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Missak Manouchian : A un grand homme, le Monde reconnaissant ?

In Armenia, Being a World Citizen, Current Events, Democracy, Europe, Fighting Racism, Human Rights, Literature, Middle East & North Africa, Poetry, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, United Nations, World Law on February 21, 2024 at 7:00 AM

Par Bernard J. Henry

Aussi étonnant que cela puisse paraître à qui connaît mal le mouvement Citoyen du Monde, lorsqu’il s’est manifesté pour la première fois sous sa forme contemporaine pendant l’Assemblée générale de l’ONU au Palais de Chaillot, à Paris, en novembre 1948, ce fut sous la conduite de deux hommes qui avaient porté les armes de leurs pays respectifs, les Etats-Unis et la France, pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour les Etats-Unis, c’était bien sûr Garry Davis, acteur et danseur à Broadway qui rêvait d’une carrière à Hollywood. Après la mort au combat de son frère Bud à Salerno, en Italie, dévasté par le chagrin puis embrasé par le désir de vengeance, le jeune artiste était devenu pilote de bombardier dans l’U. S. Air Force et, désormais sous-lieutenant, il avait participé à un raid sur la base allemande de Peenemünde où officiait Wernher von Braun qui, après la capitulation de l’Allemagne nazie, a joué un rôle majeur dans le programme spatial américain. En 1948, pris de remords d’avoir contribué à détruire des villes et bombarder des civils, Davis choisira de se rendre à Paris pour renoncer à son passeport américain et se proclamer Premier Citoyen du Monde.

Pour la France, c’était Robert Soulage, dit Sarrazac, instituteur de formation. A l’occasion de son service militaire comme élève-officier de réserve, le jeune Soulage avait fait la connaissance du lieutenant Henri Frenay qui, après le départ de l’armée de Soulage en 1942, l’avait entraîné avec lui dans la Résistance où il était devenu Sarrazac. Arrêté en janvier 1944, il était parvenu à s’évader et, ayant réintégré la Résistance, il avait organisé les maquis puis participé à la Libération. En 1947, il sera parmi les fondateurs du Front humain des Citoyens du Monde.

C’est ensemble que les deux anciens soldats, à présent unis dans une cause sans nation ni drapeau et, surtout, sans arme ni victime, interrompront l’Assemblée générale de l’ONU pour y lire à haute voix la Déclaration d’Oran écrite par Albert Camus.

Traditionnellement synonyme de pacifisme inconditionnel et de refus des frontières nationales, même si c’est là un résumé bien sommaire et réducteur de ce qu’elle représente – et, si on l’applique à l’AWC, une description si simpliste de son action qu’elle en serait tout simplement inexacte –, la Citoyenneté Mondiale contemporaine est donc bien issue de la Seconde Guerre Mondiale, plus spécifiquement de la lutte contre le nazisme. C’est aussi le cas des Nations Unies, organisation intergouvernementale par excellence depuis 1945 mais, auparavant, alliance militaire contre l’Axe, née du suprême paradoxe historique qui faisait du patriotisme armé de l’instant présent la condition sine qua non de l’universalisme pacifiste de l’avenir.

Qui, à l’époque, pouvait prétendre avoir le choix ? Pour ne parler que de l’Allemagne hitlérienne, le danger du fascisme tel qu’il se manifestait à travers l’Europe depuis les années 1930 et, dans un monde en guerre, l’horreur qu’inspirait l’idée d’un Axe vainqueur et dominant le monde pour un millier d’années, comme en rêvait Adolf Hitler, imposait de prendre les armes et, au besoin, de se joindre à un rival dont l’on se méfiait, comme s’y étaient résignés Churchill et de Gaulle, voire à son pire adversaire idéologique, comme l’avaient fait Roosevelt et Staline, pour vaincre un ennemi commun et empêcher à tout prix sa victoire. Les frontières ne comptaient plus, qu’elles soient nationales, idéologiques ou autres, face au péril fasciste.

Ce 21 février 2024, en France, un pays où l’extrême droite n’a jamais été politiquement aussi forte depuis la Libération d’août 1944 invite au Panthéon, lieu symbolique où reposent les plus grandes gloires du pays, un homme et son épouse qui sont deux symboles des plus vibrants de la lutte antifasciste de cette époque – Missak et Mélinée Manouchian, membres actifs de la Résistance, le premier ayant été pour cela fusillé voilà très précisément quatre-vingts-ans aujourd’hui. Un hommage aussi mérité et bienvenu qu’il est tardif, et qui ne peut que nous rappeler qu’aucun hommage au passé ne vaut s’il n’en sort un acte de vigilance pour le présent et l’avenir, tant éloigné que plus proche.

Manouchian, mort pour la France – qui ne voulait pas de lui

Né en 1906 dans l’actuelle Turquie, alors le siège de l’Empire ottoman, le jeune Missak a neuf ans lorsque son père tombe les armes à la main dans la résistance arménienne au génocide qui vient de débuter. Poussé vers l’exil avec sa mère et ses frères, devenu vite orphelin, Missak se retrouve en orphelinat d’abord en Turquie puis au Liban, confié avec son frère Garabed à des enseignants arméniens.

C’est en 1924 qu’il débarque en France, y rejoignant Garabed à Marseille où ils travaillent comme ouvriers. L’année suivante, les deux frères s’installent à Paris, économisant jusqu’à pouvoir faire venir à leurs côtés leur frère Haïg depuis la Syrie. Après avoir été brièvement interné en psychiatrie après le décès de Garabed en mars 1927 qu’il ne parvient pas à surmonter, Missak Manouchian, admirateur des Encyclopédistes inspirateurs de la Révolution française, athlète et poète tout à la fois, rencontre la Confédération générale du Travail (CGT), syndicat historiquement lié au Parti Communiste Français (PCF) auquel il adhère en 1934, encore sous le choc de la tentative de coup d’Etat des ligues fascistes du 6 février à Paris.

Missak Manouchian

Dans le même temps, Missak Manouchian devient membre de la section française du Comité de secours pour l’Arménie (Hay(astani) Oknoutian Gomidé ; HOG) et y fait la connaissance d’une jeune femme, Mélinée Assadourian. En 1935, les deux jeunes gens sont élus à la direction du HOG et, l’année suivante, ils se marient – plus exactement, ils obtiennent un «certificat de coutume en vue de mariage» car ils sont, l’un et l’autre, apatrides. Après la dissolution du HOG en 1937 et jusqu’en 1939, le rôle militant de Missak Manouchian s’accroît au sein du PCF, et pour la première fois en France, le jeune survivant du génocide arménien rencontre la répression.

Début septembre 1939, depuis le pacte germano-soviétique signé le mois précédent, les députés du PCF sont interdits de siéger, le parti et ses organisations connexes sont interdits et ses cadres sont en prison. Arrêté le 2, veille de la déclaration de la guerre, Missak Manouchian, qui a tenté en 1933 de devenir français mais sans succès, est libéré le mois suivant et, toujours apatride, il rejoint comme engagé volontaire une unité militaire en Bretagne, demandant une nouvelle fois sa naturalisation en janvier 1940 et essuyant un nouveau refus.

Après l’armistice de juin 1940, Missak Manouchian est maintenu de force en usine dans la Sarthe. C’est en 1941 qu’il s’en enfuit pour revenir à Paris, où le militant communiste jadis arrêté sous la République à cause du pacte germano-soviétique l’est de nouveau, cette fois par les autorités d’occupation, peu après la rupture du même pacte par l’Allemagne nazie et son invasion de l’URSS le 22 juin. Emprisonné à Compiègne, il est libéré sans charge et retrouve Mélinée à Paris.

Mélinée Assadourian Manouchian

En 1943, Missak Manouchian, désormais Michel, devient membre des Francs-tireurs et Partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de Paris, groupe de Résistance issu du PCF, où ses camarades sont pour l’essentiel des Juifs de Roumanie et de Hongrie ainsi que des Arméniens comme lui, quoique moins nombreux. En août, Michel Manouchian est promu Commissaire militaire de la Région parisienne des FTP-MOI, multipliant les actions contre l’occupant dans son secteur de juridiction en novembre. Mais le 16 au matin, la Police française, de longue date sur ses traces, l’arrête à la gare d’Évry Petit-Bourg avec son supérieur politique Joseph Epstein.

Torturé d’entrée, Michel Manouchian est traduit devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris le 19 février 1944, lors d’un simulacre de procès mis en scène pour la presse collaborationniste qui se régale du lynchage de ceux de l’Affiche rouge, placardée à l’envi par les services de Vichy, reprenant les visages de Manouchian et des membres de son groupe, chacun y étant fustigé sur son origine étrangère et/ou sa judéité auxquelles sont accolés ses faits d’armes qualifiés d’«attentats», la question en haut de l’affiche «Des libérateurs ?» trouvant sa réponse en bas : «La Libération par l’armée du crime !».

L’Affiche rouge, recto-verso

Sans surprise, le tribunal condamne à mort vingt-trois des accusés. Et le 21 février 1944, à Suresnes, dans l’actuel Département des Hauts-de-Seine, au sein de la Forteresse du Mont Valérien, jadis symbole de la résistance du peuple français à l’armée allemande pendant la guerre de 1870 et, inéluctablement, sous contrôle ennemi depuis 1940, Michel Manouchian, qui a refusé d’avoir les yeux bandés devant le peloton d’exécution, tombe sous les balles du fascisme. Deux fois refusé à la naturalisation, Missak Manouchian, apatride né dans la communauté arménienne de l’Empire ottoman, mourait ainsi pour la France alors qu’elle n’avait jamais voulu de lui parmi les siens.

Le 11 avril, Joseph Epstein subira le même sort au même endroit.

En tout, ce sont plus d’un millier de combattants de la France Libre qui seront fusillés à la Forteresse du Mont Valérien. Le 18 juin 1960, Charles de Gaulle, général et chef de la France Libre devenu Président de la République en 1958, y inaugurera le Mémorial de la France Combattante. Chaque année à la même date, le chef de l’Etat français y retrouve les autorités locales pour un hommage au pied du sanctuaire orné d’une croix de Lorraine, symbole de la Résistance gaulliste, et d’une flamme entretenue jour et nuit dont il est écrit sur place que «la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas».

Le Mémorial de la France Combattante du Mont Valérien (C) Bernard J. Henry/AWC

En 1959, Léo Ferré, chanteur franco-monégasque aux idées anarchistes assumées, donc hostile tant au gaullisme qu’au communisme, met en musique les Strophes pour se souvenir de Louis Aragon parues quatre ans plus tôt, sous le titre L’Affiche rouge que reprendra en 1976 le cinéaste Frank Cassenti pour raconter sur grand écran l’histoire de Michel Manouchian et ses frères d’armes dans la Résistance. Malgré ces vibrants hommages artistiques, ce n’est qu’en novembre 1978 que la ville d’Ivry-sur-Seine, dans l’actuel Département du Val-de-Marne, érigera un monument à ceux de l’Affiche rouge et les y fera inhumer. Selon l’idéologie qui animait les Résistants français, toutes leurs mémoires ne se valaient pas.

Mélinée, veuve, biographe et gardienne de la mémoire

Quant à Mélinée, ayant d’abord pris la fuite avec l’aide d’une famille arménienne résistante de Paris, les Aznavourian, dont le fils Shahnourh deviendra plus tard le chanteur Charles Aznavour, elle poursuit la lutte au sein du milieu arménien de la Résistance. Après la Libération, elle publie un recueil des poèmes de feu son époux qu’elle a traduits de l’arménien.

En 1947, répondant à l’appel de l’URSS à ses anciens ressortissants pour venir œuvrer au repeuplement, elle part pour Erevan, capitale de l’Arménie soviétique, où elle enseigne le français. Mais son dégoût du stalinisme et un cancer mal soigné la poussent à vouloir revenir en France, ce qu’elle n’est autorisée à faire qu’en 1960 avec l’avènement de Nikita Khrouchtchev.

Première biographe de Missak Manouchian, elle consacrera sa vie à promouvoir sa mémoire et celle des Arméniens de la Résistance. Après une vive polémique dans les années 1980 avec la direction du PCF sur le rôle du parti dans la mise en danger de Missak Manouchian qu’elle avait alors cherché à protéger, Mélinée s’éteint en 1989. Inhumée à Ivry-sur-Seine près de son époux mais non avec lui, elle le rejoint finalement en 1994, cinquante ans après l’exécution au Mont Valérien.

Aujourd’hui, sur la décision du Président de la République française, Emmanuel Macron, c’est ensemble qu’ils entrent au Panthéon.

Une histoire personnelle

J’habite Suresnes depuis plus de quinze ans. Je suis né à Saint-Cloud, ville voisine, et suis originaire de Rueil-Malmaison, autre ville voisine, toutes deux situées en partie comme Suresnes et Nanterre sur le Plateau du Mont Valérien. L’histoire des fusillés de la forteresse occupée est dans ma vie depuis toujours. Si je ne suis pas arménien et n’ai pas une goutte de sang en commun avec Missak Manouchian, son histoire est aussi mon histoire, l’histoire de la France et, pour moi, une histoire personnelle.

Pendant l’Occupation, une partie de ma famille maternelle habitait Nanterre, et en cette époque de bruit urbain autrement moins important qu’aujourd’hui – amoindri plus encore par les restrictions de circulation des autorités allemandes – lorsqu’une exécution avait lieu au Mont Valérien, les coups de feu s’entendaient jusque chez eux, sur le Plateau. Pour ces immigrés du nord de l’Italie, eux aussi membres de la Résistance alors que certains n’avaient jamais pu obtenir la nationalité française du temps de la Troisième République, c’était aussitôt la pensée qu’un jour, peut-être, ce serait leur tour de se retrouver devant les fusils.

Même ceux d’entre eux qui étaient toujours italiens avaient porté les armes pour la France. Non mobilisés en 1939 puisque n’étant pas citoyens français, mais sujets du Royaume d’Italie qui vivait depuis octobre 1922 sous la terreur fasciste de Benito Mussolini, c’est pourtant vers l’armée qu’ils se sont tournés en octobre 1940, lorsque Rome a rejoint son allié allemand dans la guerre contre la France. Désormais ressortissants d’un État ennemi, ils se voyaient déjà soit internés dans un camp, l’un de ces camps d’étrangers créés par le gouvernement issu du Front populaire à partir de 1938, soit déportés vers cette Italie qu’ils avaient fuie. Unanimement, ils se sont engagés dans l’armée française où leur origine italienne leur a valu d’être versés dans les Chasseurs alpins pour aller, à la frontière sud-est du pays, tirer sur leurs compatriotes. Prisonniers de guerre, certains n’obtinrent finalement la nationalité française qu’en 1953, huit ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et aucune décoration que je sache.

Durant son «procès» devant le Tribunal militaire allemand du Grand-Paris, Missak Manouchian a jeté à la face de ses juges «La nationalité française, vous l’avez héritée, et nous, nous l’avons méritée». Mes proches ancêtres à moi l’ont eue, au risque même de leurs vies, et pourtant, les Français qui l’ont «héritée» ne se sont jamais privés de leur faire remarquer qu’ils étaient au départ des étrangers. Entre qui voulait seulement défendre sa terre ancestrale passée sous la botte de l’ennemi héréditaire s’étant montré plus fort au combat et qui voulait défendre le pays incarnant à ses yeux une idée, une liberté et presque un droit, tout le monde en France n’avait pas rejoint la même Résistance.

L’histoire de Missak Manouchian et de ceux de l’Affiche Rouge, c’est aussi mon histoire à moi, celle de la migration ouvrière et de la résistance au fascisme par-delà les nationalités et les idéologies. L’histoire du pays qui envoie aujourd’hui même le couple Manouchian reposer parmi ses plus grands mais qui, ne serait-ce qu’à travers ses dirigeants, à coups de lois sur la migration à forte teneur xénophobe et de discours «de patience malvenue», comme le chante Louis Chedid dans Anne ma sœur Anne, affirme de plus en plus fort que les héritiers politiques des Français qui ont collaboré avec l’occupant allemand ne sont pas plus dangereux que ceux des Résistants, au risque de leur offrir bientôt le pouvoir et leur permettre y compris d’anéantir, ne serait-ce que de décharner, l’histoire de la Résistance au-delà de celle de Français n’ayant cherché qu’à chasser de chez eux un ennemi étranger, sans forcément dire non à une forme de fascisme «maison» à la place.

Tout le monde en France n’a pas, comme moi, la Résistance en héritage familial. Dans d’autres familles, c’est au contraire la collaboration avec l’Allemagne nazie qui forme le passif, ou bien encore l’absence de choix d’un camp, peut-être au profit du seul impératif de survie. Une chose est sûre toutefois : le pays où nous vivons, cette France libre et démocratique, c’est bel et bien l’œuvre des Manouchian, de Robert Sarrazac et de leurs camarades de la Résistance, ce n’est pas l’État français du Maréchal Pétain auquel auraient succédé les Quatrième puis Cinquième République, comme en Espagne où la monarchie a succédé au franquisme même sans en poursuivre les politiques fascistes, à l’inverse du Portugal voisin où la Révolution des Œillets avait marqué une rupture claire et nette avec le salazarisme. Renier ou minimiser l’héritage de la Résistance, le reléguer en quelque façon au rang de passé révolu tout juste digne de la cave ou du grenier, pour chaque Française ou Français, c’est scier la branche où l’on est assis.

Comment dès lors, et surtout pourquoi, chercher à honorer dans le passé ce que l’on démonétise dans le présent ? Les honneurs rendus aux Manouchian sont-ils le premier pas vers un changement plus qu’attendu, celui du retour aux «leçons de l’histoire» chères à Elie Wiesel et George Santayana, ou bien un solde de tout compte avant de dire pour de bon que la France d’aujourd’hui ne doit plus rien à la Résistance ?

Le monde reconnaissant ?

Bien sûr, la politique de l’oubli ne touche pas que la France. Avec Donald Trump, les Etats-Unis avaient eux aussi cédé à la tentation d’oublier les grands combats de leur histoire, qu’il s’agisse de la Guerre de Sécession ou de l’héroïsme des G.I. en Normandie voilà quatre-vingts ans, et le risque existe toujours de voir, en novembre prochain, un retour à ce choix de l’oubli après quatre ans d’administration démocrate. En Italie, les héritiers politiques de Mussolini ont conquis le pouvoir. En Argentine, un candidat d’inspiration semblable, Javier Milei, a pris la présidence, et aux Pays-Bas, le parti populiste de Geert Wilders a lui aussi remporté une majorité parlementaire mais sans pouvoir quant à lui former un gouvernement. Dans l’ancien monde communiste, la Hongrie, le Belarus et bien sûr la Russie se distinguent comme les plus tragiques exemples de l’abandon d’un extrême pour verser dans son opposé. La liste n’étant hélas pas exhaustive.

Les derniers témoins de la Seconde Guerre Mondiale, en ce compris de la Shoah en Europe, disparaissent. Ce temps était voué à arriver un jour ou l’autre. Mais leurs souvenirs, leurs récits, leurs mises en garde pour le présent, leurs avertissements pour l’avenir sont aussi nombreux qu’ils sont éternels. Que les témoins de l’horreur rejoignent le monde qui attend chacune et chacun au bout de l’existence, rien que de très normal. Mais qu’ils le fassent en un temps où leur héritage se voit si méprisé, voire dans certains cas contesté, cela ne peut que résonner comme un assourdissant signal d’alarme.

A Paris, le Panthéon porte en son fronton l’inscription «Aux grands hommes la Patrie reconnaissante», reliquat d’un temps où les femmes n’étaient pas jugées dignes de cette reconnaissance. Ce n’est qu’en 1995, avec Marie Curie, qu’une femme fut enfin admise au Panthéon, du moins pour ses mérites, la toute première ayant été, en 1907, Sophie Berthelot, l’épouse du chimiste Marcellin Berthelot qui n’avait fait que suivre le sort de son mari.

Le Panthéon à Paris (C) Guilhem Vellut

Parmi ces «grands hommes» et donc aussi désormais «grandes femmes» reposent déjà d’autres figures de la Résistance. En 1964, André Malraux y accueillait un autre ancien Résistant, légendaire préfet cadre puis martyr de la France libre, par ces mots devenus eux aussi légendaires, «Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège», André Malraux qui rejoignit à son tour le Panthéon en 1996, où il prenait place aux côtés de deux autres figures de la Résistance, Félix Éboué et René Cassin, père de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. En 2015, quatre autres Résistants intégraient la crypte sacrée de la République – Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.

Ce n’est pas que «la Patrie», comme l’appellent les Français du haut du Panthéon, qui peut et doit leur être reconnaissante ainsi qu’aux Manouchian. C’est un monde qui, tout entier, jusqu’aux confins de la Cordillère des Andes dans une Amérique latine qui n’a jamais vu la Seconde Guerre Mondiale sur son sol, a été façonné par la lutte contre le fascisme et tout ce qu’elle a produit après la victoire.

Tout d’abord, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, promue par Cassin aux côtés d’Eleanor Roosevelt et que Garry Davis qualifiait, bien optimiste, de «reconnaissance politique de l’être humain». Ensuite, l’idée qu’il n’existait aucune raison pour qu’une partie du monde continue à s’approprier comme dans les temps anciens la terre, la population, les ressources et le travail de peuples en habitant d’autres, ce qui amena la fin du colonialisme occidental.

Enfin, le principe fondamental, mais si violemment bousculé depuis le début de la décennie, que la guerre de conquête et l’extermination de masse ne se justifient pas même par la guerre, ni dans les Sudètes, en Tchécoslovaquie ou en Pologne à l’époque, ni en Syrie, en Ukraine ou en Israël et dans les Territoires palestiniens aujourd’hui.

Le soldat français tué en tentant de défendre un village en mai 1940, le soldat anglais tué sur son sol natal lors du Blitz allemand, le soldat soviétique tué par la Wehrmacht dans l’ouest de la Russie après la rupture par Hitler de son pacte avec Staline, le soldat américain tué le 6 juin 1944 sur une plage de Normandie, le Résistant ou partisan tué au combat en France, en Italie ou ailleurs, tous ces héros inconnus et qui le resteront, tous méritent la reconnaissance. Mais aujourd’hui, Missak Manouchian est mis à l’honneur par celui des cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité qui fut à la fois le plus meurtri en son territoire et le plus actif au combat contre l’Axe durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est là un acte qui est tout autant à saluer qu’à interroger.

Quel exemple, quelle leçon, entend en tirer la France aux Nations Unies et dans sa politique étrangère – mais aussi, car le besoin en est réel, intérieure ? Quel engagement solennel, quel acte de vigilance pour l’avenir proche et lointain, viendra valider cet hommage au passé ? Quelle reconnaissance de la France, mais aussi du monde, à Missak Manouchian, «grand homme» à partir d’aujourd’hui, et à Mélinée Manouchian qui rejoint ainsi Simone Veil et Joséphine Baker, sortira de cette canonisation laïque si elle n’est un pur vœu pieux ?

La réponse se trouvera dans notre aptitude à, et/ou notre volonté de, savoir délaisser les congratulations officielles pour embrasser l’esprit et, c’est là que le mot convient le mieux, la lettre de ce qu’écrivait Missak, ou Michel, Manouchian dans son poème «Privation» :

«Quand j’erre dans les rues d’une métropole,

Toutes les misères, tous les dénuements,

Lamentation et révolte l’une à l’autre,

Mes yeux les rassemblent, mon âme les loge».

A Paris, au Quartier Latin, nous verrons passer Manouchian depuis son éternité, errant dans les rues de la métropole, et ses combats, nous les ferons nôtres. Ou bien, à Paris et partout dans le monde, enchaînés de plein gré dans notre ingratitude envers ces combats qui écrivirent toute son histoire, toute la nôtre, toute celle du monde, nous perdrons tout.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

How an Unused But Not Forgotten Standard of World Law May Help the Armenians of Nagorno-Karabakh

In Armenia, Being a World Citizen, Conflict Resolution, Current Events, Europe, Fighting Racism, Human Rights, International Justice, Nagorno-Karabakh, NGOs, Solidarity, The former Soviet Union, The Search for Peace, Track II, United Nations, War Crimes, World Law on October 1, 2023 at 6:34 PM

By René Wadlow

Adapted from “An Unused but not Forgotten Standard of World Law“, December 10, 2021

Recent events in Nagorno-Karabakh in the conflict between Azerbaijan and Armenia have raised the issue of possible genocide and the role that the 1948 Convention on Genocide may play.

Genocide is the most extreme consequence of racial discrimination and ethnic hatred. Genocide has as its aim the destruction, wholly or in part, of a national, ethnic, racial, or religious group as such. The term was proposed by the legal scholar Raphael Lemkin, drawing on the Greek genos (people or tribe) and the Latin –cide (to kill) (1). The policies and war crimes of the Nazi German government were foremost on the minds of those who drafted the Genocide Convention, but the policy was not limited to the Nazis (2).

The Genocide Convention is a landmark in the efforts to develop a system of universally accepted standards which promote an equitable world order for all members of the human family to live in dignity. Four articles are at the heart of this Convention and are here quoted in full to understand the process of implementation proposed by the Association of World Citizens (AWC), especially of the need for an improved early warning system.

Article I

In the present Convention, genocide means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such:

(a) Killing members of the group;
(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part;
(d) Imposing measures intended to prevent births within the group;
(e) Forcibly transferring children of the group to another group.

Unlike most humanitarian international law which sets out standards but does not establish punishment, Article III sets out that the following acts shall be punishable:

(a) Genocide;
(b) Conspiracy to commit genocide;
(c) Direct and public incitement to commit genocide;
(d) Attempt to commit genocide;
(e) Complicity in genocide

Article IV

Persons committing genocide or any of the other acts enumerated in article III shall be punished, whether they are constitutionally responsible rulers, public officials or private individuals.

Article VIII

Any Contracting Party may call upon the competent organs of the United Nations to take such action under the Charter of the United Nations as they consider appropriate for the prevention and suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated in article III.

Numerous reports have reached the Secretariat of the United Nations (UN) of actual, or potential, situations of genocide: mass killings; cases of slavery and slavery-like practices, in many instances with a strong racial, ethnic, and religious connotation — with children as the main victims, in the sense of article II (b) and (c). Despite factual evidence of these genocides and mass killings as in Sudan, the former Yugoslavia, Rwanda, Burundi, the Democratic Republic of Congo, Sierra Leone and in other places, no Contracting Party to the Genocide Convention has called for any action under article VIII of the Convention.

As Mr. Nicodème Ruhashyankiko of the Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities wrote in his study of proposed mechanisms for the study of information on genocide and genocidal practices “A number of allegations of genocide have been made since the adoption of the 1948 Convention. In the absence of a prompt investigation of these allegations by an impartial body, it has not been possible to determine whether they were well-founded. Either they have given rise to sterile controversy or, because of the political circumstances, nothing further has been heard about them.”

Raphael Lemkin

Yet the need for speedy preventive measures has been repeatedly underlined by UN Officials. On December 8, 1998, in his address at UNESCO, UN Secretary-General Kofi Annan said “Many thought, no doubt, that the horrors of the Second World War — the camps, the cruelty, the exterminations, the Holocaust — could not happen again. And yet they have, in Cambodia, in Bosnia and Herzegovina, In Rwanda. Our time — this decade even — has shown us that man’s capacity for evil knows no limits. Genocide — the destruction of an entire people on the basis of ethnic or national origins — is now a word of our time, too, a stark and haunting reminder of why our vigilance must be eternal.”

In her address Translating words into action to the UN General Assembly on December 10, 1998, the then High Commissioner for Human Rights, Ms. Mary Robinson, declared “The international community’s record in responding to, let alone preventing, gross human rights abuses does not give grounds for encouragement. Genocide is the most flagrant abuse of human rights imaginable. Genocide was vivid in the minds of those who framed the Universal Declaration, working as they did in the aftermath of the Second World War. The slogan then was ‘never again’. Yet genocide and mass killing have happened again — and have happened before the eyes of us all — in Rwanda, Cambodia, the former Yugoslavia and other parts of the globe.”

We need to heed the early warning signs of genocide. Officially directed massacres of civilians of whatever numbers cannot be tolerated, for the organizers of genocide must not believe that more widespread killing will be ignored. Yet killing is not the only warning sign. The Convention drafters, recalling the radio addresses of Hitler and the constant flow of words and images, set out as punishable acts “direct and public incitement to commit genocide”. The Genocide Convention, in its provisions concerning public incitement, sets the limits of political discourse. It is well documented that public incitement — whether by Governments or certain non-governmental actors, including political movements — to discriminate against, to separate forcibly, to deport or physically eliminate large categories of the population of a given State, or the population of a State in its entirety, just because they belong to certain racial, ethnic, or religious groups, sooner or later leads to war. It is also evident that, at the present time, in a globalized world, even local conflicts have a direct impact on international peace and security in general. Therefore, the Genocide Convention is also a constant reminder of the need to moderate political discourse, especially constant and repeated accusations against a religious, ethnic, and social category of persons. Had this been done in Rwanda, with regard to the Radio Mille Collines, perhaps that premeditated and announced genocide could have been avoided or mitigated.

For the UN to be effective in the prevention of genocide, there needs to be an authoritative body which can investigate and monitor a situation well in advance of the outbreak of violence. As has been noted, any Party to the Genocide Convention (and most States are Parties) can bring evidence to the UN Security Council, but none has. In the light of repeated failures and due to pressure from nongovernmental organizations, the Secretary-General has named an individual advisor on genocide to the UN Secretariat. However, he is one advisor among many, and there is no public access to the information that he may receive.

Therefore, a relevant existing body must be strengthened to be able to deal with the first signs of tensions, especially ‘direct and public incitement to commit genocide.” The Committee for the Elimination of Racial Discrimination (CERD) created to monitor the 1965 International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination would be the appropriate body to strengthen, especially by increasing its resources and the number of UN Secretariat members which service the CERD. Through its urgent procedure mechanisms, CERD has the possibility of taking early-warning measures aimed at preventing existing strife from escalating into conflicts, and to respond to problems requiring immediate attention. A stronger CERD more able to investigate fully situations should mark the world’s commitment to the high standards of world law set out in the Genocide Convention.


Notes

1) Raphael Lemkin. Axis Rule in Occupied Europe (Washington: Carnegie Endowment for World Peace, 1944).

2) For a good overview, see: Samantha Power. A Problem from Hell: America and the Age of Genocide (New York: Basic Books, 2002)

3) William Schabas, Genocide in International Law (Cambridge: Cambridge University Press, 2000)

4) E/CN.4/Sub.2/1778/416, Para 614


Prof. René Wadlow is President of the Association of World Citizens.