman friend and then himself with her in his arms. (1)

Caresse stayed on in Paris to continue the Black Sun publishing house, opening it also to French writers she liked such as Antoine de Saint-Exupéry. In 1936, seeing the clouds of tensions growing in Europe, she moved back to the USA, living in New York City and Washington, D. C. It was at this time that she began promoting the idea of world citizenship to counter the narrow nationalism she had seen firsthand in visits to Italy and Germany.

Right at the end of the Second World War, she wanted to create a Center for World Peace at Delphi, Greece – a place of inspiration from the Greek gods. However, the Greek Government still weak from the German occupation and the anti-Communist civil war did not want such a center with an ideology that it did not understand. The Greek Government refused the visas. Caresse then moved the idea to Cyprus and created the World Man Center with a geodesic dome designed by Buckminster Fuller, who had become her lover at the time. Cyprus, then under British control, was somewhat out of the way for the sort of visiting writers, painters, and intellectuals that Caresse usually attracted. Thus, she bought a castle north of Rome, the Castello di Rocca Sinibalda, and established an artists’ colony for young artists. She divided her time between this Rome area and her New York and Washington quarters.

For Caresse Crosby, World Citizenship was an aesthetic rather than a political concept, but she did plant seeds in the minds of people largely untouched by geopolitical considerations.

Caresse Crosby and her whippet, Clytoris (1922, author unknown)

1) See Geoffrey Wolff, Black Sun: The Brief Transit and Violent Eclipse of Harry Crosby (New York: New York Review of Books, 2003).

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Benjamin Ferencz, Champion of World Law, Leaves a Strong Heritage on Which to Build

In Africa, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Human Rights, International Justice, NGOs, The Balkan Wars, The Search for Peace, Track II, United Nations, United States, War Crimes, World Law on April 18, 2023 at 7:11 AM

By René Wadlow

Benjamin Ferencz, champion of World Law and World Citizenship, died on April 7, 2023 at the age of 103, leaving a strong heritage of action for world law. He was particularly active in the creation of the International Criminal Court (ICC) located in the Hague.

He was born in March 1920 in what is now Romania, close to the frontiers of Hungary and Ukraine. In the troubled period after the end of the First World War, the parents of Ferencz, who were Jews, decided to emigrate to New York with the help of the Hebrew Immigrant Aid Society. They settled in New York City, and Ferencz changed his Yiddish name Berrel to Benjamin and studied in the New York school system. He did his undergraduate work at City College and then received a scholarship to Harvard Law School, a leading United States (U. S.) law school.

(C) United States Holocaust Memorial Museum

At the end of his law studies at Harvard, he was taken into the U. S. Army and in 1944, he was in Europe with the Army legal section, the Judge-Advocate General Corps. By conviction and interest, he began to collect information on the Nazi concentration camps. He was able to find photos, letters, and other material that he later was able to use as one of the prosecution team in the Nuremberg trials of Germans accused of war crimes. He was also a staff member of the Joint Restitution Successor Organization concerned with the restoration or compensation of goods having belonged to Jewish families. Thus, he developed close cooperation with the then recently created state of Israel.

(C) Leit

From his experiences with the German trials and the many difficulties that the trials posed to be more than the justice of the victors and also the need not to antagonize the recently created Federal Republic of Germany, Ferencz became a strong advocate of an international legal system such as the Tribunals on ex-Yugoslavia of 1993 and on Rwanda (1994). Much of his effort was directed to the creation of the ICC, a creation that owes much to efforts of nongovernmental organizations, such as the Association of World Citizens. It was during this effort for the creation of the ICC that we came into contact.

Benjamin Ferencz leaves a heritage on which we can build. The development of world law is often slow and meets opposition. However, the need is great, and strong efforts at both national and international levels continue.

(C) Adam Jones

(1) See Benjamin B. Ferencz, A Common Sense Guide to World Peace (Dobbs Ferry, NY: Oceana Publications, 1985).

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.