LE DROIT UNIVERSEL A LA FRATERNITE
Par Bernard Henry
(D’après « The Universal Right to Brotherhood », du même auteur :
https://awcungeneva.com/2014/02/10/the-universal-right-to-brotherhood/)
En tant qu’Organisation Non-Gouvernementale (ONG) dotée du Statut Consultatif auprès de l’ONU et active au sein du Conseil des Droits de l’Homme, l’Association of World Citizens a toujours défendu les Droits de l’Homme partout dans le monde, tous les Droits de l’Homme, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux, culturels ou autres, tels que ceux plus récemment reconnus au développement et à un environnement sain.
Depuis le début de la décennie, le désir mondial de Droits de l’Homme est plus visible que jamais auparavant. Mais les nombreux auteurs de violations auxquels le peuple du monde doit faire face – les gouvernements des Etats, les corporations multinationales, les groupes politiques non-étatiques, armés ou non – balaient ouvertement les Droits de l’Homme comme étant de simples revendications politiques qui en valent d’autres, leur refusant le moindre caractère de prérogatives universelles reconnues en droit international.
Parfois même, les gouvernements répressifs et autres entités qui le sont tout autant vont jusqu’à prétendre qu’ils agissent au nom même des Droits de l’Homme, accusant en cela leurs critiques et leurs opposants d’attenter eux-mêmes aux Droits de l’Homme.
C’est comme si chacun ne revendiquait plus les Droits de l’Homme qu’à son seul profit, ignorant superbement autrui et considérant les Droits de l’Homme comme étant tout ou rien – mes droits ou les leurs, l’un ou l’autre mais pas les deux. Rien ne saurait être plus contraire à l’idée même de défense des Droits de l’Homme.
Le Préambule de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, depuis 1948 clé de voûte du droit international des Droits de l’Homme, affirme très clairement qu’une protection effective des Droits de l’Homme par la loi est essentielle « pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». Même si certains peuvent voir en les Droits de l’Homme une question trop « conflictuelle » à aborder, ignorer ou renier les Droits de l’Homme rend bel et bien impossible à toute personne, tout gouvernement, ou toute autre entité que ce soit, d’espérer en tout bon sens atteindre une quelconque paix ou un quelconque progrès dont il ou elle puisse tirer parti.
L’Article Premier de la Déclaration se fait encore plus explicite sur ce point :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Fraternité – c’est bien là le mot qui compte, car c’est là tout ce que les Droits de l’Homme veulent dire.
Se soucier de son prochain, un être humain comme soi-même. Accorder de l’importance à la vie, la liberté, la sécurité d’un ou d’une autre autant qu’aux siennes propres. Vouloir faire le bien des autres plutôt que de concevoir sa propre vie comme un combat permanent et inexorable contre tous. C’est cela, vivre « dans un esprit de fraternité », et partant de là, respecter les Droits de l’Homme, à commencer par le plus essentiel d’entre eux – le droit à la fraternité.
Même s’il est devenu très à la mode de chercher des noises à autrui en invoquant les Droits de l’Homme, se conduire ainsi n’a aucun sens, dans la mesure où la défense des Droits de l’Homme doit être par essence inclusive et jamais sectaire. Lorsque l’on reconnait le droit à la fraternité en tant que droit inaliénable devant être garanti à toutes et à tous, l’on en vient tout naturellement à reconnaître tous les autres droits consacrés par la Déclaration et par bien d’autres instruments internationaux de Droits de l’Homme – civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme en langue française, langue maternelle de son principal artisan, le Français René Cassin.
Dans la droite ligne de ce principe, la Déclaration se termine sur trois articles rappelant la primauté du droit à la fraternité sur tous les autres :
Article 28
« Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet. »
Bien évidemment, cela veut dire que chacun a droit à la paix, et plus évident encore, il ne peut y avoir de paix sans la fraternité.
Article 29
« 1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible.
2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.
3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies. »
Peut-on être plus clair ? L’on ne peut jouir de ses droits qu’au sein de la communauté humaine, « dans un esprit de fraternité », donc, ni en dehors de la communauté ni contre la communauté.
Article 30
« Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. »
La plus forte, et la plus logique, conclusion possible à une déclaration universelle des droits – les droits ne peuvent être revendiqués, à plus forte raison utilisés, pour faire du tort à qui que ce soit, ce en aucune circonstance. En d’autres termes, si vous ne reconnaissez pas le droit à la fraternité, vous ne pouvez tout simplement pas vous prévaloir de vos droits du tout.
Jargon juridique mis à part, ce n’est là rien d’autre que ce que disait déjà Albert Schweitzer lorsqu’il a créé son concept de Respect de la Vie (Ehrfurcht vor dem Leben). Dans son livre paru en 1923, La Civilisation et l’Ethique, Schweitzer résumait ce concept ainsi : « L’éthique n’est rien d’autre que le Respect de la vie. Le Respect de la vie me fournit le principe fondamental de la morale, à savoir que le bien consiste à entretenir, assister et mettre en valeur la vie, et que détruire la vie, lui faire du tort ou y faire obstacle est mal. »
En un temps où il n’existait aucune véritable institution politique ou juridique au niveau mondial, ce qui s’en rapprochait le plus étant une Société des Nations bâtie pour l’essentiel sur des vœux pieux et dénuée de tout pouvoir de promulguer des lois, Schweitzer proclamait déjà, de la manière la plus claire qui puisse être, le droit universel à la fraternité.
Plus le « respect », selon l’idée que Schweitzer s’en faisait, du droit à la fraternité est important, plus l’oppression et l’injustice ont du mal à s’installer dans une société. Que l’on se batte contre une dictature, que l’on engage le combat contre des politiciens qui propagent le racisme, que l’on manifeste pour un salaire décent, que l’on dispense un enseignement à des enfants démunis ou que l’on fournisse à un village isolé l’accès à l’eau potable, l’on affirme une seule et même chose : nous sommes citoyens du monde entier, l’humanité est notre famille, et en tant qu’êtres humains, nous avons le droit de vivre en famille avec nos frères sur la Terre.
Bernard Henry est Officier des Relations Extérieures du Bureau de Représentation auprès de l’Office des Nations Unies à Genève de l’Association of World Citizens.