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Peyman Farahavar, poète de la liberté en Iran : «Le poète a dit la vérité, il doit être exécuté»

In Being a World Citizen, Cultural Bridges, Current Events, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, Poetry, Religious Freedom, Solidarity, Spirituality on October 19, 2025 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

«Le poète a dit la vérité, il doit être exécuté».

C’est ce que chantait Guy Béart en 1968, alors que la révolte politique grondait en France et ailleurs. Au départ inspiré pour sa chanson La vérité par l’une des premières anecdotes sur le dopage dans le cyclisme, Béart a élargi sa chanson à l’assassinat de John F. Kennedy, à la répression des écrivains en URSS et même au calvaire de Jésus-Christ, rendant hommage aux victimes du refus de la liberté d’expression et, in fine, se mettant lui-même en scène en tant que victime potentielle des «murmures» et des «tomates mûres» de son public qu’il voyait déjà, à son tour, l’exécuter ! Heureusement non, pas plus qu’après Les couleurs du temps l’année passée, chanson qui est pour moi un hymne personnel.

Aujourd’hui hélas, les autorités de l’Iran, où l’assassinat de la jeune Masha Jina Amini par les Gardiens de la Révolutions (Pasdaran) en septembre 2022 a fait naître des revendications de liberté sous le slogan «Femme, Vie, Liberté» qui, même réprimées, ne se sont jamais tues, semblent avoir pris ce refrain de Guy Béart au pied de la lettre puisqu’elles entendent précisément exécuter un poète, Peyman Farahavar.

De la part de la théocratie chiite de Téhéran, rivale par excellence de celle sunnite d’Arabie saoudite qui est aussi pour elle une solide concurrente en termes de violations des Droits Humains, rien de bien surprenant, certes. Qui croit tirer son pouvoir politique de la parole divine n’admet aucune œuvre de l’esprit humain. Pourtant, Peyman Farahavar a bien d’autres raisons, en fait toutes les raisons, de déplaire au régime des mollahs.

(C) Iran Human Rights

Trop croyant pour devenir théocrate

Quand une idéologie de libération fonde un système politique qui, lui-même, évolue ou plutôt dégénère en dictature, il y a toujours des gens qui, même soutenant le système, s’accrochent aux idéaux et aux principes de la libération rêvée en croyant les pérenniser par leur adhésion à l’institution. Certains resteront fidèles au système quoi qu’il arrive, persuadés de pouvoir le changer de l’intérieur par leur seule intégrité – et bien souvent voués à rester déçus –, tandis que d’autres, poussés au bout du dégoût, le quitteront s’ils le peuvent. Dans la défunte Tchécoslovaquie, un Alexander Dubček rêvant d’un «communisme à visage humain» avait tôt fait d’irriter les tenants moscovites d’un communisme répressif, puis de voir s’abattre sur son Printemps de Prague, en plein cœur de l’été, l’hiver des chars.

Promis à un avenir de mollah réprimant lui aussi son peuple, au nom d’un chiisme vidé de sa substance pour devenir l’instrument pérenne du totalitarisme, Peyman Farahavar s’y est refusé. Aux yeux du pouvoir de Téhéran, première faute.

A trente-sept ans, Peyman Farahavar, également prénommé Amin, originaire de la province de Gilan bordée par la Mer Caspienne et voisine de l’Azerbaïdjan, n’a pas toujours été le primeur de rue et père de famille comme tant d’autres qu’il est aujourd’hui. Comme le révèle IranWire, il était au départ séminariste. Comme son gouvernement, il avait fait de la religion et du culte des martyrs de la révolution islamique les piliers de sa vie. A la ville, il portait les robes des dignitaires chiites que la République islamique érige en aristocratie. A cette différence près que Peyman Farahavar, religieux dans l’âme, ne voyait pas le chiisme comme un instrument d’oppression.

Ecœuré par la manière dont les autorités de Téhéran avaient transformé la religion et la mémoire de la révolution en un «business», il s’était défroqué et avait abandonné sa vie cléricale pour devenir vendeur de rue, primeur spécialiste des fruits, travaillant chaque jour avec son frère pour gagner sa vie et nourrir son petit garçon de dix ans.

Il fustigeait désormais sans concession ces autorités qu’il en était venu à détester, s’opposant farouchement à l’oppression du peuple qu’il reprochait à ces gens auxquels son parcours le vouait au départ à ressembler. La robe des mollahs était devenue pour lui symbole de cette oppression. Pour lui, plus question de la porter encore, et l’enlever voulait dire rejeter non pas la religion, mais le régime qui se faisait oppresseur en son nom.

Devenu voix des sans-voix, Peyman Farahavar criblait sur ses réseaux sociaux «la supériorité autoproclamée du clergé chiite en Iran», ainsi que l’exploitation par le gouvernement «du sang et de la religion des martyrs». Il s’était indigné publiquement du sort de la jeune Mardak Maryaneh, jeune fille de seize ans qui, arrêtée et détenue, s’était suicidée après sa libération.

La prison, Peyman Farahavar allait la découvrir lui-même en mai 2022, avant que l’Iran ne résonne du slogan «Femme, Vie, Liberté». Arrêté une nouvelle fois le 18 août 2024 à Racht, capitale du Gilan, Peyman Farahavar fut détenu vingt-six jours au secret avant d’être transféré à la Section de sécurité de la Prison de Lakan, toujours à Racht. Avant même sa condamnation à mort, il allait bientôt être arraché violemment au monde des vivants.

Une poésie belle et forte à mourir

Dans des prisons iraniennes dont la réputation de barbarie n’est plus à faire, encore moins à ignorer, Peyman Farahavar n’avait aucune chance d’échapper au sort le plus barbare, dont les autorités, pénitentiaires et autres, comptaient sur le fait qu’il demeure aussi le sort le plus ignoré. Par bonheur, pari perdu.

Les sources d’IranWire évoquent des tortures si extrêmes qu’un jour, Peyman Farahavar en a perdu connaissance pendant vingt-quatre heures, mais aussi des saignements gastro-intestinaux persistants, des dérèglements lymphatiques provoquant des furoncles douloureux sur tout le corps, et pas le moindre traitement médical qu’il se voit constamment refuser. Au-delà du corps, l’esprit et le cœur souffrent aussi, de l’absence d’un fils auquel il n’est jamais permis de voir son père, ce qui serait voulu, poursuit IranWire, par une ex-belle-famille vindicative adossée aux Gardiens de la Révolution.

A bien y réfléchir, pourquoi les autorités ménageraient-elles Peyman Farahavar alors que, tout au contraire, elles s’acharnent sur lui pour des aveux ? A coups de «graves tortures psychologiques et physiques», elles exigent qu’il avoue. Avouer ? Mais quoi, au juste ? Qu’il aurait, comme l’en accusent les autorités, déclenché un incendie volontaire sur un chantier ? En pareil cas, Peyman Farahavar n’aurait pas été autant interrogé sur ses écrits, littérale obsession de ses geôliers.

«Le crayon sera sa clé, les feuilles son issue», chantait la regrettée Teri Moise dans Les poèmes de Michelle, son hommage aux enfants travailleurs en un temps où l’on n’en parlait encore que peu. Les Gardiens de la Révolution islamique, redoutables miliciens théocrates de Téhéran, ont bien compris que c’est aussi le cas de Peyman Farahavar, insupportablement libre même dans sa cellule, puisqu’ils se sont employés à détruire ses carnets de notes où figuraient ses poèmes, même lisibles de ses seuls codétenus, car c’était apparemment déjà trop.

Vivant de peu, suivi par seulement quelques centaines de personnes sur Instagram, Peyman Farahavar n’en a pas moins fait suffisamment peur à l’Etat, comme le relève IranWire, pour se retrouver frappé d’une peine de mort. Ces fameux Gardiens de la Révolution, il leur avait fait un sort dans un poème que l’un de ses anciens codétenus décrit comme «très implacable et très beau», lui qui se souvient de Peyman Farahavar comme d’un poète doué pour la satire contestataire et, surtout, pour l’improvisation, à tel point qu’il suffisait d ’ «attiser» en lui la verve poétique pour qu’elle explose en bouquets de vers subversifs d’un savoureux vitriol.

Rien ni personne n’était épargné parmi ce qui révoltait l’ancien mollah en devenir. Incendiaire, oui, il l’était sur la corruption enracinée dans les institutions, les questions liées à l’environnement, mais aussi la fierté culturelle de la population du Gilan. Peyman Farahavar fustigeait les ventes, devenues monnaie courante, de terres agricoles du Gilan à des Iraniens d’autres parties du pays, ainsi que le gaspillage des ressources naturelles de la province par les sociétés immobilières. Jaloux de son identité provinciale, il proclamait son admiration pour les héros locaux, dont Mirza Kuchik Khan, homme politique et chef militaire du début du vingtième siècle. Voix des sans-voix, remarque encore IranWire, Peyman Farahavar portait celle d’un peuple oublié, celle des pauvres, celle des villageois dont la souffrance n’intéressait pas Téhéran.

Pour les mollahs, voilà bien de quoi vouloir exécuter un poète, la peine prononcée contre Peyman Farahavar ayant été confirmée y compris par la Cour suprême iranienne le 24 septembre.

Ecrivez sa liberté

«A quoi sert une chanson si elle est désarmée ?», demandait Julien Clerc en 1993 dans Utile, citant une expression chilienne, «La chanson sans armes ne sert à rien, la chanson sans balles n’affronte pas le fusil». La chanson, Maurice Druon y voyait la «forme moderne de la poésie», bien que la forme traditionnelle n’ait jamais cessé d’exister. Dix ans avant Julien Clerc, Daniel Balavoine évoquait la torture d’un poète dans Frappe avec ta tête. Neuf ans auparavant encore, Michel Delpech ouvrait la voie en unissant poésie et chanson dans Rimbaud chanterait, imaginant un Arthur Rimbaud ayant vécu à cette époque et qui, là où le dix-neuvième siècle l’a vu poète, aurait été chanteur, «lui, l’homme fou, l’ami, le déserteur».

A quoi servait à Guy Béart de chanter La vérité en 1968 ? Les étudiants français en révolte contre le système savaient tout au moins à quoi leur servait la chanson, qu’ils entonnaient parfois dans leurs meetings face à un pouvoir politique en lequel ils voyaient un ultime censeur.

Aujourd’hui, le poète qui a «dit la vérité» se nomme Peyman Farahavar, et dans une illustration insupportablement littérale des vers de Guy Béart, Téhéran entend l’exécuter, sous des motifs fantoches, pour sa seule poésie. Une poésie qui n’a pas besoin de dire à quoi elle sert, car les actes parlent, comme les mots dérangent.

Même pour qui n’est pas poète, un langage poli et un ton décidé suffisent pour dire non au massacre d’un innocent. Il y a toujours une ambassade iranienne, ou bien une mission auprès des Nations Unies à New York, Genève ou Vienne, dans le pire des cas une délégation permanente à l’UNESCO, à contacter. Il serait dommage de priver d’un tel soutien Peyman Farahavar, ainsi que de s’en priver soi-même lorsque l’on peut écrire et dire la vérité sans craindre d’être, comme Téhéran le lui promet, exécuté.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

BOOK REVIEW: Robert K. Musil, “Rachel Carson and Her Sisters: Extraordinary Women Who Have Shaped America’s Environment”

In Book Review, Environmental protection, Human Rights, Literature, Solidarity, Women's Rights on July 31, 2025 at 7:00 AM

By Lawrence Wittner

Robert K. Musil, Rachel Carson and Her Sisters: Extraordinary Women Who Have Shaped America’s Environment.

New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 2014

Despite the central role of women in the environmental movement, surprisingly little is known about them. Furthermore, what is known is usually limited to the work of Rachel Carson, whose powerful call to action, Silent Spring (1962), is widely credited with jump-starting the modern environmental movement. But, as shown by Robert Musil’s new book, Rachel Carson and Her Sisters, Carson is merely the most visible of numerous women who have had a powerful impact upon how Americans have viewed the natural environment and sought to preserve it.

Musil, who is senior fellow at the Center for Congressional and Presidential Studies at American University, first became intrigued with Carson’s life in 2007, when, 43 years after her death, rightwing talk show hosts launched vicious attacks upon her. “I wanted to know more about the roots of such venom,” he recalled. He soon “realized that there had been other Rachel Carsons long before she was born, and that many women have built on her legacy since her untimely death.”

Musil points out that, as the nineteenth century progressed, increasing numbers of American women obtained better education and the ability to travel, write, and take action. They hiked, explored, and botanized, while observing the encroachment of manufacturing and urban life on the countryside. Although restricted by gender discrimination from playing top roles in academia, the professions, and publishing, they nonetheless produced a flood of books, magazine articles, journals, and children’s stories, many of them about nature. In addition, Martha Maxwell began the development of natural history museums, while Susan Fenimore Cooper became active in the movement to stop the slaughter of birds for fashionable women’s hats.

Cooper, daughter of the famed American novelist, was immensely influential. Her book, Rural Hours (1850), a best-selling environmental work, underwent four decades of popular publication and revision, in the United States and overseas. Numerous very popular writings of hers followed. Fluent in three languages and often residing abroad, Cooper moved in the highest circles of intellectuals, scientists, and naturalists.

Other key activists included Graceanna Lewis (a popular ornithologist, as well as a painter); Ada Botsford Comstock (who spread nature study throughout the nation); Florence Merriam Bailey (an organizer of bird-lovers and the most eminent female naturalist writer and organizer of her time who was well-connected to the male-dominated worlds of science and Washington policy); Olive Thorne Miller (a children’s author and environmental educator); and Mary Hunter Austin (a well-known writer about nature but, also, a campaigner against the diversion of water resources to insatiable Los Angeles). By the twentieth century, a nationwide conservation movement had taken shape―one within which women played an important role.

Many of these women lived unorthodox lives. Maxwell, though a vegetarian, gathered her animal and bird specimens by shooting them with a rifle―something considered scandalous when done by women. Lewis was active in the Underground Railroad and the women’s suffrage movement. Bailey combined her ornithology with social work. Austin, a poet and mystic, wrote thirty books, was friends with Jack London, Upton Sinclair, and Willa Cather, and was active in the suffrage and birth control movements.

Their pioneering work was later supplemented by Ellen Swallow Richards and Alice Hamilton, who were keenly attuned to the growing industrial age in America and focused their attention on the plight of poor workers and urban landscapes.

Richards, who first introduced the concept of ecology to the United States, launched associations, founded disciplines, and pioneered health and environmental studies. The first American woman admitted to a high-level science institute of any kind, she performed brilliantly in her field of chemistry. She was also, Musil observes, “in effect, the founder of the American consumer, nutrition, health, and right-to-know movements.” In addition, Richards was a founder of what became the American Association of University Women and chaired its executive committee, authored numerous books, organized the scientific examination of food, and helped the Massachusetts legislature pass the nation’s first pure food laws. She completed the most comprehensive water quality survey in the nation, which sparked the state’s first water quality laws and sewage treatment, and led the campaign to expose the dangerous health conditions in Boston’s schools, thus stirring local and nationwide school reforms.

Hamilton, “the founder of occupational and environmental medicine in the United States,” was trained as a doctor. Employed at the Women’s Medical School of Northwestern University in Chicago, she went to live in Hull House, an institution that drew a number of women environmental activists into its orbit. Here she began to focus on occupational and environmental disease. In 1908, the Governor of Illinois appointed her as the chief medical investigator of a new nine-member commission to study industrial disease in the state. Turning up dramatic indications of lead poisoning, she spoke at numerous conferences and was invited by the U.S. Commissioner of Labor to conduct a nationwide study of the lead industry. A new state law regulating lead, the first in the nation, was passed in Illinois, and similar laws followed elsewhere. While continuing to expose industrial conditions, Hamilton became deeply involved in the peace movement during World War I, attending peace congresses and supporting peace plans developed by Jane Addams and the Women’s International League for Peace and Freedom. After the war, she joined the faculty of the Harvard Medical School as assistant professor of industrial medicine. Thriving in this role, Hamilton became the leading American expert on diseases caused by exposure to industrial pollutants, such as benzene, mercury, and lead.

Many women activists experienced substantial gender discrimination, and were passed over for appointments or denied admission to academic and other institutions. Richards was initially rejected for admission to MIT as a regular student and, despite her later outstanding record, was subsequently refused admission to its doctoral program. Offered a position at Johns Hopkins, Anna Baetjer was informed that it was contingent on promising not to marry. Hamilton was told, when hired at Harvard, that she would not be allowed to use the faculty club or to sit on the platform with male faculty at commencement.

Musil shows that, although Carson herself worked well with men, her deepest influences, relationships, networks and insights, her love of nature and science, her influential and political contacts, and her intimate personal support came from women. In the early 1940s, she and her associates were concerned about the possible toxic effects of DDT. But, when Reader’s Digest rejected her 1945 proposal to write an article on DDT’s dangers, she turned the direction of her freelance writing elsewhere, ultimately producing The Sea Around Us (1951), a best-seller that made her famous. Now financially secure, she left her job at the U.S. Fish and Wildlife Service to concentrate on writing. She worked closely with environmental activists in planning, researching, and writing Silent Spring and, together, they conducted an enormous publicity and organizing campaign for the book, which achieved their goal of alerting the public to the dangers of pesticides and securing government reform. Deeply committed to this cause, as well as to ending nuclear weapons testing, she continued to write Silent Spring, appear on television, and testify before Congress while she was dying of breast cancer.

After Carson’s death, women’s leadership in the environmental movement continued. Terry Tempest Williams, an environmental writer and antinuclear activist, relied, like Carson, on imagination, empathy, and science, and, Musil remarks, was her “metaphorical” and “spiritual daughter.” Another key writer and activist was Sandra Steingraber, who focused on environmental cancer. A poet and biologist, Steingraber played an important role in securing the Stockholm treaty of 1981, which banned persistent organic pollutants (such as pesticides)―a treaty that has yet to be ratified by the U.S. Senate. There was also Devra Davis―a passionate writer who argued that millions had died from modern industrial pollution, and more would in the future, unless remedial action was taken. Moreover, Theo Colborn, a former pharmacist and sheep rancher, became a leading environmental researcher, exposing how synthetic chemicals (such as PCBs) caused animal and human endocrine disruption.

Musil emphasizes the enormous corporate resistance to environmental safety. Although lead is a neurotoxin that lowers IQ and impairs mental performance, “the National Lead Company fought product labelling, not to mention bans; brought lawsuits; and finally, when the danger was undeniable,” blamed children and their families when children consumed lead paint chips. The DuPont Corporation squelched research showing the connection between the chemical dyes in its factories and cancer. The auto corporations battled against the Clean Air Act of 1970. There was also a sharp struggle over leaded gasoline, which had been an issue since the 1920s, when Standard Oil and the Ethyl Corporation “went to great lengths to keep industrial fatalities secret.” The Electric Power Research Institute (the industry group representing coal-fired utilities) hired researchers to challenge any evidence, methodology, or doubt about the hazards of burning coal. When Dow Chemical’s own research revealed that benzene was causing damage to chromosomes, the company pulled the plug on funding for the research. Also, industry fought fiercely―and successfully―every attempt to restrict, remove, or ban cancer-causing, arsenic-treated wood used for children’s playgrounds, outdoor decks, and picnic tables.

Hostile corporations also savagely attacked leading environmental activists. Mary Amdur, “the mother of smog research,” was not only fired and blocked from securing tenured employment, but directly threatened by thugs who demanded that she not deliver a talk to the American Industrial Hygiene Association on the ill effects of smog. (She gave it anyway.) Colborn had her M.A. thesis defense interfered with by the head of operations of a mining corporation, angered by the potential impact of her research. According to Musil, when her powerful book, Our Stolen Future, appeared in 1996, “industry, its PR men, and its political allies went berserk.”

Much the same happened to Carson. As Musil notes, when Silent Spring appeared, she was “immediately faced with an attack campaign orchestrated by the Manufacturing Chemists Association and its corporate allies like DuPont, Monsanto, Dow, and W.R. Grace. Publishers were threatened with lawsuits; public forums were created with doctors and scientists willing to attack Carson.” Monsanto even published a parody of her work. She was assailed as a “peace-nut,” as well as “denounced by critics as a spinster, unscientific, a pro-communist, and more.”

Musil contends that, despite the corporate assault on environmental activism, the environmental movement has grown into “the largest reform movement in American history.” In Washington, DC alone, there exist 34 national environmental organizations with an estimated twelve million dues-paying members, millions more electronic activists, and local chapters in every state in the nation. And women remain at the center of the campaign.

Thus, the struggle continues. Musil concludes that “those who pollute and plunder have huge resources at their command. They challenge serious science, real reform, and . . . block every reasonable effort to build a better, healthier environment for our children and generations yet to come.” Nevertheless, “their sway is slowly, steadily, being reduced over time by the determination of ordinary citizens. . . . We can draw inspiration and leadership from the long line of American women who somehow defied the cinched circumstances and enervated expectations for their gender to become extraordinary leaders of many kinds. They have brought us thus far,” and “we can start now down the path that they have set before us.”

People who want to learn more about this path can turn to Rachel Carson and Her Sisters for a richly detailed, documented, and eloquent history―a ground-breaking account of undaunted American women, determined to prevent environmental catastrophe.

Lawrence Wittner (http://lawrenceswittner.com) is Professor of History Emeritus at SUNY/Albany.

China’s Taoists: Slipping Out of Control?

In Asia, Cultural Bridges, Human Rights, Literature, Religious Freedom, Solidarity, Spirituality on February 17, 2025 at 8:00 AM

By René Wadlow

A review of Monastic Daoism Transformed: The Fate of the Thunder Drum Lineage by Karine Martin (Three Pines Press, 2025, 177 pages)

Since 2017 there has been a Chinese government policy called “Sinicization” in keeping with Xi Jinping’s Thought on Socialism with Chinese Characteristics for a New Era.

Sinicization requires all religious organizations to modify their doctrines and activities so that they match what is considered Han Chinese culture. Authorities have removed crosses from Christian churches and demolished minarets from Islamic mosques. Clergy from all religions are required to attend indoctrination courses on a regular basis. Chinese governments, both Nationalist and Communist, officially recognized five religions: Daoism, Buddhism, Islam, Catholicism and Protestantism.

Some religious groups are considered subversive and are outlawed and their members persecuted such as Falun Gong. During the “Cultural Revolution” (1966 to 1976, ending with the death of Chairman Mao Zedong), religion as such was considered to be one of the “four olds” to be destroyed. Churches and temples were closed. In Tibet, there was widespread destruction of temples. Monks were forced into civilian life. Today, the current policy is to keep religious organizations but to make sure that they do not slip out if control.

Karine Martin is a Western member of the Daoist monastic clergy (Taoism is now more often written as Daoism). In 2023, she was able to travel widely in China visiting more than 100 Daoist temples, especially those of the Thunder Drum lineage to which she belongs. As she writes,

“Everywhere I went, I found temples in a state of decline and disarray. There were no devotees, much fewer clergy, and minimal activities. Buildings were in disrepair, and there was very little renovation and construction. The overall atmosphere was one of desolation and despair… Temple websites – so strongly developed just a decade ago – now only speak about Xi Jinping Thought and ways of complying with government guidelines… Since all clergy were forced to rejoin secular society during the Cultural Revolution, many got married and had children yet later returned to their monasteries. The marriages often continued, if at long distance, allowing priests to fulfill their spiritual calling while yet having families. Now this is no longer possible, and monks either have to leave the monastery or produce a document that they have obtained a divorce and are properly celebrate.”

Karine Martin has written a very complete picture of monastic Daoism, a development of her Ph.D. thesis based on field observations. However, there is a cultural Daoism which colors Chinese life, its folk religious practices with village shrines – all difficult to control. Daoism places much emphasis on dreams during which the dreamer encounters immortals and advanced masters. Dreams are by their nature difficult to control from outside. The interpretation of the dream is also individual. Dreams can also lead to forms of deep personal meditation in order to understand the significance of the dreams.

Daoism also stresses good health and long life. Deep breathing, massages, herbal remedies and yoga-style movements such as Taijjiquan and Qigong can be carried out without belonging to a Daoist organization.

Daoism also places an emphasis on the appreciation of nature, especially mountains, rivers, forests and well-structured gardens. An ecological concern is growing in China without a specific link to organized Daoism.

While the government may try to control organized Daoist organizations, its cultural manifestations are ever slipping out of control and may one day be manifested in political terms.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Missak Manouchian : A un grand homme, le Monde reconnaissant ?

In Armenia, Being a World Citizen, Current Events, Democracy, Europe, Fighting Racism, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, Poetry, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, United Nations, World Law on February 21, 2024 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

Aussi étonnant que cela puisse paraître à qui connaît mal le mouvement Citoyen du Monde, lorsqu’il s’est manifesté pour la première fois sous sa forme contemporaine pendant l’Assemblée générale de l’ONU au Palais de Chaillot, à Paris, en novembre 1948, ce fut sous la conduite de deux hommes qui avaient porté les armes de leurs pays respectifs, les Etats-Unis et la France, pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour les Etats-Unis, c’était bien sûr Garry Davis, acteur et danseur à Broadway qui rêvait d’une carrière à Hollywood. Après la mort au combat de son frère Bud à Salerno, en Italie, dévasté par le chagrin puis embrasé par le désir de vengeance, le jeune artiste était devenu pilote de bombardier dans l’U. S. Air Force et, désormais sous-lieutenant, il avait participé à un raid sur la base allemande de Peenemünde où officiait Wernher von Braun qui, après la capitulation de l’Allemagne nazie, a joué un rôle majeur dans le programme spatial américain. En 1948, pris de remords d’avoir contribué à détruire des villes et bombarder des civils, Davis choisira de se rendre à Paris pour renoncer à son passeport américain et se proclamer Premier Citoyen du Monde.

Pour la France, c’était Robert Soulage, dit Sarrazac, instituteur de formation. A l’occasion de son service militaire comme élève-officier de réserve, le jeune Soulage avait fait la connaissance du lieutenant Henri Frenay qui, après le départ de l’armée de Soulage en 1942, l’avait entraîné avec lui dans la Résistance où il était devenu Sarrazac. Arrêté en janvier 1944, il était parvenu à s’évader et, ayant réintégré la Résistance, il avait organisé les maquis puis participé à la Libération. En 1947, il sera parmi les fondateurs du Front humain des Citoyens du Monde.

C’est ensemble que les deux anciens soldats, à présent unis dans une cause sans nation ni drapeau et, surtout, sans arme ni victime, interrompront l’Assemblée générale de l’ONU pour y lire à haute voix la Déclaration d’Oran écrite par Albert Camus.

Traditionnellement synonyme de pacifisme inconditionnel et de refus des frontières nationales, même si c’est là un résumé bien sommaire et réducteur de ce qu’elle représente – et, si on l’applique à l’AWC, une description si simpliste de son action qu’elle en serait tout simplement inexacte –, la Citoyenneté Mondiale contemporaine est donc bien issue de la Seconde Guerre Mondiale, plus spécifiquement de la lutte contre le nazisme. C’est aussi le cas des Nations Unies, organisation intergouvernementale par excellence depuis 1945 mais, auparavant, alliance militaire contre l’Axe, née du suprême paradoxe historique qui faisait du patriotisme armé de l’instant présent la condition sine qua non de l’universalisme pacifiste de l’avenir.

Qui, à l’époque, pouvait prétendre avoir le choix ? Pour ne parler que de l’Allemagne hitlérienne, le danger du fascisme tel qu’il se manifestait à travers l’Europe depuis les années 1930 et, dans un monde en guerre, l’horreur qu’inspirait l’idée d’un Axe vainqueur et dominant le monde pour un millier d’années, comme en rêvait Adolf Hitler, imposait de prendre les armes et, au besoin, de se joindre à un rival dont l’on se méfiait, comme s’y étaient résignés Churchill et de Gaulle, voire à son pire adversaire idéologique, comme l’avaient fait Roosevelt et Staline, pour vaincre un ennemi commun et empêcher à tout prix sa victoire. Les frontières ne comptaient plus, qu’elles soient nationales, idéologiques ou autres, face au péril fasciste.

Ce 21 février 2024, en France, un pays où l’extrême droite n’a jamais été politiquement aussi forte depuis la Libération d’août 1944 invite au Panthéon, lieu symbolique où reposent les plus grandes gloires du pays, un homme et son épouse qui sont deux symboles des plus vibrants de la lutte antifasciste de cette époque – Missak et Mélinée Manouchian, membres actifs de la Résistance, le premier ayant été pour cela fusillé voilà très précisément quatre-vingts-ans aujourd’hui. Un hommage aussi mérité et bienvenu qu’il est tardif, et qui ne peut que nous rappeler qu’aucun hommage au passé ne vaut s’il n’en sort un acte de vigilance pour le présent et l’avenir, tant éloigné que plus proche.

Manouchian, mort pour la France – qui ne voulait pas de lui

Né en 1906 dans l’actuelle Turquie, alors le siège de l’Empire ottoman, le jeune Missak a neuf ans lorsque son père tombe les armes à la main dans la résistance arménienne au génocide qui vient de débuter. Poussé vers l’exil avec sa mère et ses frères, devenu vite orphelin, Missak se retrouve en orphelinat d’abord en Turquie puis au Liban, confié avec son frère Garabed à des enseignants arméniens.

C’est en 1924 qu’il débarque en France, y rejoignant Garabed à Marseille où ils travaillent comme ouvriers. L’année suivante, les deux frères s’installent à Paris, économisant jusqu’à pouvoir faire venir à leurs côtés leur frère Haïg depuis la Syrie. Après avoir été brièvement interné en psychiatrie après le décès de Garabed en mars 1927 qu’il ne parvient pas à surmonter, Missak Manouchian, admirateur des Encyclopédistes inspirateurs de la Révolution française, athlète et poète tout à la fois, rencontre la Confédération générale du Travail (CGT), syndicat historiquement lié au Parti Communiste Français (PCF) auquel il adhère en 1934, encore sous le choc de la tentative de coup d’Etat des ligues fascistes du 6 février à Paris.

Missak Manouchian

Dans le même temps, Missak Manouchian devient membre de la section française du Comité de secours pour l’Arménie (Hay(astani) Oknoutian Gomidé ; HOG) et y fait la connaissance d’une jeune femme, Mélinée Assadourian. En 1935, les deux jeunes gens sont élus à la direction du HOG et, l’année suivante, ils se marient – plus exactement, ils obtiennent un «certificat de coutume en vue de mariage» car ils sont, l’un et l’autre, apatrides. Après la dissolution du HOG en 1937 et jusqu’en 1939, le rôle militant de Missak Manouchian s’accroît au sein du PCF, et pour la première fois en France, le jeune survivant du génocide arménien rencontre la répression.

Début septembre 1939, depuis le pacte germano-soviétique signé le mois précédent, les députés du PCF sont interdits de siéger, le parti et ses organisations connexes sont interdits et ses cadres sont en prison. Arrêté le 2, veille de la déclaration de la guerre, Missak Manouchian, qui a tenté en 1933 de devenir français mais sans succès, est libéré le mois suivant et, toujours apatride, il rejoint comme engagé volontaire une unité militaire en Bretagne, demandant une nouvelle fois sa naturalisation en janvier 1940 et essuyant un nouveau refus.

Après l’armistice de juin 1940, Missak Manouchian est maintenu de force en usine dans la Sarthe. C’est en 1941 qu’il s’en enfuit pour revenir à Paris, où le militant communiste jadis arrêté sous la République à cause du pacte germano-soviétique l’est de nouveau, cette fois par les autorités d’occupation, peu après la rupture du même pacte par l’Allemagne nazie et son invasion de l’URSS le 22 juin. Emprisonné à Compiègne, il est libéré sans charge et retrouve Mélinée à Paris.

Mélinée Assadourian Manouchian

En 1943, Missak Manouchian, désormais Michel, devient membre des Francs-tireurs et Partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de Paris, groupe de Résistance issu du PCF, où ses camarades sont pour l’essentiel des Juifs de Roumanie et de Hongrie ainsi que des Arméniens comme lui, quoique moins nombreux. En août, Michel Manouchian est promu Commissaire militaire de la Région parisienne des FTP-MOI, multipliant les actions contre l’occupant dans son secteur de juridiction en novembre. Mais le 16 au matin, la Police française, de longue date sur ses traces, l’arrête à la gare d’Évry Petit-Bourg avec son supérieur politique Joseph Epstein.

Torturé d’entrée, Michel Manouchian est traduit devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris le 19 février 1944, lors d’un simulacre de procès mis en scène pour la presse collaborationniste qui se régale du lynchage de ceux de l’Affiche rouge, placardée à l’envi par les services de Vichy, reprenant les visages de Manouchian et des membres de son groupe, chacun y étant fustigé sur son origine étrangère et/ou sa judéité auxquelles sont accolés ses faits d’armes qualifiés d’«attentats», la question en haut de l’affiche «Des libérateurs ?» trouvant sa réponse en bas : «La Libération par l’armée du crime !».

L’Affiche rouge, recto-verso

Sans surprise, le tribunal condamne à mort vingt-trois des accusés. Et le 21 février 1944, à Suresnes, dans l’actuel Département des Hauts-de-Seine, au sein de la Forteresse du Mont Valérien, jadis symbole de la résistance du peuple français à l’armée allemande pendant la guerre de 1870 et, inéluctablement, sous contrôle ennemi depuis 1940, Michel Manouchian, qui a refusé d’avoir les yeux bandés devant le peloton d’exécution, tombe sous les balles du fascisme. Deux fois refusé à la naturalisation, Missak Manouchian, apatride né dans la communauté arménienne de l’Empire ottoman, mourait ainsi pour la France alors qu’elle n’avait jamais voulu de lui parmi les siens.

Le 11 avril, Joseph Epstein subira le même sort au même endroit.

En tout, ce sont plus d’un millier de combattants de la France Libre qui seront fusillés à la Forteresse du Mont Valérien. Le 18 juin 1960, Charles de Gaulle, général et chef de la France Libre devenu Président de la République en 1958, y inaugurera le Mémorial de la France Combattante. Chaque année à la même date, le chef de l’Etat français y retrouve les autorités locales pour un hommage au pied du sanctuaire orné d’une croix de Lorraine, symbole de la Résistance gaulliste, et d’une flamme entretenue jour et nuit dont il est écrit sur place que «la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas».

Le Mémorial de la France Combattante du Mont Valérien (C) Bernard J. Henry/AWC

En 1959, Léo Ferré, chanteur franco-monégasque aux idées anarchistes assumées, donc hostile tant au gaullisme qu’au communisme, met en musique les Strophes pour se souvenir de Louis Aragon parues quatre ans plus tôt, sous le titre L’Affiche rouge que reprendra en 1976 le cinéaste Frank Cassenti pour raconter sur grand écran l’histoire de Michel Manouchian et ses frères d’armes dans la Résistance. Malgré ces vibrants hommages artistiques, ce n’est qu’en novembre 1978 que la ville d’Ivry-sur-Seine, dans l’actuel Département du Val-de-Marne, érigera un monument à ceux de l’Affiche rouge et les y fera inhumer. Selon l’idéologie qui animait les Résistants français, toutes leurs mémoires ne se valaient pas.

Mélinée, veuve, biographe et gardienne de la mémoire

Quant à Mélinée, ayant d’abord pris la fuite avec l’aide d’une famille arménienne résistante de Paris, les Aznavourian, dont le fils Shahnourh deviendra plus tard le chanteur Charles Aznavour, elle poursuit la lutte au sein du milieu arménien de la Résistance. Après la Libération, elle publie un recueil des poèmes de feu son époux qu’elle a traduits de l’arménien.

En 1947, répondant à l’appel de l’URSS à ses anciens ressortissants pour venir œuvrer au repeuplement, elle part pour Erevan, capitale de l’Arménie soviétique, où elle enseigne le français. Mais son dégoût du stalinisme et un cancer mal soigné la poussent à vouloir revenir en France, ce qu’elle n’est autorisée à faire qu’en 1960 avec l’avènement de Nikita Khrouchtchev.

Première biographe de Missak Manouchian, elle consacrera sa vie à promouvoir sa mémoire et celle des Arméniens de la Résistance. Après une vive polémique dans les années 1980 avec la direction du PCF sur le rôle du parti dans la mise en danger de Missak Manouchian qu’elle avait alors cherché à protéger, Mélinée s’éteint en 1989. Inhumée à Ivry-sur-Seine près de son époux mais non avec lui, elle le rejoint finalement en 1994, cinquante ans après l’exécution au Mont Valérien.

Aujourd’hui, sur la décision du Président de la République française, Emmanuel Macron, c’est ensemble qu’ils entrent au Panthéon.

Une histoire personnelle

J’habite Suresnes depuis plus de quinze ans. Je suis né à Saint-Cloud, ville voisine, et suis originaire de Rueil-Malmaison, autre ville voisine, toutes deux situées en partie comme Suresnes et Nanterre sur le Plateau du Mont Valérien. L’histoire des fusillés de la forteresse occupée est dans ma vie depuis toujours. Si je ne suis pas arménien et n’ai pas une goutte de sang en commun avec Missak Manouchian, son histoire est aussi mon histoire, l’histoire de la France et, pour moi, une histoire personnelle.

Pendant l’Occupation, une partie de ma famille maternelle habitait Nanterre, et en cette époque de bruit urbain autrement moins important qu’aujourd’hui – amoindri plus encore par les restrictions de circulation des autorités allemandes – lorsqu’une exécution avait lieu au Mont Valérien, les coups de feu s’entendaient jusque chez eux, sur le Plateau. Pour ces immigrés du nord de l’Italie, eux aussi membres de la Résistance alors que certains n’avaient jamais pu obtenir la nationalité française du temps de la Troisième République, c’était aussitôt la pensée qu’un jour, peut-être, ce serait leur tour de se retrouver devant les fusils.

Même ceux d’entre eux qui étaient toujours italiens avaient porté les armes pour la France. Non mobilisés en 1939 puisque n’étant pas citoyens français, mais sujets du Royaume d’Italie qui vivait depuis octobre 1922 sous la terreur fasciste de Benito Mussolini, c’est pourtant vers l’armée qu’ils se sont tournés en octobre 1940, lorsque Rome a rejoint son allié allemand dans la guerre contre la France. Désormais ressortissants d’un État ennemi, ils se voyaient déjà soit internés dans un camp, l’un de ces camps d’étrangers créés par le gouvernement issu du Front populaire à partir de 1938, soit déportés vers cette Italie qu’ils avaient fuie. Unanimement, ils se sont engagés dans l’armée française où leur origine italienne leur a valu d’être versés dans les Chasseurs alpins pour aller, à la frontière sud-est du pays, tirer sur leurs compatriotes. Prisonniers de guerre, certains n’obtinrent finalement la nationalité française qu’en 1953, huit ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et aucune décoration que je sache.

Durant son «procès» devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris, Missak Manouchian a jeté à la face de ses juges «La nationalité française, vous l’avez héritée, et nous, nous l’avons méritée». Mes proches ancêtres à moi l’ont eue, au risque même de leurs vies, et pourtant, les Français qui l’ont «héritée» ne se sont jamais privés de leur faire remarquer qu’ils étaient au départ des étrangers. Entre qui voulait seulement défendre sa terre ancestrale passée sous la botte de l’ennemi héréditaire s’étant montré plus fort au combat et qui voulait défendre le pays incarnant à ses yeux une idée, une liberté et presque un droit, tout le monde en France n’avait pas rejoint la même Résistance.

L’histoire de Missak Manouchian et de ceux de l’Affiche Rouge, c’est aussi mon histoire à moi, celle de la migration ouvrière et de la résistance au fascisme par-delà les nationalités et les idéologies. L’histoire du pays qui envoie aujourd’hui même le couple Manouchian reposer parmi ses plus grands mais qui, ne serait-ce qu’à travers ses dirigeants, à coups de lois sur la migration à forte teneur xénophobe et de discours «de patience malvenue», comme le chante Louis Chedid dans Anne ma sœur Anne, affirme de plus en plus fort que les héritiers politiques des Français qui ont collaboré avec l’occupant allemand ne sont pas plus dangereux que ceux des Résistants, au risque de leur offrir bientôt le pouvoir et leur permettre y compris d’anéantir, ne serait-ce que de décharner, l’histoire de la Résistance au-delà de celle de Français n’ayant cherché qu’à chasser de chez eux un ennemi étranger, sans forcément dire non à une forme de fascisme «maison» à la place.

Tout le monde en France n’a pas, comme moi, la Résistance en héritage familial. Dans d’autres familles, c’est au contraire la collaboration avec l’Allemagne nazie qui forme le passif, ou bien encore l’absence de choix d’un camp, peut-être au profit du seul impératif de survie. Une chose est sûre toutefois : le pays où nous vivons, cette France libre et démocratique, c’est bel et bien l’œuvre des Manouchian, de Robert Sarrazac et de leurs camarades de la Résistance, ce n’est pas l’État français du Maréchal Pétain auquel auraient succédé les Quatrième puis Cinquième République, comme en Espagne où la monarchie a succédé au franquisme même sans en poursuivre les politiques fascistes, à l’inverse du Portugal voisin où la Révolution des Œillets avait marqué une rupture claire et nette avec le salazarisme. Renier ou minimiser l’héritage de la Résistance, le reléguer en quelque façon au rang de passé révolu tout juste digne de la cave ou du grenier, pour chaque Française ou Français, c’est scier la branche où l’on est assis.

Comment dès lors, et surtout pourquoi, chercher à honorer dans le passé ce que l’on démonétise dans le présent ? Les honneurs rendus aux Manouchian sont-ils le premier pas vers un changement plus qu’attendu, celui du retour aux «leçons de l’histoire» chères à Elie Wiesel et George Santayana, ou bien un solde de tout compte avant de dire pour de bon que la France d’aujourd’hui ne doit plus rien à la Résistance ?

Le monde reconnaissant ?

Bien sûr, la politique de l’oubli ne touche pas que la France. Avec Donald Trump, les Etats-Unis avaient eux aussi cédé à la tentation d’oublier les grands combats de leur histoire, qu’il s’agisse de la Guerre de Sécession ou de l’héroïsme des G.I. en Normandie voilà quatre-vingts ans, et le risque existe toujours de voir, en novembre prochain, un retour à ce choix de l’oubli après quatre ans d’administration démocrate. En Italie, les héritiers politiques de Mussolini ont conquis le pouvoir. En Argentine, un candidat d’inspiration semblable, Javier Milei, a pris la présidence, et aux Pays-Bas, le parti populiste de Geert Wilders a lui aussi remporté une majorité parlementaire mais sans pouvoir quant à lui former un gouvernement. Dans l’ancien monde communiste, la Hongrie, le Belarus et bien sûr la Russie se distinguent comme les plus tragiques exemples de l’abandon d’un extrême pour verser dans son opposé. La liste n’étant hélas pas exhaustive.

Les derniers témoins de la Seconde Guerre Mondiale, en ce compris de la Shoah en Europe, disparaissent. Ce temps était voué à arriver un jour ou l’autre. Mais leurs souvenirs, leurs récits, leurs mises en garde pour le présent, leurs avertissements pour l’avenir sont aussi nombreux qu’ils sont éternels. Que les témoins de l’horreur rejoignent le monde qui attend chacune et chacun au bout de l’existence, rien que de très normal. Mais qu’ils le fassent en un temps où leur héritage se voit si méprisé, voire dans certains cas contesté, cela ne peut que résonner comme un assourdissant signal d’alarme.

A Paris, le Panthéon porte en son fronton l’inscription «Aux grands hommes la Patrie reconnaissante», reliquat d’un temps où les femmes n’étaient pas jugées dignes de cette reconnaissance. Ce n’est qu’en 1995, avec Marie Curie, qu’une femme fut enfin admise au Panthéon, du moins pour ses mérites, la toute première ayant été, en 1907, Sophie Berthelot, l’épouse du chimiste Marcellin Berthelot qui n’avait fait que suivre le sort de son mari.

Le Panthéon à Paris (C) Guilhem Vellut

Parmi ces «grands hommes» et donc aussi désormais «grandes femmes» reposent déjà d’autres figures de la Résistance. En 1964, André Malraux y accueillait un autre ancien Résistant, légendaire préfet cadre puis martyr de la France libre, par ces mots devenus eux aussi légendaires, «Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège», André Malraux qui rejoignit à son tour le Panthéon en 1996, où il prenait place aux côtés de deux autres figures de la Résistance, Félix Éboué et René Cassin, père de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. En 2015, quatre autres Résistants intégraient la crypte sacrée de la République – Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.

Ce n’est pas que «la Patrie», comme l’appellent les Français du haut du Panthéon, qui peut et doit leur être reconnaissante ainsi qu’aux Manouchian. C’est un monde qui, tout entier, jusqu’aux confins de la Cordillère des Andes dans une Amérique latine qui n’a jamais vu la Seconde Guerre Mondiale sur son sol, a été façonné par la lutte contre le fascisme et tout ce qu’elle a produit après la victoire.

Tout d’abord, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, promue par Cassin aux côtés d’Eleanor Roosevelt et que Garry Davis qualifiait, bien optimiste, de «reconnaissance politique de l’être humain». Ensuite, l’idée qu’il n’existait aucune raison pour qu’une partie du monde continue à s’approprier comme dans les temps anciens la terre, la population, les ressources et le travail de peuples en habitant d’autres, ce qui amena la fin du colonialisme occidental.

Enfin, le principe fondamental, mais si violemment bousculé depuis le début de la décennie, que la guerre de conquête et l’extermination de masse ne se justifient pas même par la guerre, ni dans les Sudètes, en Tchécoslovaquie ou en Pologne à l’époque, ni en Syrie, en Ukraine ou en Israël et dans les Territoires palestiniens aujourd’hui.

Le soldat français tué en tentant de défendre un village en mai 1940, le soldat anglais tué sur son sol natal lors du Blitz allemand, le soldat soviétique tué par la Wehrmacht dans l’ouest de la Russie après la rupture par Hitler de son pacte avec Staline, le soldat américain tué le 6 juin 1944 sur une plage de Normandie, le Résistant ou partisan tué au combat en France, en Italie ou ailleurs, tous ces héros inconnus et qui le resteront, tous méritent la reconnaissance. Mais aujourd’hui, Missak Manouchian est mis à l’honneur par celui des cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité qui fut à la fois le plus meurtri en son territoire et le plus actif au combat contre l’Axe durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est là un acte qui est tout autant à saluer qu’à interroger.

Quel exemple, quelle leçon, entend en tirer la France aux Nations Unies et dans sa politique étrangère – mais aussi, car le besoin en est réel, intérieure ? Quel engagement solennel, quel acte de vigilance pour l’avenir proche et lointain, viendra valider cet hommage au passé ? Quelle reconnaissance de la France, mais aussi du monde, à Missak Manouchian, «grand homme» à partir d’aujourd’hui, et à Mélinée Manouchian qui rejoint ainsi Simone Veil et Joséphine Baker, sortira de cette canonisation laïque si elle n’est un pur vœu pieux ?

La réponse se trouvera dans notre aptitude à, et/ou notre volonté de, savoir délaisser les congratulations officielles pour embrasser l’esprit et, c’est là que le mot convient le mieux, la lettre de ce qu’écrivait Missak, ou Michel, Manouchian dans son poème «Privation» :

«Quand j’erre dans les rues d’une métropole,

Toutes les misères, tous les dénuements,

Lamentation et révolte l’une à l’autre,

Mes yeux les rassemblent, mon âme les loge».

A Paris, au Quartier Latin, nous verrons passer Manouchian depuis son éternité, errant dans les rues de la métropole, et ses combats, nous les ferons nôtres. Ou bien, à Paris et partout dans le monde, enchaînés de plein gré dans notre ingratitude envers ces combats qui écrivirent toute son histoire, toute la nôtre, toute celle du monde, nous perdrons tout.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Caresse Crosby: A World Citizen’s Passionate Years

In Being a World Citizen, Cultural Bridges, Europe, Literature, Poetry, The Search for Peace, United States on April 22, 2023 at 8:22 AM

By René Wadlow

Caresse Crosby (April 20, 1891 – January 24, 1970) was one of the more colorful figures of the early world citizens movement, heading the World Citizen Information Center in Washington, D. C. Her autobiography The Passionate Years was first published in 1953 and more recently republished by the Southern Illinois University Press in 1968. The Southern Illinois University Library holds her papers.

Most of The Passionate Years concerns Caresse Crosby’s life in Paris as the publisher of the Black Sun Press, at the center of the United States (U. S.) writers living in Paris in the 1920s – what has been called the Lost Generation – Ernest Hemingway, Ezra Pound, F. Scott Fitzgerald, Archibald MacLeish. She had moved to Paris in 1922 from Boston with her then husband, Harry Crosby. Harry Crosby was a nephew of J. P. Morgan, the banker. Harry had a short-term job at the Paris branch of the Morgan Bank, but he was not interested in banking and had a reasonable income from a trust fund. Thus, he started a small publishing house to publish in fine but limited editions books of his own poems and those of his friends. Harry Crosby was always preoccupied with the idea of death, having seen it closely as a medical worker in France during the last part of the First World War. Hence the name of Black Sun, a symbol of death overcoming the light of the Sun for the publishing house. On a trip back to New York in 1929 in what may have been a suicide pact, Harry Crosby first shot a woman friend and then himself with her in his arms. (1)

Caresse stayed on in Paris to continue the Black Sun publishing house, opening it also to French writers she liked such as Antoine de Saint-Exupéry. In 1936, seeing the clouds of tensions growing in Europe, she moved back to the USA, living in New York City and Washington, D. C. It was at this time that she began promoting the idea of world citizenship to counter the narrow nationalism she had seen firsthand in visits to Italy and Germany.

Right at the end of the Second World War, she wanted to create a Center for World Peace at Delphi, Greece – a place of inspiration from the Greek gods. However, the Greek Government still weak from the German occupation and the anti-Communist civil war did not want such a center with an ideology that it did not understand. The Greek Government refused the visas. Caresse then moved the idea to Cyprus and created the World Man Center with a geodesic dome designed by Buckminster Fuller, who had become her lover at the time. Cyprus, then under British control, was somewhat out of the way for the sort of visiting writers, painters, and intellectuals that Caresse usually attracted. Thus, she bought a castle north of Rome, the Castello di Rocca Sinibalda, and established an artists’ colony for young artists. She divided her time between this Rome area and her New York and Washington quarters.

For Caresse Crosby, World Citizenship was an aesthetic rather than a political concept, but she did plant seeds in the minds of people largely untouched by geopolitical considerations.

Caresse Crosby and her whippet, Clytoris (1922, author unknown)

1) See Geoffrey Wolff, Black Sun: The Brief Transit and Violent Eclipse of Harry Crosby (New York: New York Review of Books, 2003).

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

H.G. Wells and Human Rights

In Being a World Citizen, Human Rights, Literature, Solidarity, United Nations, World Law on January 21, 2023 at 8:42 PM

By René Wadlow

2023 will see a year-long effort leading to December 10, 2023, the 75th anniversary of the Universal Declaration of Human Rights. The effort carries the title “Dignity, Freedom and Justice for All”. Thus, it is useful to look at some of the intellectual preparations both within the League of Nations and among individual thinkers for the Universal Declaration. One of the most widely read was that of Herbert George (H.G.) Wells’ “Declaration of the Rights and Duties of the World Citizen” which is found in his book Phoenix: A Summary of the Inescapable Conditions of World Reorganization published in 1942. The Declaration of the Rights and Duties of the World Citizen had been translated into 10 languages and sent to 300 editors of newspapers in 48 countries.

H.G. Wells was concerned from the 1930s on with the ways the world should be organized with a world organization stronger than the League of Nations. Such a world organization should be backed up and urged on by a strong body of public opinion linked together worldwide by the unifying bond of a common code of human rights and duties.

At the end of the First World War, H.G. Wells was a strong advocate of the League of Nations, but as time went on, he became aware of its weaknesses. He wrote in 1939, “The League of Nations, we can all admit now, was a poor and ineffective outcome of that revolutionary proposal to banish armed conflict from the world and inaugurate a new life for mankind… Does this League of Nations contain within it the gem of any permanent federation of human effort? Will it grow into something for which men will be ready to work for and, if necessary, fight – as hither to they have been willing to fight for their country and their own people? There are few intimations of any such enthusiasm for the League at the present time. The League does not even seem to know how to talk to the common man. It has gone into official buildings, and comparatively few people in the world understand or care what it is doing there.”

Thus, there was a need for a clear statement of world values that could be understood by most and that would be a common statement of the aspiration on which to build a new freedom and a new dignity. Wells had a strong faith in international public opinion when it was not afraid to express new and radical thoughts that cut across the conventional wisdom of the day. He wrote in 1943, “Behind the short-sighted governments that divide and mismanage human affairs, a real force for world unity and order exists and grows.”

Wells hoped that the “Declaration of the Rights of the World Citizen” would become the fundamental law for mankind through the whole world – a true code of basic rights and duties which set out the acceptable shape of a just world society.

Wells set out 10 rights which combined civil liberties already common to many democratic states with economic and social rights which were often considered as aspirations but not as rights. Thus, among the 10 rights we find the Right to Participate in Government, Freedom of Thought and Worship, the Right to Knowledge, Freedom from Violence including Torture, along with the Right to Education, the Right to Medical Care, the Right to Work with Legitimate Remuneration, the Protection of Minors, Freedom of Movement about the Earth.

The drafters of the United Nations (UN) Charter in 1945 included a pledge by member states “to reaffirm faith in fundamental human rights, in the dignity and worth of the human person, in equal rights of men and women, and of nations large and small.” Much of the debate from 1946 when the UN Commission on Human Rights was created until December 1948 when the Universal Declaration of Human Rights was proclaimed concerned the relative place of civil liberties and of economic, social, and cultural rights.

While the text of H.G. Wells is largely forgotten today, he had the vision of the strong link between freedom of thought based on civil liberties and the need for economic dignity set out in the economic, social, and cultural rights.

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

1989, l’affaire Salman Rushdie : Quand la France célébrait sa Révolution sous les feux croisés de l’obscurantisme

In Africa, Being a World Citizen, Cultural Bridges, Current Events, Democracy, Europe, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, NGOs, Solidarity, Spirituality, The Search for Peace, United Nations on August 15, 2022 at 1:02 PM

Par Bernard J. Henry

Après les Etats-Unis en 1976, les Français ont célébré en 1989 le Bicentenaire de la Révolution qui a créé leur république, avec pour traits d’union entre les deux pays le Marquis de la Fayette, «héros des deux mondes» en France comme le deviendrait plus tard Giuseppe Garibaldi en Italie, et le fameux «Ça ira» de Benjamin Franklin, Ministre des Etats-Unis d’Amérique à Paris mais francophone malhabile qui, lorsqu’on lui demandait des nouvelles de son pays, répondait par ces deux seuls mots que les sans-culottes avaient fini par reprendre à leur profit. Mais en France, l’année 1989 fut loin d’être placée sous le seul signe des idéaux de la Révolution française tels que résumés en sa devise officielle – Liberté, Égalité, Fraternité.

Depuis le début des années 1980, la France était régulièrement frappée par le terrorisme lié au conflit israélo-palestinien, comme lorsque fut frappé voici quarante ans ce mois-ci, le 9 août 1982, le restaurant Jo Goldenberg dans le quartier juif de Paris. Depuis les élections municipales de 1983 et dans des proportions sans précédent depuis la Libération, l’extrême droite reprenait pied dans la politique française avec les succès électoraux du Front National, dénoncés ainsi que la complaisance du reste de la classe politique par Louis Chedid dans Anne, ma sœur Anne.

C’était déjà beaucoup, évidemment trop. Mais ce n’était pourtant qu’un début, et bientôt une France déjà en proie à ses propres démons allait se trouver prise au cœur de luttes d’envergure mondiale, luttes qui, bien que jamais vraiment disparues, viennent aujourd’hui se rappeler tragiquement au souvenir non seulement de la France mais du monde entier, avec l’agression de Salman Rushdie le 12 août dans l’État de New York.

La Dernière Tentation du Christ : la Contre-Révolution contre-attaque

Le réalisateur américain Martin Scorsese (C) David Shankbone

En août 1988, le cinéaste américain Martin Scorsese sort son nouveau film, La Dernière Tentation du Christ, d’après un roman de Níkos Kazantzákis. En rupture directe avec les récits bibliques, Scorsese y dépeint un Jésus vivant comme tout mortel, peu soucieux du péché ou de la foi, et qui prend soudainement conscience de sa mission divine puis entame un parcours messianique en s’opposant aux dirigeants mêmes du peuple juif dont il est issu. Devant les caméras de Scorsese, c’est Jésus lui-même qui demande à Judas, son premier adepte, de le dénoncer aux Romains afin d’être arrêté et mourir en martyr. Mais, alors qu’il attend la mort sur sa croix, Jésus se voit offrir le salut par un ange qui vient lui dire qu’il est Fils de Dieu, mais non pas le Messie, et doit vivre en homme normal. Sauvé par l’ange de la crucifixion, Jésus épouse Marie-Madeleine et fonde avec elle une famille heureuse.

A la fin de sa vie, Jésus appelle auprès de lui ses anciens disciples et Judas lui avoue que l’ange qui l’a sauvé était en réalité Satan, dont lui est venue cette «dernière tentation» de vivre en homme ordinaire et non en Messie. Mourant, Jésus rampe jusqu’à la croix dont Satan l’avait jadis extrait, dans une Jérusalem en flammes puisque n’ayant jamais été pacifiée par son enseignement. Il implore Dieu de le replacer sur la croix, afin de pouvoir enfin accomplir sa destinée. Crucifié une nouvelle fois, il sait sa mission menée à bien et meurt.

Cette uchronie religieuse soulève la fureur chez les Chrétiens à travers le monde entier, d’abord chez les Protestants aux Etats-Unis même puis, en France, chez les Catholiques, l’Archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger parvenant même à faire plier le Gouvernement socialiste de François Mitterrand qui, d’abord partenaire du film, finit par jeter l’éponge.

A sa sortie en France en septembre, le film réveille un mouvement catholique intégriste que l’on croyait décapité depuis l’excommunication au printemps de Monseigneur Marcel Lefebvre et la mise au ban par le Vatican de sa Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X traditionaliste et hostile à Vatican II. En octobre, un cinéma projetant La Dernière Tentation du Christ est incendié dans l’est de la France et, à Metz, la visite du Pape Jean-Paul II donne lieu au retrait du film des salles locales. Bientôt, le film est déprogrammé partout ailleurs ou projeté sous protection policière. Le 23 octobre, un commando catholique intégriste attaque l’Espace Saint-Michel à Paris, dernière salle projetant encore le film, blessant quatorze personnes dont deux grièvement.

En pleine célébration de sa Révolution et de l’Être suprême, divinité laïque sous les auspices de laquelle était adoptée le 26 août 1789 la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la France découvre que l’esprit vengeur des Chouans de Bretagne et des royalistes de Vendée qui refusaient la fin de la monarchie de droit divin était toujours là, et que, comme leurs ancêtres révolutionnaires, les Français républicains de 1989 allaient devoir y faire face. Et à l’intégrisme catholique menaçant le Bicentenaire allait bientôt s’ajouter l’intégrisme issu des rangs d’une autre religion majeure de France – l’Islam.

Allah et Les Versets sataniques : les «intégristes musulmans» à l’assaut de l’Être suprême

En 1989, la France ne parle pas encore d’islamisme. Ce terme n’apparaît que l’année suivante, lorsque les premières élections libres et multipartites en Algérie voient non pas la victoire courue d’avance du Front de Libération Nationale (FLN), jusqu’alors parti unique, mais du Front islamique du Salut (FIS), parti prônant une application stricte de la loi coranique dans tous les domaines de l’administration et de la vie publique. Pour l’instant, en cette année 1989, la France parle d’intégrisme musulman. Jusqu’à présent, cet intégrisme s’est surtout manifesté à travers le terrorisme, non dans une moindre mesure en lien avec l’Iran comme en témoigne l’affaire Wahid Gordji. Mais la France est sur le point de découvrir que cet intégrisme peut aussi frapper là où elle l’attend le moins, sur un terrain où, ceinte de ses idéaux révolutionnaires, elle se croit inexpugnable. Le terrain de la culture.

Dès 1987, la chanteuse Véronique Sanson envisageait une chanson contre l’intégrisme religieux, racontant l’histoire d’un couple maghrébin se muant en auteurs d’un attentat-suicide par l’explosion d’un camion. Alors qu’elle entend intituler sa chanson Dieu, le chanteur Michel Berger, son ancien compagnon qui produit pour elle l’album devant contenir la chanson, lui suggère de l’intituler Allah en référence à l’extrémisme musulman qui, à travers le monde, s’affirme alors de plus en plus comme une «troisième force» entre les Etats-Unis de Ronald Reagan et l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev. C’est ainsi que la chanteuse enregistre Allah, où elle s’en prend directement au Dieu de l’Islam pour les attentats commis en son nom par des fanatiques.

Véronique Sanson

Alors qu’elle s’apprête à donner un concert à l’Olympia, Véronique Sanson reçoit des menaces de mort lui enjoignant de ne pas chanter Allah. Le 14 février 1989, une fatwa est lancée contre elle avec ordre de la tuer. La carrière de la chanson s’arrête là. Mais pas celle de l’extrémisme se réclamant de l’Islam, car bien sûr, Rushdie est le prochain sur la liste.

C’est en septembre 1988 que l’écrivain britannique d’origine indienne, naturalisé américain, publie son quatrième roman, Les Versets sataniques (The Satanic Verses). Les protagonistes, deux artistes indiens vivant en Angleterre contemporaine, se trouvent pris dans un détournement d’avion et, alors que l’appareil explose en plein vol, se voient miraculeusement y survivre puis prendre pour l’un, la personnalité de l’Ange Gabriel et, pour l’autre, celle d’un démon. Ce dernier réussit à ruiner la vie, notamment sentimentale, de son comparse qui le lui pardonne toutefois en bon ange que, selon lui, il est devenu. Tous deux rentrés en Inde, le premier tue sa compagne avant de se suicider, et le second, jusqu’alors brouillé avec son identité indienne ainsi que son propre père, se réconcilie avec les deux et reste vivre dans son Inde natale.

Salman Rushdie

Mais derrière cette histoire de deux Indiens frappés d’une maladie mentale, servant de trame au roman de Rushdie, d’autres parties du roman s’avèrent plus problématiques, du moins pour les Musulmans les plus dogmatiques.

A l’instar de Scorsese mettant en scène un Christ détourné de sa mission salvatrice par un Satan habilement déguisé, Rushdie dépeint Mahomet, le Prophète de l’Islam, adoptant trois divinités païennes de La Mecque en violation du principe islamique du dieu unique, les trois divinités ayant dicté à Mahomet de faux versets du Coran en ayant pris l’apparence d’Allah. Le récit romancé de Rushdie amène ensuite des prostituées de La Mecque à se faire passer pour les épouses du Prophète, puis l’un des compagnons de Mahomet à douter de lui en tant que messager de Dieu et l’accuser d’avoir volontairement réécrit certaines parties du Coran en occultant le verbe divin.

Rushdie poursuit avec le récit, toujours fictif, d’une jeune paysanne indienne affirmant recevoir des révélations de l’Archange Jibreel («Gabriel» en arabe). Elle convainc son village entier d’entreprendre un pèlerinage en marchant jusqu’à La Mecque, affirmant qu’ils pourront tous traverser la mer à pied. Mais les pèlerins disparaissent tous, les témoignages discordant sur leur noyade pure et simple ou leur traversée miraculeuse de la mer comme l’aurait promis l’Archange Jibreel.

Puis Rushdie présente un chef religieux fanatique expatrié, «l’Imam», chef religieux en lequel est aisément reconnaissable l’Imam Ruhollah Khomeini, Guide suprême de la République islamique d’Iran, exilé en France jusqu’à la révolution islamique de 1979.

Après le tollé chez les Chrétiens contre Scorsese, c’est au tour de Rushdie d’enflammer le monde musulman. Au Pakistan, Les Versets sataniques sont interdits et, le 12 février 1989, dix mille personnes manifestent contre lui à Islamabad où le Centre culturel américain et un bureau d’American Express sont mis à sac. L’Inde interdit l’importation de l’ouvrage et des autodafés se font jour en Grande-Bretagne.

En février 1989, c’est au tour de Khomeini d’ajouter à la polémique en édictant une fatwa, littéralement une «opinion juridique», facultative en Islam sunnite mais ayant valeur contraignante chez les Chiites, appelant au meurtre de Rushdie et de ses éditeurs ainsi qu’à faciliter ce meurtre à défaut de le commettre soi-même. En Grande-Bretagne, le Gouvernement conservateur de Margaret Thatcher prend fait et cause pour Rushdie, qu’il place sous protection policière, mais un jeune député travailliste nouvellement élu organise dans sa circonscription une marche pour l’interdiction des Versets sataniques et un ancien leader du Parti conservateur, Norman Tebbit, sans aucun lien personnel avec l’Inde ou l’Islam par ailleurs, condamne et injurie publiquement Rushdie.

Là où Martin Scorsese continue d’aller et venir librement, Véronique Sanson ayant tôt fait de sortir de nouveaux titres et faire oublier Allah, Rushdie se trouve désormais prisonnier d’une alternative qui résume tout son sort – la clandestinité ou la mort.

Héritage humaniste contre héritage de haine

Devenu invisible et introuvable, Rushdie publie en 1995 un nouveau roman, Le dernier soupir du Maure (The Moor’s Last Sigh). Mais, pour avoir perdu en intensité, la menace de Téhéran n’en a pas pour autant disparu. Loin des regards, c’est désormais par procuration que Rushdie continue d’être attaqué.

En 1991, les traducteurs italien et japonais de Rushdie sont assassinés. Deux ans plus tard, un traducteur norvégien des Versets sataniques échappe de peu à une tentative de meurtre par balles puis un traducteur turc manque de succomber à un incendie volontaire qui le visait.

En 1998, l’Iran de Mohammed Khatami, Président se voulant réformiste, annonce la fin de la fatwa contre Rushdie qui, à son tour, abandonne sa vie en clandestinité. Mais en 2006, le conservateur nationaliste Mahmoud Ahmadinejad qui a succédé à Khatami fait marche arrière ; pour lui, une fatwa ne peut être annulée que par la personne qui l’a édictée, et puisque Khomeini est décédé, la fatwa est irréversible. Dix ans plus tard, la prime promise par l’Iran pour le meurtre de Rushdie dépasse les trois millions de dollars, notamment sous l’impulsion des médias iraniens.

Et le 12 août dernier, alors qu’il s’apprête à donner une conférence à la Chautauqua Institution dans l’Etat de New York, Rushdie est poignardé au cou par Hadi Matar, Chiite d’origine libanaise dont les réseaux sociaux grouillent de messages de soutien au régime iranien et d’admiration pour Khomeini. Hospitalisé en urgence, placé sous assistance respiratoire, il est menacé de perdre un œil ; le 14, son agent annonce qu’il se rétablit et respire normalement. En Iran, la presse conservatrice couvre de louanges Hadi Matar qui, ensuite amené devant la justice, plaide non coupable.

En France, d’aucuns convoquent aussitôt le souvenir de l’attentat terroriste du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, régulièrement accusé de s’en prendre systématiquement à l’Islam et aux Musulmans, en particulier depuis la publication dans ses colonnes, en 2006, de caricatures de Mahomet parues dans un journal d’extrême droite au Danemark. C’est toutefois après avoir critiqué non l’Islam mais l’islamisme, incarné par le parti tunisien Ennahda et une partie du Conseil national de Transition en Libye, que Charlie Hebdo avait connu en 2011 l’incendie de ses locaux à Paris. Quant à l’attentat ayant décimé sa rédaction, Charlie Hebdo le devait bien à deux terroristes résolus, deux frères membres d’Al-Qaïda en Péninsule Arabique, Cherif et Saïd Kouachi. L’Islam ne tue pas, l’islamisme oui.

Pour les Français, immanquablement, le souvenir de l’attentat contre Charlie Hebdo en appelle un autre, celui de l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie victime d’un autre attentat terroriste à Conflans-Sainte-Honorine, en région parisienne, le 16 octobre 2020 alors que se tenait justement à Paris le procès des auteurs présumés des attentats de janvier 2015 dont celui contre Charlie Hebdo, en dehors des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly qui avait attaqué l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Samuel Paty avait été dénoncé par certains élèves musulmans comme ayant utilisé des dessins parodiques de Mahomet parus dans Charlie Hebdo, ce qui avait fait de lui une cible du seul fait de son enseignement, non contre l’Islam mais en faveur de l’esprit critique.

Étrangère à l’univers anglo-saxon de l’Amérique de Scorsese ou de l’Angleterre de Rushdie, la France qui célébrait sa Révolution s’était retrouvée victime collatérale des deux épisodes mais n’en avait pas connu de semblable pour ses propres artistes, notamment pas pour Véronique Sanson contre laquelle la fatwa aura fait long feu. Inspirée par le Bicentenaire de la Révolution, Isabelle Adjani, l’une des actrices françaises les plus en vogue à l’époque, n’en avait pas moins lu à haute voix un extrait des Versets sataniques lors de la cérémonie des Césars en 1988. Malgré tout, la France républicaine avait bien dû se faire une raison, constatant que les idéaux qu’elle célébrait et voulait universels ne l’étaient pas tant qu’elle le croyait et que, dans cet Occident qui regardait de haut un «Tiers Monde» auquel il imputait l’intégrisme religieux comme une conséquence de son sous-développement, ce même intégrisme existait aussi, non du seul fait de migrants musulmans mais aussi de citoyens de lignée locale depuis des siècles, non du seul fait d’un Islam qui, ailleurs, avait pris les armes mais aussi du même catholicisme qui, le dimanche matin, rassemblait les fidèles devant Le Jour du Seigneur sur la télévision d’État.

Triste préfiguration d’un monde qui, en quittant les années 1980 et par miracle la Guerre Froide, (r)entrait successivement dans la guerre «chaude» avec la campagne militaire internationale pour la libération du Koweït envahi en août 1990 par l’Irak, les guerres balkaniques avec camps d’internement et purification ethnique rappelant sombrement la Shoah, le terrorisme généralisé, ici islamique du fait d’Al-Qaïda et ailleurs d’extrême droite comme à Oklahoma City, et l’extrême droite au pouvoir, fût-ce en coalition gouvernementale, comme en Italie.

D’aucuns en France voudraient penser que tous les chemins mènent non à Rome, mais à Paris, et donc que tous les chemins en partent aussi. En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait bel et bien résonné, pour sa part, loin par-delà les frontières du Royaume de France. Là où les textes constitutionnels américains avaient été scrutés principalement par les ennemis britannique et espagnol de la jeune Amérique indépendante, la proclamation française «en présence de l’Être suprême» avait permis au monde entier de comprendre qu’une nouvelle ère commençait. Deux cents ans plus tard, la fête de ce légitime moment de fierté pour le peuple français lui offrait tout le contraire, l’obscurantisme et la violence venues d’ailleurs convergeant vers Paris pour ternir ce moment de joie et ouvrir la voie à une fin du vingtième siècle qui ne pouvait que laisser craindre le pire.

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée le 26 août 1789 (C) Musée Carnavalet – Paris

Aucun respect du droit sans respect de l’écrit

Et le vingt-et-unième siècle n’a pas manqué de tenir les terribles promesses de son prédécesseur. Pire attentat terroriste de l’histoire en 2001, extrême droite au pouvoir dans deux pays d’Europe et ayant manqué de l’être aussi en France en 2002, invasion de l’Irak cette fois sans mandat international en 2003, tortures de civils dans ce même Irak l’année suivante …  La liste serait bien trop longue. Mais une chose est sûre, ce qui était au vingtième siècle le futur ressemble horriblement à ce qui était vu, à l’époque, comme un passé révolu.

Des écrivains comme Rushdie, tous les pouvoirs tyranniques en ont toujours emprisonné, interdit, torturé voire tué. Dans le contexte individuel de 1989, plus encore en France, Rushdie était devenu le symbole vivant d’un mal nouveau, menaçant un monde où le Mur de Berlin était toujours debout même si l’URSS vaincue en Afghanistan semblait à genoux. Mais avec le nouveau siècle est venue l’expansion de la nouvelle technologie, et avec elle, la possibilité d’être auteur sans plus devoir passer par un journal ou une maison d’édition, avec l’apparition des blogs et, pas toujours pour le meilleur, des réseaux sociaux. Et qui dit nouveaux moyens d’expression dit nouvelle peur pour les régimes répressifs, et avec cette nouvelle peur, de nouveaux motifs de répression. Publié sur papier ou autopublié sur Internet, qu’importe aujourd’hui, vous risquez tout autant de payer cher le moindre de vos mots contre qui veut régner en imposant le silence.

Active au sein du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, l’Association of World Citizens ne s’est jamais limitée pour autant à cette seule enceinte genevoise, ayant toujours porté la défense des Droits Humains partout où elle le peut.

En Tunisie où, depuis un an, les initiatives du Président Kaïs Saied mettent à mal l’héritage de la Révolution de janvier 2011, le journaliste Salah Attia en a fait les frais pour avoir dénoncé ces dérives autoritaires en direct sur la chaîne Al Jazeera. Jugé sur ce seul fondement par des militaires en uniforme, il s’est retrouvé détenu à la prison de Mornaguia près de Tunis. Dans la Libye voisine qui n’a jamais su trouver sa voie nouvelle depuis la révolte populaire contre Mu’ammar Kadhafi, hélas devenue intervention militaire franco-britannique aux motifs plus qu’incertains, c’est Mansour Atti, journaliste lui aussi, mais également blogueur et dirigeant local du Croissant-Rouge, qui fut enlevé en juin 2021 par un groupe armé réputé proche des Forces armées libyennes.

Toujours en Afrique mais plus au sud, dans la Corne du continent, en Somalie où l’État central ne s’est jamais vraiment reconstitué depuis 1990 et la désagrégation du pays après la fin de la dictature de Mohamed Siad Barré, un journaliste indépendant nommé Kilwe Adan Farah fut arrêté en décembre 2020 dans la région autonome de facto du Puntland où il venait de couvrir une manifestation contre les autorités locales. Jugé lui aussi par un tribunal militaire, il fut condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir «répandu des fausses nouvelles et incité au mépris envers l’État». A ce jour, il purge encore sa peine.

Kilwe Adan Farah

Le terrorisme jihadiste en France et ailleurs l’a prouvé : ce qui menaçait Salman Rushdie n’a jamais disparu, tout au plus changé de forme. Mais aujourd’hui, là où un interdit fanatique peut toujours frapper quelqu’un qui s’exprime par l’écrit, l’interdit peut venir également des forces armées dans un pays cherchant sa voie constitutionnelle et, dans le meilleur des cas, démocratique. Quitte à oser vouloir faire croire qu’un écrit public dénué de toute intention malveillante peut menacer un pays tout entier de ne jamais (re)trouver une vie libre et paisible.

En France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, mais bien sûr pas seulement, la loi permet de saisir la justice contre un écrit public et obtenir soit réparation si l’on est visé à titre personnel, soit condamnation pénale dans le cas d’un abus de la liberté d’expression internationalement reconnaissable comme tel, par exemple à travers la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Et ce sera toujours, dans ces trois pays et partout ailleurs dans le monde, une infaillible indication du respect de l’État de droit par opposition à la loi de la jungle ou à celle du talion. Quiconque se reconnaît Citoyen du Monde doit défendre sans faille ces principes, sachant que là où un écrit peut valoir la mort, il n’est aucune responsabilité envers sa communauté locale, a fortiori envers la communauté humaine mondiale, que l’on puisse entendre assumer à moins que ce ne soit, au bout du compte, en vain.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Frantz Fanon: The New Humanism

In Africa, Anticolonialism, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Democracy, Fighting Racism, Human Development, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, Solidarity, The Search for Peace on July 20, 2022 at 9:42 PM

By René Wadlow

Frantz Fanon (1925-1961) whose birth anniversary we mark on July 20, was a French psychologist, writer, and participant in the Algerian struggle for independence (1954-1962). He was born in Martinique, then a French colony which now has the status of a Department of France. The bulk of the population are of African descent, having been brought to the West Indies as slaves. Although the basic culture is French, some in Martinique are interested in African culture, and as in Haiti, there are survivals of African religions, often incorporated into Roman Catholic rites.

In 1940, as France was being occupied by the German forces and a right-wing nationalist government was being created in the resort city of Vichy, sailors favorable to the Vichy government took over the island and created a narrow-nationalist, racist rule. Fanon, then 17, escaped to the nearby British colony of Dominica, and from there joined the Free French Forces led by General De Gaulle. Fanon fought in North Africa and then in the liberation of France.

Once the war over, he received a scholarship to undertake medical and then psychiatry training in Lyon. His doctoral thesis on racism as he had experienced it in the military and then during his medical studies was published in French in 1952 and is translated into English as Black Skin, White Masks.

In 1953, he was named to lead the Psychiatry Department of the Blida-Joinville Hospital in Algeria shortly before the November 1954 start of the war for independence in Algeria. He treated both Algerian victims of torture as well as French soldiers traumatized by having to carry out torture. He considered the struggle for independence as a just cause, and so in 1956 he resigned his position and left for Tunisia where the leadership of the independence movement was located. As a good writer, having already published his thesis followed by a good number of articles in intellectual journals, he was made the editor of the Algerian independence newspaper. There were a number of efforts by the French security services to kill him or to blow up the car in which he was riding. Although wounded a number of times, he survived.

In 1959, the British colony of the Gold Coast was granted independence and took the name of Ghana under the leadership of Kwame Nkrumah. Nkrumah was a pan-African, having participated in a number of pan-African congresses starting in the 1930s. He viewed the independence of the Gold Coast as the first step toward the liberation of all colonies in Africa, to be followed by the creation of African unity in some sort of federation. Ghana attracted a good number of activists of anti-colonial movements. Fanon was sent to Ghana to be the Algerian Independence Movement (Front de Libération Nationale, FLN) ambassador to Ghana and as the contact person toward other independence movements.

From his anti-colonial activity, he wrote his best-known study of colonialism, the mental health problems it caused, and the need for catharsis Les damnés de la terre, translated into English as The Wretched of the Earth. The title comes from the first line of the widely sung revolutionary song L’Internationale. For French readers, there was no need to write the first word of the song which is “Arise” as in “Arise, you Wretched of the Earth” (“Debout, les damnés de la terre”). The meaning of the book in English would have been clearer had it been called Arise, Wretched of the Earth.

Fanon was very ill with leukemia, and Les damnés de la terre was written by dictation to his French-born wife that he had married during his medical studies. He received in the hospital the first copies of his book three days before his death. He had been taken for treatment to a leading hospital just outside Washington, DC by the Central Intelligence Agency (CIA). The role of the CIA in support of, or just infiltrating for information, the Algerian independence movement is still not fully clear. Frantz Fanon was buried in a town in Algeria then held by the independence forces. The 1962 peace agreement with France granting independence followed shortly after his death. Fanon is recalled warmly in Algeria for his part in the independence struggle.

The final four pages of Les damnés de la terre are a vital appeal for a new humanism and for a cosmopolitan world society based on the dignity of each person. For Fanon, there is a need to overcome both resignation and oppression and to begin a new history of humanity.

Note

Two useful biographies of Fanon in English are David Caute, Frantz Fanon (New York: Viking Press, 1970), and Irene Gendzier, Frantz Fanon. A Critical Study (New York: Pantheon Books, 1973)

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Antonio Gramsci: A Cultural Base for Positive Action

In Being a World Citizen, Democracy, Europe, Literature, Social Rights, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace on January 24, 2021 at 7:54 PM

By René Wadlow

Antonio Gramsci (January 22, 1891 – April 24, 1937) was an Italian Socialist and then Communist editor who is best known for his notebooks of reflections that he wrote while in prison. (1) Gramsci grew up on the Italian island of Sardinia and saw the poor conditions of the impoverished peasants there. He studied just before the First World War at the University of Turin at a time when industry, especially the Fiat auto company was starting. Gramsci became concerned with the conditions of the new industrial working class. When the First World War started, he was asked to join a new Socialist newspaper that had started in Turin.

Antonio Gramsci

In 1921, in part due to the Russian Revolution, the Italian Communist Party was born. Some of the Socialists, including Gramsci, joined the new party, and Gramsci became an editor of the Communist newspaper. In 1922, he went to Russia as a delegate of the Italian Communist Party to a convention of Communist Parties from different parts of the world.

Also in 1922, Benito Mussolini and his Fascist Party came to power and quickly began a crackdown on the Communists and other opposition movements. In 1926, after a failed attempt on Mussolini’s life, there was a massive crackdown on Communists. Although he had nothing to do with the effort to kill Mussolini, but as a Communist deputy to the national Parliament, Gramsci was sentenced to 20 years in prison. His health, which had never been strong, deteriorated in prison. On April 27, 1937 he died, aged 46.

While in prison, he wrote his ideas in notebooks which were censored by the prison authorities. Then the notebooks were passed on to family members. Gramsci had to be careful about how he expressed his ideas. The notebooks were published only after the end of the Second World War and the defeat of the Fascist government. Thus, Gramsci was never able to discuss or clarify his views. Nevertheless, his prison writings have been widely read and discussed.

Benito Mussolini

The concept most associated with Gramsci is the idea of “hegemony”. Hegemony is constructed through a complex series of struggles. Hegemony cannot be constructed once and for all since the balance of social forces on which it rests is continually evolving. Class structures related to the mode of production is obviously one area of struggle – the core of the Marxist approach. However, what is new in Gramsci is his emphasis on the cultural, ideological, and moral dimensions of the struggle for hegemony.

For Gramsci, hegemony cannot be economic alone. There must be a cultural battle to transform the popular mentality. He asks, “How it happens that in all periods, there co-exist many systems and currents of philosophical thought and how these currents are born, how they are diffused and why in the process of diffusion they fracture along certain lines and in certain directions.”

Gramsci was particularly interested in the French Revolution and its follow up. Why were the revolutionary ideas not permanently in power but rather were replaced by those of Napoleon, only to return later? Gramsci put an emphasis on what is called today “the civil society” – all the groups and forces not directly related to government: government administration, the military, the police.  There can be a control of the government, but such control: can be replaced if the civil society’s values and zeitgeist (world view) are not modified in depth. There is a slow evolution of mentalities from one value system to another. For progress to be permanent, one needs to influence and then control those institutions – education, culture, religion, folklore – that create the popular zeitgeist. He was unable to return to the USSR to see how Stalin developed the idea of hegemony.

The intellectual contribution of Gramsci has continued in the work of Edward Said on how the West developed its ideas about the Middle East. (2) Likewise, his influence is strong in India in what are called “subaltern studies” – what those people left out of official histories think. As someone noted, “I believe firmly that the history of ideas is the key to the history of deeds.”

Notes

(1) Antonio Gramsci, The Prison Notebooks (three volumes) (New York: Columbia University Press); Antonio Gramsci, Prison Letters (London: Pluto Press, 1996)

(2) See Edward Said, Culture and Imperialism (London: Vintage, 1994)

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.

Pitirim Sorokin: The Renewal of Humanity

In Being a World Citizen, Conflict Resolution, Cultural Bridges, Democracy, Europe, Literature, The former Soviet Union, The Search for Peace on January 24, 2021 at 7:26 PM

By René Wadlow

Pitirim Sorokin (1889-1968) whose birth anniversary we mark on January 21, was concerned, especially in the period after the Second World War, with the relation between the values and attitudes of the individual and their impact on the wider society. His key study Society, Culture and Personality: Their Structure and Dynamics (1947) traced the relations between the development of the personality, the wider cultural values in which the personality was formed, and the structures of the society.

Pitirim Sorokin

The two World Wars convinced him that humanity was in a period of transition, that the guideline of earlier times had broken down and had not yet been replaced by a new set of values and motivations. To bring about real renewal, one had to work at the same time on the individual personality, on cultural values as created by art, literature, education, and on the social framework. One had to work on all three at once, not one after the other as some who hope that inner peace will produce outer peace. In his Reconstruction of Humanity (1948), he stressed the fact that “if we want to raise the moral standards of large populations, we must change correspondingly the mind and behavior of the individuals making up these populations, and their social institutions and their cultures.”

Sorokin was born in a rural area in the north of Russia. Both his parents died when he was young. He had to work in handicraft trades in order to go to the University of St. Petersburg where his intelligence was noted, and he received scholarships to carry out his studies in law and in the then new academic discipline of sociology. After obtaining his doctorate, he was asked to create the first Department of Sociology at the University of St. Petersburg. However, the study of the nature of society was a dangerous undertaking, and he was imprisoned three times by the Tsarist regime.

He was among the social reformers that led to the first phase of the Russian Revolution in 1917. He served as private secretary to Aleksandr Kerensky, head of the Provisional Government and Sorokin was the editor of the government newspaper. When Kerensky was overthrown by Lenin, Sorokin became part of a highly vocal anti-Bolshevik faction, leading to his arrest and condemnation to death in 1923. At the last moment, after a number of his cell mates had been executed, Lenin modified the penalty to exile, and Sorokin left the USSR, never to return. His revolutionary activities are well-described in his autobiography A Long Journey (1963).

Aleksandr Kerensky

He went to the United States and taught at the University of Minnesota (1924-1930) where he carried out important empirical studies on social mobility, especially rural to urban migration. These studies were undertaken at a time when sociology was becoming increasingly recognized as a specific discipline. Sorokin was invited to teach at Harvard University where the Department of Social Ethics was transformed into the Department of Sociology with Sorokin as its head. He continued teaching sociology at Harvard until his retirement in 1955 when the Harvard Research Center in Creative Altruism was created so that he could continue his research and writing.

Of the three pillars that make up society − personality, culture, and social structure − personality may be the easiest to modify. Therefore, he turned his attention to how a loving or altruistic personality could be developed. He noted that in slightly different terms: love, compassion, sympathy, mercy, benevolence, reverence, Eros, Agape and mutual aid − all affirm supreme love as the highest moral value and its imperatives as the universal and perennial moral commandments. He stressed the fact that an ego-transcending altruistic transformation is not possible without a corresponding change in the structure of one’s ego, values and norms of conduct. Such changes have to be brought about by the individual himself, by his own effortful thinking, meditation, volition and self-analysis. He was strongly attracted to yoga which acted on the body, mind, and spirit.

Sorokin believed that love or compassion must be universal if it were to provide a basis for social reconstruction. Partial love, he said, can be worse than indifference. “If unselfish love does not extend over the whole of mankind, if it is confined within one group − a given family, tribe, nation, race, religious denomination, political party, trade union, caste, social class or any part of humanity − in such an in-group altruism tends to generate an out-group antagonism. And the more intense and exclusive the in-group solidarity of its members, the more unavoidable are the clashes between the group and the rest of humanity.

Sorokin was especially interested in the processes by which societies change cultural orientations, particularly the violent societies he knew, the USSR and the USA. As he wrote renewal “demands a complete change of contemporary mentality, a fundamental transformation of our system of values and the profoundest modification of our conduct toward other men, cultural values and the world at large. All this cannot be achieved without the incessant, strenuous active efforts on the part of every individual.”

Notes

For a biography see: B. V. Johnston, Pitirim A. Sorokin: An Intellectual Biography (University Press of Kansas, 1995)

For an overview of his writings see: Frank Cowell, History, Civilization and Culture: An Introduction to the Historical and Social Philosophy of Pitirim A. Sorokin (Boston: Beacon Press, 1952)

For Sorokin’s late work on the role of altruism see: P. A. Sorokin, The Ways and Power of Love (Boston, Beacon Press, 1954) A new reprint was published by Templeton Press in 2002

Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.