Par Bernard J. Henry
«You’re fired !», «T’es viré !». C’est par ces trois mots brutaux que Donald Trump, jusqu’alors homme d’affaires parmi les plus célèbres des Etats-Unis, en dépit même de plusieurs échecs retentissants comme sa «Trump University» qui ne vécut que six ans et mourut en 2011 dans le scandale, s’est imposé en 2014 dans une nouvelle carrière, celle d’animateur de télé-réalité. Dans une émission intitulée The Apprentice (L’Apprenti), des candidats se mettaient dans la peau d’aspirants-Trump et, lorsque l’un d’eux décevait trop l’animateur-juge-arbitre, il se voyait expulsé de l’émission sur ces trois mots. En fin de compte, une série de commentaires xénophobes sur les Mexicains ont amené les producteurs à se séparer de Trump en 2015. On connaît la suite, qui se joue de nouveau depuis janvier dernier.
Trump aime l’image, il aime l’excès, et plus encore les deux à la fois. Voilà pourquoi la vidéo qu’il a relayée le mois dernier sur ses réseaux sociaux, créée par un studio californien et où l’Intelligence Artificielle (IA) rêve d’une Bande de Gaza pacifiée, reconstruite et transformée, selon sa propre expression, en «Riviera du Moyen-Orient», entièrement rendue au luxe et, surtout, à la vénération de Trump lui-même en dieu sauveur, sur fond de clichés racistes envers la population palestinienne locale dépeinte dans son entier comme un Hamas apprivoisé, a légitimement choqué mais ne pouvait surprendre personne. Avant même ce nouvel hommage audiovisuel de Trump à lui-même, bientôt suivi par une séance de brutalisation publique à l’écran du Président ukrainien Volodymyr Zelenskyy en duo avec le Vice-président Elon Musk – non, pardon, J.D. Vance, les pays arabes avaient déjà fait savoir ce qu’ils comptaient faire du plan de Trump, bien sûr entièrement favorable à Israël et au gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahu. Sans même avoir besoin d’aller jusqu’à «You’re fired !», ils avaient d’emblée répondu «You’re not hired !», «Tu n’es pas embauché !».
Un plan alternatif conçu par les pays arabes a ensuite été annoncé, présenté le 4 mars par la Présidence égyptienne et repris en détail sur Middle East Eye. Sans surprise là encore, le plan arabe ne reprend rien du rêve de Trump de transformer Gaza en «Riviera» mais cherche à recréer, en cinq ans de temps, une Bande de Gaza habitable et exploitable par une population palestinienne qu’il entend, au-delà des seules questions économiques et sociales, réintégrer au droit international, ce droit international dont la population palestinienne dans son entier est privée depuis 1948 certes, mais plus encore depuis le 7 octobre 2023, d’abord avec le pogrom perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël depuis Gaza, viols massifs et prises d’otages à l’appui, et ensuite, depuis le 8, avec la campagne militaire destructrice et meurtrière de la Force de Défense israélienne (Tsahal) sur place, à tel point que l’idée de trêve, en tout cas durable, en devient d’emblée dérisoire. A examiner ce plan de plus près, il est difficile d’échapper à la tentation du «C’était mieux avant», tant les solutions proposées ont tôt fait de prendre un goût de déjà-vu, hélas jamais traduit en un «déjà fait».
Le Hamas exclu – pas forcément pour les raisons que l’on croit
Le premier trait, et le plus saillant, du plan arabe pour Gaza, c’est la mise à l’écart du Hamas, le «Mouvement de la Résistance Islamique», de son nom complet, vainqueur inattendu des élections législatives palestiniennes début 2006 et, depuis juin 2007, seul maître à bord à Gaza après en avoir évincé l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas à l’issue d’un bref conflit armé.
En 2008 et 2009, le gouvernement israélien du parti Kadima, fondé par Ariel Sharon en scission du Likoud alors qu’il était Premier Ministre, avait affronté une première fois le Hamas à Gaza lors de l’Opération «Plomb Durci». Revenu au pouvoir à la tête du Likoud après la désertion de Sharon, Benyamin Netanyahu avait fait de même en 2012, 2014, 2018, 2021 et 2022, tout en le laissant en place à Gaza.
Dès le lendemain, littéralement, du drame du 7 octobre 2023, la presse israélienne avait relevé cette contradiction, n’hésitant pas à l’accuser d’avoir «soutenu» le Hamas et lui imputant la responsabilité du pogrom, son seul but ayant été, poursuivaient les journalistes de son pays, d’avoir voulu couver le Hamas pour faire pièce à l’Autorité palestinienne et l’empêcher de progresser vers la création d’un Etat palestinien. Plus tard, les familles des otages du Hamas s’en sont prises au Premier Ministre en l’accusant d’ignorer le sort des leurs, jusqu’à empêcher tout accord avec le Hamas pour la libération de leurs proches.
Que les pays arabes, dont les dirigeants font pour la plupart face à des oppositions internes d’inspiration islamiste, ne tiennent guère à favoriser le Hamas pour la reconstruction de Gaza, rien de très étonnant. Mais que leur volonté d’écarter le mouvement islamiste soit guidée par un souci de modernité et de démocratie à Gaza plus que par celui de mettre hors-jeu une formation qui, tout en se posant en premier rempart contre Israël, n’en a pas moins fait le jeu du Likoud autant que Netanyahu a fait celui d’un Meshaal ou d’un Sinwar, il y a bien de quoi en douter.
Quoi qu’il en soit, seul le résultat compte et le plan arabe ferme la porte au Hamas, même s’il ne s’agit ainsi que de dire leur refus des velléités d’Israël. Et pour la suite, les pays arabes savent ce qu’ils veulent pour le peuple de Gaza.
Un projet résolu, concret et chiffré
Ce qu’ils veulent, c’est replacer l’Autorité palestinienne au cœur de l’avenir de Gaza en lui confiant la tête d’un Comité d’Administration de Gaza pour six mois, un comité que formeraient technocrates et personnalités non-partisanes sous la coordination du gouvernement palestinien de Ramallah, en Cisjordanie. Selon le plan, Égypte et Jordanie se chargeraient de former une police de l’Autorité palestinienne pour déploiement à Gaza, d’autres pays étant appelés à apporter un appui politique et financier à la formation de cette police dans l’avenir proche.
Ce qu’ils veulent, c’est replacer également l’ONU au centre du jeu, l’ONU bannie par Israël sous la forme de son Agence de Secours et de Travaux pour les Réfugiés de Palestine, plus communément désignée sous son acronyme anglais UNRWA, l’ONU dont les représentants du Secrétaire Général se sont eux aussi retrouvés déclarés persona non grata en territoire israélien. Selon le plan, l’Organisation mondiale doit envisager, à travers son Conseil de Sécurité, une «présence internationale» à Gaza – ainsi qu’en Cisjordanie même, soit sous la forme d’une protection internationale soit à travers des troupes de maintien de la paix, en tant que partie intégrante du processus de reconstruction.
Qui dit troupes de maintien de la paix dit existence de deux belligérants qu’il faut forcer à ne plus l’être puis, en déployant de telles troupes, dissuader de l’être à nouveau. Dans le contexte israélo-palestinien, voilà qui renvoie immanquablement à l’idée de deux États, battue en brèche depuis octobre 2023. Le plan arabe la réhabilite et la présente même comme étant la seule et unique solution, sans aucune alternative, donc comme le seul fondement à donner y compris aux mesures les plus immédiates qu’il préconise.
Pour les six premiers mois, le plan commence par demander une trêve à moyen terme entre Israël et, donc, non pas le Hamas mais bien l’Autorité palestinienne, une trêve qui ne s’appliquât pas dans la seule Bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie. Le plan propose de consolider la trêve par des négociations entre les deux parties et, surtout, des mesures pour bâtir la confiance – la base même du peacebuilding, la «construction de la paix». Un premier pas indispensable, toujours selon le plan, est l’arrêt immédiat des actes unilatéraux «des deux côtés», ce bien qu’Israël soit le premier concerné, se voyant ainsi sommé de cesser toute implantation, annexion, démolition, raid militaire sur des villes palestiniennes ou tentative d’altérer le statut juridique et historique des lieux saints.
En six mois, des abris temporaires doivent aussi être construits pour un million et demi de personnes, les débris doivent être déblayés pour ouvrir un couloir servant à la reconstruction, avant de passer à l’étape suivante prévue pour deux ans. Viendra alors le temps de réhabiliter soixante mille logements endommagés, d’en construire deux cent mille neufs pour un million six cent mille personnes, de réhabiliter huit mille cent hectares de terre cultivable, ainsi que d’équiper Gaza en électricité, télécommunications et bâtiments utilitaires.
Pendant ces deux ans, une question cruciale partout au Moyen-Orient devra être réglée – la question de l’eau. Le plan prévoit l’installation de l’eau courante, de systèmes anti-incendie et d’assainissement, mais aussi la construction de deux usines de désalinisation, deux réservoirs d’eau potable et anti-incendie, deux autres pour l’eau d’irrigation agricole et deux usines de traitement des eaux usées.
Après ces deux ans s’ouvrira l’ultime phase du plan, étalée sur deux ans et demi. D’ici là, il faudra avoir terminé la construction de logements pour trois millions de personnes en tout, d’une zone industrielle de deux cent quarante-trois hectares, d’un port de pêche, d’un port commercial, d’un aéroport international et d’une route côtière de dix kilomètres.
Pour faire renaître ainsi une Bande de Gaza qui n’a connu jusqu’ici, depuis le désengagement israélien de 2005, que la théocratie armée du Hamas et les déchaînements de Tsahal, les pays arabes estiment nécessaire une somme de cinquante-trois milliards de dollars américains, qu’ils attendent de l’ONU, des institutions financières internationales, des fonds d’investissement ainsi que des agences et banques de développement.
Ils espèrent également compter sur les investissements directs de sociétés étrangères mais aussi, et c’est une bonne surprise, sur les organisations de la société civile, dont ils reconnaissent qu’elles jouent un rôle essentiel pour la mobilisation des ressources financières pour voir guérir et renaître Gaza.
Autre bonne surprise, pour accroître la transparence et l’efficacité, il sera créé un fonds fiduciaire supervisé internationalement, chargé de contrôler les investissements et les dépenses dans le cadre du plan.
La douleur du passé refoulé
Bien entendu, quelques manques se font sentir, par exemple en termes de garanties de respect des Droits Humains par l’Autorité palestinienne ainsi remise en position de force à Gaza ; comment attendre d’une population locale qui n’a que trop vu ses droits violés qu’elle en accepte davantage encore sous le prétexte de la reconstruction ? Puisque nous sortons du 8 mars, Journée internationale des Droits des Femmes, quid de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité qui «fête» en octobre prochain son quart de siècle ? Corrigibles en route, ces manques, sans doute. Oui, mais encore faut-il que le plan soit adopté en premier lieu par la communauté internationale, au sein de laquelle une Administration Trump vivant dans ses rêves et un gouvernement Netanyahu jouissant de toutes ses faveurs restent à convaincre.
Malgré tout, face aux chimères d’un Donald Trump, comment ne pas trouver ce plan arabe infiniment préférable, et comment ne pas le trouver non seulement plus réaliste mais autrement plus enthousiasmant ? Enthousiasmant et, c’est là tout son paradoxe, décevant. Oui, décevant, car s’il est pour l’heure le seul à porter tant soit peu une perspective viable pour Gaza, ce plan apparaît vite comme étant, plus qu’autre chose, un catalogue de faillites, celles des espérances passées de paix au Proche-Orient qu’il a paru plus simple, pour chacune en son temps, de laisser derrière soi avec toutes les conséquences que l’on sait à présent.
L’origine du plan elle-même, le statu quo maintenu par Netanyahu avec le Hamas et qui a fini par dégénérer en le pogrom d’octobre 2023, ne sent que trop sa redite d’une faillite politique, une faillite à l’autre bout du monde et peut-être venue, qui sait, d’un temps où Israël entretenait des relations étroites avec l’Afrique du Sud de l’apartheid alors Etat paria – à juste titre – dans le reste du monde. Après avoir fait libérer Nelson Mandela en 1990, le Président blanc afrikaner Frederik de Klerk avait entrepris des négociations avec l’African National Congress (ANC) jusqu’alors banni. Cependant, ces négociations s’étaient interrompues en 1991 et de Klerk avait alors pris pour prétexte la montée en puissance de l’Inkatha Freedom Party, formation de fondement zoulou menée par Mangosuthu Buthelezi et qui se voulait plus radicale que l’ANC face au pouvoir blanc.
Ce que de Klerk n’avouait pas, et pour cause, c’est que la montée de l’Inkatha était en fait l’œuvre de son propre gouvernement, avec le pari fou d’affaiblir ainsi l’ANC. Pari perdu. En fin de compte, de Klerk fut contraint de reprendre les discussions qui, en 1992, allaient aboutir au référendum abolissant les dernières lois d’apartheid – et ouvrant la voie aux élections de 1994 qui allaient porter Nelson Mandela au poste de premier Président d’une Afrique du Sud devenue non seulement multiraciale mais aussi pleinement démocratique. En cette même année 1992, dans la foulée de la Conférence de Madrid l’année précédente, Israël portait au pouvoir Yitzhak Rabin et son Parti travailliste, artisans de la poignée de main entre ce même Rabin et Yasser Arafat l’année suivante à la Maison Blanche.
Plus de trente ans ont passé, et à travers le plan arabe pour Gaza, quiconque a connu cette époque ne peut qu’adopter cette rengaine traditionnelle passéiste, «C’était mieux avant», tant ce que le plan propose renvoie à ce qui avait déjà été proposé, mais jamais appliqué ou trop peu pour avoir pu faire la différence.
L’Autorité palestinienne, création des Accords d’Oslo, avait reçu en 1994 un mandat résumé sous le titre «Gaza-Jéricho d’abord», du nom de ces deux territoires qui devaient servir de banc d’essai à son administration autonome. Sa police palestinienne avait reçu sa formation de plusieurs de ses homologues internationales, parmi lesquelles la Gendarmerie nationale française. Après quelques années de succès, la Seconde Intifada causée par les provocations gouvernementales israéliennes en 2000 a dépassé la police palestinienne qui, depuis, n’a jamais vraiment réussi à s’en relever, en dépit de certaines mesures de soutien international qui n’ont jamais réussi à raviver les espérances initiales.

Une «présence internationale», si besoin est sous la forme de troupes de maintien de la paix, ce n’est pas autrement que fut résolu le problème du Sinaï en 1978, à travers les Accords de Camp David sous l’impulsion du Président américain Jimmy Carter récemment disparu. L’Egypte réclamait la restitution du Sinaï qui lui revenait de droit, tandis qu’Israël s’y refusait de peur de voir l’armée égyptienne utiliser le Sinaï pour s’en prendre de nouveau à lui. En fin de compte, la solution trouvée fut de restituer à l’Egypte le Sinaï mais démilitarisé, placé sous la responsabilité d’une Force multinationale d’Observateurs qui y demeure active à ce jour. Après six batailles à Gaza entre 2008 et 2022, jamais le gouvernement israélien n’a proposé de reprendre cette idée, pourtant couronnée de succès. Pourquoi ?
Il est vrai que le nationalisme israélien s’accommode mal de la période où, entre 1978 et 1982, Israël a dû mettre en œuvre l’accord de paix qui le liait maintenant à son voisin égyptien, cette période portant pour les faucons d’Israël un nom spécifique : Yamit. En 1972, sur la côte méditerranéenne du Sinaï occupé depuis 1967 et la Guerre des Six Jours remportée par Israël, Ariel Sharon, alors général de Tsahal, faisait expulser en secret, sur l’ordre du Ministre de la Défense Moshe Dayan, ancien général et «conquérant du Sinaï», des fermiers bédouins de la plaine de Rafah pour créer sur place une colonie de peuplement, à laquelle était donné le nom de Yamit. Déjà à l’époque, Israël rêvait de sa «Riviera du Moyen-Orient», souhaitant attirer de nouveaux habitants grâce à des coûts fonciers peu élevés et, plus encore, faire de Yamit un port commercial. Mais le public israélien n’achetait pas, littéralement parlant, puis, en avril 1982, en application des Accords de Camp David, Israël devait évacuer Yamit.
Même si la plupart acceptaient d’être indemnisés par Tel Aviv et de partir, Tsahal devait tout de même intervenir pour évacuer les habitants, peu nombreux mais toujours trop, qui refusaient de partir, dont des partisans du «Grand Israël». L’évacuation avait lieu dans la douleur, sous les ordres du Ministre israélien de la Défense, un certain … Ariel Sharon, le même qui, dix ans plus tôt, avait fait place nette pour la création de la colonie. Refusant de laisser Le Caire utiliser quoi que ce soit de sa construction, Israël rasait Yamit, suscitant ainsi la colère en Egypte. Quant à Sharon, devenu Premier Ministre, le fantôme de Yamit allait revenir le hanter lorsqu’en 2005, il ordonnerait l’évacuation par la force de Gaza. Un premier essai de «Riviera du Moyen-Orient» dont l’issue n’aurait pu être pire. Et dont les leçons auraient dû être retenues …

Reste la solution à deux Etats, sur laquelle repose tout le plan arabe. L’Initiative de Genève, mise en avant par les anciens négociateurs du sommet de Taba en 2003, et la Feuille de route proposée la même année par les Nations Unies ne l’envisageaient pas elles-mêmes différemment. La seconde prévoyait la fin du conflit israélo-palestinien en 2005. Il fallait bien qu’un Ariel Sharon à la tête non seulement du Likoud, mais aussi de ce qui était alors le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, ne puisse s’y faire. Face à ces perspectives de paix, son idée fut d’ériger un mur entre Israël et la Cisjordanie, ayant pris prétexte de lutter contre le terrorisme mais n’ayant pu ignorer qu’il ne pouvait s’agir au mieux que d’une solution à très court terme, ses intentions réelles ne pouvant laisser de doute. Saisie de la question, la Cour internationale de Justice avait clairement désavoué Sharon. C’était encore avant la brouille avec Netanyahu, la fondation de Kadima et, in fine, l’évacuation forcée de Gaza.
Sharon voulait la hafrada, la séparation physique entre Israéliens et Palestiniens dans les Territoires occupés. L’idée lui était aussi venue que les démographies opposées des populations juive et arabe, la première en déclin et la seconde en constante hausse, finiraient par produire une majorité arabe en Israël et dans les Territoires, ramenant les Juifs à l’état de minorité dans ce qui était censé devenir «l’Etat juif».
S’il en était venu, lui, le faucon parmi les faucons, idole des nationalistes, à souhaiter désormais l’établissement d’un Etat palestinien et se mettre à dos Netanyahu qui s’obstinait à le rejeter, ce n’était pas parce que le faucon serait soudainement devenu colombe, mais parce qu’il y voyait le seul moyen de garder l’Etat d’Israël strictement juif, en tout cas avec les Juifs comme population dominante, Israël comptant aussi parmi ses citoyens des Arabes qui, il est vrai, ne votaient pas pour Sharon et ne comptaient donc pas pour lui.
Là où Netanyahu a reproduit avec le Hamas l’erreur de Frederik de Klerk avec l’Inkatha, Sharon avait été le premier à se mettre dans les pas du même de Klerk, élu pour prolonger l’apartheid mais qui s’était fait l’artisan de sa fin, non parce qu’il aurait fini par en comprendre l’horreur absolue mais parce qu’il estimait que le système ne pouvait pas ou plus fonctionner. A ceci près que, là où de Klerk avait aidé à détruire le système raciste qu’il avait si longtemps défendu, Sharon ne voulait rien détruire mais, au contraire, espérait porter la séparation raciale à son extrême.
Depuis l’évacuation de Gaza, vingt années se sont écoulées. Depuis la mort de Yasser Arafat, assiégé à Ramallah depuis 2000 et finalement évacué vers la France, vingt-et-une. Depuis la victoire électorale du Hamas et la fin du mandat d’Ariel Sharon, dix-neuf. Depuis la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, dix-huit. Quel que soit le repère que l’on choisit parmi ceux-ci, il n’en sort qu’une évidence – il s’est écoulé suffisamment de temps pour que l’on comprenne que les années 2000 étaient le meilleur espoir de paix au Proche-Orient et qu’on l’a laissé filer.
Rebâtir Gaza – et un espoir de paix
C’est aussi ce que nous disent les dirigeants arabes qui ont approuvé le plan pour Gaza. Leur but n’est pas de raviver un plan de paix au Proche-Orient, «seulement» de rebâtir Gaza en préservant la dignité humaine de la population arabe palestinienne, meilleur moyen qui soit de préserver la sécurité pour la population juive – et arabe – israélienne, loin d’une Gaza de fiction qui n’existe que dans les fantasmes des nouveaux dirigeants des Etats-Unis. Pourtant, au point où nous en sommes, est-il encore possible de dissocier la reconstruction de Gaza de la paix au Proche-Orient dans son entier ? Est-il en fait souhaitable de distinguer les deux ?
Vingt ans, si l’on ne se base que sur le désengagement israélien de Gaza, c’est long. Entre les diverses opérations de Tsahal sur place, les attentats en Israël et, bien sûr, le 7 octobre ainsi que ses suites, une quantité inhumaine de vies ont été perdues, plus encore ont été brisées. Mais pour celles qu’il est possible de sauver, à Gaza et en Cisjordanie, pour ouvrir enfin l’espoir en Israël d’un avenir autre que la haine et la mort sous Netanyahu, il faut que le plan soit adopté et aille jusqu’au bout.
En dehors de sa finalité matérielle, importante et urgente au point d’en être une question de vie ou de mort, le plan arabe pour Gaza est sans doute là pour rappeler cette triste évidence : les espoirs de paix au Proche-Orient, «C’était mieux avant». Le temps avance mais ne recule jamais, impossible de retrouver cet «avant» et de tout reprendre à zéro. Le passé n’est pas fait pour y vivre. En revanche, il peut être un extraordinaire enseignant si l’on sait, si l’on veut, en tirer les leçons.
De cette victoire à remporter sur la rancœur, sur l’orgueil, ou sur les deux dépend l’avenir, ne serait-ce que la survie, d’un endroit que les Israéliens s’étaient habitués pendant la Première Intifada à comparer à l’enfer, l’expression hébraïque «Lekh le-Azza !», «Va à Gaza !» étant devenue l’équivalent de «Va au diable !» en français. Le paradis onirique d’un Donald Trump se croyant un messie ne sauvera pas Gaza. Mais le plan des dirigeants arabes est la meilleure chance de la sauver de l’enfer qu’elle subit depuis 2007, celui d’un diable aux deux visages, Hamas d’un côté, Netanyahu de l’autre. Et de comprendre qu’il n’est que temps de réparer, autant que faire se peut encore, les sanglantes erreurs du passé.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.



